LA MÉDITATION arme anti-stress

La méditation, remède au burn-out et aux effets nuisibles des nouvelles technologies ? En Belgique aussi, cette pratique ancestrale, remise au goût du jour, est devenue un vrai phénomène de société. Bruxelles a même, ces jours-ci, sa grand-messe de la mindfulness.

Cours collectifs de méditation, pauses méditatives sur son lieu de travail, retraites silencieuses de plusieurs jours sans téléphone ni Internet… En Belgique comme ailleurs en Occident, de plus en plus de dirigeants (lire en pages 50 à 52) et de simples citoyens confrontés à un rythme de vie accéléré et aux effets nuisibles des nouvelles technologies recourent à la mindfulness, ou méditation  » pleine conscience  » (lire également Le Vif Weekend, en pages 54 à 57). En début d’année, le magazine américain Time consacrait sa couverture au phénomène, avec un titre évocateur, The Mindful Revolution, tandis que le journal en ligne The Huffington Post proclamait 2014  » Année de la Mindful Living « .

Technique qui plonge ses racines dans la pratique méditative bouddhiste, la pleine conscience est un entraînement de l’esprit qui vise à se libérer des mécanismes automatiques, des ruminations mentales, sources de mal-être ou de détresse psychologique. Elle permet de mieux gérer ses colères, ses frustrations, ses émotions.  » Concrètement, on focalise son attention sur sa respiration, une partie du corps ou un mouvement et, peu à peu, on se familiarise avec la façon dont le mental fonctionne « , explique Gwénola Herbette, psychothérapeute spécialisée dans les troubles anxieux et émotionnels et instructrice mindfulness en Région wallonne.

Ne pas confondre avec la relaxation

Dans la grande salle du Centre Psyris, un centre de thérapie et de formation situé à Uccle, une quinzaine de personnes suivent un cours de méditation pleine conscience. Les deux tiers sont des femmes, pour un tiers d’hommes.  » Ils et elles sont là pour des raisons professionnelles ou de vie privée, indique David Vandenbosch, l’un des psychologues du centre. Beaucoup ont des journées trépidantes et de lourdes responsabilités. Ils sont facilement irritables, ne supportent pas les imprévus, peinent à trouver la concentration et le sommeil.  » Les séances durent deux heures et demie, à raison d’une séance par semaine.  » La première est surtout centrée sur le body scan, poursuit le psychologue : on porte son attention sur différentes parties du corps. Lors des séances suivantes, on se concentre sur sa respiration, sa météo interne, ses sensations corporelles, ses pensées qui partent dans tous les sens. Ce n’est pas de la relaxation, mais un déplacement de l’attention pour pouvoir sortir du  »pilotage automatique ».  »

Les cycles de mindfulness proposés en Belgique suivent un programme élaboré aux Etats-Unis dès la fin des années 1970 par le Pr Jon Kabat-Zinn, docteur en biologie moléculaire. Créé au sein de la clinique qu’il dirige à la Faculté de médecine de l’université du Massachusetts, ce protocole de huit semaines a été baptisé  » Réduction du stress basée sur la pleine conscience  » (Mindfulness-based Stress Reduction, MBSR). Kabat-Zinn définit la mindfulness comme  » un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment « .

Pas de connotations religieuses ou mystiques

Si cet enseignement connaît aujourd’hui un succès planétaire, c’est sans doute parce qu’il est dépourvu de toute connotation religieuse ou mystique. Mais aussi parce que des recherches scientifiques en ont étayé les effets : depuis une dizaine d’années, des neuroscientifiques, dont Richard Davidson, de l’université de Madison, explorent l’impact de la méditation sur l’être humain.

Du programme MBSR est né, en 2002, le protocole MBCT ( » Thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience « ). Conçu par les chercheurs Zindel Segal, Mark Williams et John Teasdale, il vise à prévenir la rechute dépressive. Selon le très médiatique psychiatre français Christophe André, l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation en psychothérapie, le MBCT donne de meilleurs résultats que les traitements antidépresseurs classiques.  » La pleine conscience stabilise durablement les humeurs et permet aux patients de reprendre leur mieux-être en main, sans médicaments ni effets secondaires « , assure l’auteur de Méditer, jour après jour.

