Un mystérieux musée Tchang à Shanghai

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Dans un village de la banlieue de Shanghai, un musée est consacré à Tchang, l’ami d’Hergé et de Tintin. Même le consulat de Belgique n’en a jamais entendu parler !

En 1971, Gérard Valet et Henri Roanne réalisaient Chine, premier reportage étranger sur la vie quotidienne au temps de la Révolution culturelle. Quarante ans plus tard, Roanne se retrouve à Shanghai pour présenter ce film à l’université Fudan. A l’issue de la projection, une étudiante l’interroge sur la place de la Chine dans les manuels scolaires en Belgique.  » Si les écoliers belges connaissent quelque chose de la Chine, répond le coréalisateur [toujours avec Valet] de Moi Tintin, c’est surtout grâce au Lotus bleu !  » La jeune fille lui révèle alors qu’il existe, dans la banlieue de Shanghai, un musée consacré à Tchang, l’ami chinois d’Hergé… et de Tintin.

Roanne se renseigne auprès du consulat de Belgique et de l’Alliance française à Shanghai, mais personne n’a entendu parler d’un musée Tchang. Lia Jia Ying, l’étudiante, propose alors au Belge de lui servir de guide. Rendez-vous est pris à la station de métro Xibao.  » Surnommé « le village aux sept trésors » – une pagode, un moulin, des musées de la soie… -, Xibao est un vieux quartier comme on en voit sur les cartes postales, constate Roanne. Une statue de Zhong Chong Ren, alias Tchang, accueille le visiteur à l’entrée de l’habitation restaurée qui abrite le fameux musée. « 

Un texte introductif indique que  » ce grand artiste chinois a orienté de manière décisive la carrière d’un important créateur mondial de bande dessinée, Georges Remi, dit Hergé « . Des photos, des tableaux, des sculptures et du mobilier font découvrir le peintre et sculpteur avant et après l’épisode du Lotus bleu. Issu d’une famille catholique modeste, Tchang prend ses premières leçons de dessin au collège des jésuites.  » Des photos le montrent acteur de théâtre, décorateur aux studios de cinéma de Shanghai, graphiste et maquettiste d’un magazine d’art contemporain, indique Roanne. Ses calligraphies et ses premières toiles impressionnistes sont exposées.  »

Une histoire composée à quatre mains

En 1931, le jeune Chinois s’installe à Bruxelles nanti d’une bourse d’études. Le musée de Xibao présente des photos de l’Académie royale des beaux-arts, où le talent de Tchang lui vaut d’entrer directement dans la classe supérieure. En trois ans, il accumule les prix de peinture et de sculpture. Il rencontre alors Georges Remi, qui réalisait, pour le quotidien Le Petit Vingtième, une bande dessinée dont le héros est un jeune reporter. Prochaine étape prévue des aventures de Tintin, après l’URSS, le Congo belge, Chicago et le Far West, l’Egypte et l’Arabie : Shanghai !

Les planches du Lotus bleu affichées dans le musée marquent l’entrée de Tchang dans l’£uvre d’Hergé. Car, dès la page 10 de la première version – parue de 1934 à 1936 -, l’histoire est composée à quatre mains. Tchang fait ainsi fleurir, sur les murs de Shanghai, des slogans antijaponais et anti-impérialistes occidentaux calligraphiés en chinois. Des apports qui, comme Benoît Peeters l’écrira dans Tintin, fils d’Hergé, accentuent la portée politique du récit.

 » En revanche, relève Roanne, pour d’autres raisons tout aussi politiques, pas de traces de Tintin au Tibet dans le musée. Une allusion quand même : ma guide me montre une photo sur laquelle Tchang porte une écharpe jaune. Celle qui, dans l’£uvre d’Hergé, met Tintin sur la piste de son ami.  »

Entre-temps, le vrai Tchang, retourné à Shanghai en 1936, s’est plié, sous l’ère Mao, aux exigences artistiques du  » réalisme socialiste « . Des photos illustrent en outre les retrouvailles de Tchang et d’Hergé, en 1981, à Bruxelles-National.  » En 1985, rappelle Roanne, Zhong Chong Ren, lassé par les tracasseries du régime chinois, trouve refuge en France, où il meurt, en 1998, quinze ans après Hergé. Mais cela, le musée de Xibao s’abstient de le signaler. « 

Olivier Rogeau

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