Le foot, c’est la guerre

Contrairement aux idées reçues, les hooligans aiment le football. Et ils ne sont pas tous des marginaux. Quelles sont les racines de cette violence ? Pourquoi ne concerne-t-elle pas d’autres sports ? Eléments de réponse

(1) Voir le résultat de ses recherches dans Le Match de football, Editions de la Maison des sciences de l’homme.

Non, la violence n’a pas disparu du football. Oui, le renforcement des mesures de sécurité, lors des matchs d’envergure, a durci la vie des hooligans. Mais ceux-ci ont tendance à  » migrer  » vers les divisions inférieures, où les incidents se multiplient, notamment en Italie et en Grande-Bretagne. A sa naissance, vers 1850, le football était pourtant û comme tous les sports britanniques û l’apanage de l’aristocratie. Mais il sera rapidement consacré comme le people’s game, le sport populaire par excellence, et on ne tarde pas à assister à des échauffourées entre supporters de clubs rivaux. En 1908, une rencontre Bruges-Antwerp se solde par de nombreux blessés graves. Avec l’apparition du hooliganisme, cinquante ans plus tard, la violence liée au ballon rond franchit encore un palier supplémentaire. Dans certains cas, les kops d’équipes opposées vont jusqu’à se donner rendez-vous sur des parkings pour en découdre avant ou après le match. A l’exception notoire du Portugal, aucune terre de football ne sera épargnée, même si le phénomène n’a jamais concerné plus de quelques centaines de personnes.

Face au problème, fédérations, clubs et associations de supporters ont souvent botté en touche. Le hooliganisme ne serait que l’expression d’un malaise général. C’est l’agressivité latente de la société, en somme, qui serait responsable. Une explication partiellement vraie, mais insuffisante. Car le portrait du hooligan en jeune marginal issu de la classe ouvrière est dépassé.  » Il y a certes une surreprésentation des sans-emploi parmi eux, mais on y retrouve absolument toutes les catégories sociales « , insiste l’ethnologue Christian Bromberger, qui a enquêté parmi les  » ultras  » de Naples, Turin et Marseille (1). Autre cliché qui ne tient pas la route : celui du  » casseur  » qui ne s’intéresse pas au foot et ne se rend au stade que pour assouvir sa soif de bagarres.  » Cela arrangerait bien le monde du sport, mais c’est archifaux. En général, les hooligans sont au contraire de très bons supporters, qui éprouvent une passion sans limite pour leur club « , remarque Jean-Michel De Waele, chercheur au Groupe d’étude Sport et Société de l’ULB.

A la différence d’autres sports de tradition ancienne (cyclisme, balle pelote…), le football se déroule dans une enceinte fermée. Tout y est propice aux déchaînements des passions, jusqu’à l’architecture du lieu, en forme de cuvette (ou de chaudron). La foule s’embrase d’autant plus facilement, les jours de match, que le public du football est bien plus jeune que celui du rugby ou du basket : environ 70 % des spectateurs réguliers ont moins de 35 ans. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’apparition du hooliganisme, dans les années 1960, coïncide avec l’émancipation de la jeunesse… L’alcool contribue lui aussi à échauffer les esprits. Car, historiquement, les stades sont des endroits où l’on picole. Dès le milieu du xixe siècle, les supporters anglais se rassemblent dans les pubs qui jouxtent les terrains. En outre, le football, sport n° 1 dans de très nombreux pays, offre une formidable scène pour tous ceux qui cherchent à faire étalage de leur force.

 » Le football lui-même participe à la production de cette violence. Un match est, fondamentalement, un affrontement réel. Les joueurs se trouvent face à face. Aucun filet ne les sépare, contrairement au volley ou au tennis « , note Gérard Derèze, professeur au département de communication de l’UCL et spécialiste du sport. Sans doute la boxe et le rugby autorisent-ils des contacts encore bien plus rudes… Mais, dans ces cas, la pluie de coups qui s’abat sur le terrain, ou sur le ring, font en quelque sorte office d’exutoire. De plus, il y a dans le football une discussion des règles qu’on ne retrouve dans aucun autre sport. Faute ? Hors-jeu ? Sortie ? Tout match va de pair avec une contestation permanente de l’arbitrage, à laquelle prennent part aussi bien les joueurs que les spectateurs.

Rivalités ancestrales

Le véritable  » moteur  » du hooliganisme reste néanmoins la rivalité qui oppose les différents clubs. Le match de football ressemble à une mini-guerre entre deux camps qui, souvent, se détestent. Cette hostilité pour l’équipe adverse est particulièrement intense quand l’enjeu est grand : Anderlecht-Bruges, soit la rencontre des deux meilleures formations du championnat belge, est traditionnellement un match  » à risques  » (lire en pages 42-43). Mais les conflits peuvent aussi avoir des racines extra-sportives, et se superposer à des clivages sociaux préexistants. En Italie, les matchs Turin-Naples symbolisent l’antagonisme entre le Nord et le Sud, entre riches et pauvres. Cas extrême : les tifosi napolitains ont été jusqu’à rejouer de façon burlesque la tragédie du Heysel, afin de tourner en dérision les 31 supporters turinois de la Juventus morts ce jour-là. Pareilles rivalités s’expriment au sein même des villes, qui comptent souvent deux équipes, aux publics bien distincts : le Club (laïc) et le Cercle (catholique) à Bruges, l’Olympic (ouvrier) et le Sporting (libéral) à Charleroi, les Rangers (protestants) et le Celtic (catholique) à Glasgow, Fenerbahçe (nouveaux riches) et Galatasaray (vieille bourgeoisie) à Istanbul, etc. Si ces logiques identitaires ont tendance à s’estomper avec le temps, cela n’empêche pas les supporters de conserver un attachement viscéral pour leur club favori… et une haine tenace pour leurs adversaires.  » Quand vous êtes pour Anderlecht, c’est pour toujours. Vous pouvez changer de travail, de femme, de parti politique, mais jamais de club « , remarque Jean-Michel De Waele. Pour les supporters les plus fanatiques, l’engagement doit donc être total. Sans limites.

François Brabant

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