L’imagerie médicale a validé ce constat. Plus largement, la recherche a révélé que la pratique quotidienne de la méditation provoque une restructuration fonctionnelle et structurelle du cerveau.  » La méditation active des zones cérébrales et en désactive d’autres, telle que l’amygdale, sentinelle d’alarme qui déclenche le stress, la colère et l’anxiété, explique Ilios Kotsou, spécialiste en psychologie des émotions et auteur du livre Eloge de la lucidité. On a également constaté que la méditation modifie le volume de certaines aires cérébrales. Ainsi, les zones liées à la mémoire gagnent en densité.  » La pleine conscience aurait aussi des effets bénéfiques sur la concentration et la créativité. D’où son utilisation de plus en plus répandue sur le lieu de travail.

Quand la Silicon Valley se déconnecte

Méditer pour mieux manager ? Mieux se connaître ? Etre plus à l’écoute des autres ? La plupart des patrons de l’industrie high-tech californienne en sont persuadés. Dans une Silicon Valley vouée à toutes les formes de l’hyper-connexion, les leaders des entreprises les plus influentes – Google, Twitter, Facebook, LinkedIn… – vantent depuis trois ou quatre ans déjà la déconnexion. En clair, on met de temps à autre sur  » off  » son smartphone, sa tablette ou son ordinateur pour s’adonner à la méditation. Outil de prévention contre le burn-out, la démarche vise aussi, assurent ses promoteurs, à apaiser les relations de travail et à encourager l’engagement social et la  » compassion « , sans perdre de vue le sacro-saint culte de la performance.

Le paradoxe peut surprendre : Google, dont les bénéfices augmentent plus les internautes privilégient ses services et passent du temps à consulter des vidéos sur YouTube, se profile comme l’entreprise la plus en pointe dans l’encouragement à la pratique méditative. A tel point que les Googlers ne parlent pas de  » méditation « , mais de  » G-Pause « . Tous les deux mois, le géant d’Internet organise pour ses cadres stressés des mindful lunches, des déjeuners silencieux ponctués par le son de cloches tibétaines. Début 2014, plus d’un millier de membres du personnel avaient déjà suivi les enseignements de Chade-Meng Tan, un ingénieur originaire de Singapour, pilier de la société et créateur du célèbre programme Search Inside Yourself (SIY).

Son livre au titre éponyme, un best-seller outre-Atlantique, est sorti cette année en français (Connectez-vous à vous-même), accompagné d’une grande campagne de presse orchestrée par l’éditeur Belfond. En visite chez Google, des VIP comme Barack Obama, le dalaï-lama, Bill et Hillary Clinton, Al Gore ou Jane Fonda n’ont pas manqué d’aller saluer celui que l’on surnomme le  » fou sage  » ou le  » jolly good fellow  » ( » super bon camarade « ). Initié aux nouvelles recherches sur la neuro-plasticité du cerveau et l’intelligence émotionnelle,  » Meng  » dit vouer sa vie au bonheur et à la paix dans le monde. Il prône la  » bienveillance « , attitude qui permettrait de réguler ses émotions et d’être plus efficace au travail. Ou quand sagesse rime avec business.

Wisdom 2.0 traverse l’Atlantique

Les adeptes de la méditation pleine conscience ont leur conférence de référence, la très prisée Wisdom 2.0 (Sagesse 2.0), organisée à San Francisco, puis à New York. Ce mois-ci, cette grand-messe des nouveaux méditants s’est, pour la première fois, tenue en Europe, signe de l’intérêt croissant suscité de ce côté-ci de l’Atlantique par d’anciennes techniques orientales remises au goût du jour : du 16 au 18 septembre, le QG européen de Google, à Dublin, a rassemblé des patrons d’entreprise, des spécialistes des neurosciences et autres apôtres de la mindfulness.

La première session n’avait attiré que 300 personnes. Les dernières se sont déroulées à guichets fermés, avec plus de 1 700 participants. L’initiative de ce rendez-vous revient à Soren Gordhamer, qui tire la sonnette d’alarme sur les risques d’addiction à Internet. Dans son livre, Wisdom 2.0, il appelle à un rééquilibrage entre temps réel et temps passé en ligne. Sans renier les nouvelles technologies, il reconnaît qu’être sous tension ou diverti sans répit entraîne nervosité, déconcentration et apathie. La mindfulness offrirait une réponse à une décennie d’hyperstimulation.

Bruxelles a aussi sa grand-messe

Bruxelles n’est pas en reste. Ces 26 et 27 septembre, la pleine conscience sera à l’honneur lors de deux journées de conférences et de méditation organisées par Emergences, une association qui programme toute l’année des cycles de mindfulness. La  » connaissance de soi  » sera le thème central des conférences du 26 (au Théâtre Saint-Michel, à Etterbeek), auxquelles participeront deux des plus célèbres vulgarisateurs de la méthode : Matthieu Ricard, auteur de L’Art de la méditation et traducteur français du dalaï-lama, et le psychiatre Christophe André, déjà cité. Autres invités : l’écrivain et philosophe suisse Alexandre Jollien, le paléoanthropologue Pascal Picq et José Le Roy, spécialiste de la philosophie indienne.

Le lendemain, le centre culturel d’Auderghem accueille près de 700 personnes pour deux heures de méditation en compagnie des mêmes intervenants, rejoints par le psychiatre Christophe Massin, auteur de Souffrir ou aimer – transformer l’émotion. La pianiste Maria João Pires assurera les intermèdes musicaux. Signe de l’intérêt porté à la pratique de la méditation, les conférences du 26 sont sold-out depuis des mois (1 400 inscrits).  » Vous n’y verrez pas des illuminés ou des adeptes du New Age, mais des dirigeants et cadres d’entreprise, des médecins et des psychiatres, des quadras et des quinquas en quête d’un changement de vie ou de carrière et des plus jeunes engagés pour un monde plus altruiste « , assure Ilios Kotsou, cofondateur d’Emergences.

La méditation pleine conscience n’échappe pas aux dérives mercantiles. En Belgique, des thérapeutes, des  » guides  » au discours ésotérique et autres  » coaches personnels  » qui promettent la paix intérieure surfent sur le succès de la méthode. Pour donner une légitimité à leurs pratiques dépourvues de rigueur scientifique, ils leur accolent l’appellation  » pleine conscience « .  » Sur leurs sites, ils affichent les résultats d’études consacrées à la mindfulness, mais en respectent-ils les principes et le protocole ? se demande Ilios Kotsou. Ils vous assurent qu’en deux demi-journées de formation et trois paroles à prononcer, vous serez débarrassé à vie de votre stress ! Or, la méditation est une discipline contraignante et de longue haleine.  »

Le succès actuel des stages MBSR de huit semaines et des livres consacrés à la mindfulness tient à la forme laïque de la méthode et à sa validation par les neurosciences et les sciences en général. Les ministères de la Santé américain et britannique reconnaissent officiellement les mérites de la pleine conscience. La méditation entre dans les écoles de Grande-Bretagne et, au Parlement de Londres, une centaine de députés et lords suivent une formation depuis janvier 2013. En Belgique, la plupart de nos institutions ignorent encore la pleine conscience, même si la thérapie fondée sur cette pratique est appliquée dans quelques services hospitaliers : Erasme suit le programme MBSR originel, l’UCL le protocole MBCT adapté à la dépression nerveuse…

La méditation trouve sa place à l’hôpital

La psychiatre Françoise Dumont et le psychothérapeute Jacques Splaingaire ont implanté le protocole MBCT à l’hôpital Vincent Van Gogh de Charleroi.  » Au début, nous avons subi quelques sarcasmes, témoigne Jacques Splaingaire, ancien international de judo venu à la méditation par le zen. Mais aujourd’hui, de nombreux médecins ont suivi nos cycles. La pleine conscience ne suscite plus de réelle méfiance dans le monde des psychiatres et des psychologues. Depuis deux ou trois ans, le public s’est élargi à des cadres du secteur bancaire et à des enseignants qui peinent à s’adapter à l’évolution de leur métier et présentent des risques de burn-out.  » Le formateur confie qu’il est lui-même adepte des retraites silencieuses dans des communautés chrétiennes et bouddhistes,  » sans pour autant adhérer à aucun dogme religieux « , s’empresse-t-il d’ajouter.

Par Olivier Rogeau

 » La thérapie fondée sur la pleine conscience est appliquée dans quelques hôpitaux belges  »

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