Bart De Wever © Serge Baeken

Erreurs historiques: Bart De Wever sous-estime-t-il son public?

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Bart De Wever est connu pour ses connaissances de l’histoire latine et romaine. Cependant, la lecture de son dernier livre révèle que le président de la N-VA se sert de ses connaissances historiques de manière de plus en plus négligente. N’utilise-t-il pas un peu trop le passé pour légitimer son propre discours politique ?

Errare humanum est, perseverare diabolicum (L’erreur est humaine, persévérer dans son erreur est diabolique)

« Nil volentibus arduum », « rien n’est impossible pour ceux qui le veulent ». Neuf ans après que Bart De Wever a prononcé ces mots, cette phrase historique exprime toujours le vrai sens des élections de 2010. Avec sa citation latine, De Wever n’a pas seulement souligné la prise du pouvoir politique par la N-VA, il s’est également profilé comme un homme politique hors catégorie. Depuis lors, le latin et les références à l’antiquité classique font partie du « personnage De Wever », et cela fonctionne. Une grande partie de l’opinion publique flamande admire l’homme cultivé qu’est De Wever, la manière dont il se sert de 2000 ans d’histoire pour voir plus loin que les autres politiciens belges. Le président de la N-VA cultive soigneusement cette image.

Dans son dernier livre, Over identiteit (Sur l’identité), De Wever exhibe ostensiblement sa connaissance de l’antiquité classique. Il impressionne également d’autres historiens : lors de la présentation du livre, le recteur de l’Université d’Anvers, Herman Van Goethem, lui-même historien de renom, s’est chargé de l’introduction. De Wever était ravi de l’éloge de l’éminent orateur. Van Goethem appréciait, entre autres, la « connaissance de la Rome antique » de De Wever : elle s’avère être « plus qu’un simple loisir ».

En tant qu’auteur, De Wever prend au sérieux ses références à l’antiquité. Le chapitre d’introduction s’intitule ‘Ab Urbe Condita’ (‘Depuis la fondation de la ville’). C’est une métaphore de la relation des Romains avec leur propre histoire, et de la façon dont ils percevaient leur propre identité. C’est de cela dont il s’agit dans ce livre, comme en témoignent les premières phrases du premier paragraphe : « Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que la citoyenneté ? Devrions-nous lier la citoyenneté à l’identité, ou ne devrions-nous pas le faire ? Qui en fait partie et qui n’en fait pas partie? » D’entrée de jeu, De Wever donne une leçon d’histoire au lecteur: « Les Grecs l’ont résolu de manière simple: il y avait des Grecs et des barbares. Ceux qui n’étaient pas grecs étaient des barbares. Celui qui est né en Attique de parents grecs était l’un d’eux, mais pas les autres. On ne pouvait pas devenir athénien, quels que soient les efforts fournis. »

La citoyenneté à la grecque

Ce passage est rédigé dans le style caractéristique de De Wever : la vérité historique est sans ambiguïté et peut donc être résumée. Et ce n’est pas un hasard si les parallèles entre les événements d’il y a 2000 ans et le débat politique actuel sont frappants. Ce n’est pas que De Wever veuille propager le modèle athénien. Il se reconnaît dans la « citoyenneté inclusive » de l’empereur romain Claude (10 avant J.-C. – 54 après J.-C.) : « En fait, Claude a écrit le programme N-VA d’intégration. Si les nouveaux arrivants s’efforcent de s’adapter à nos coutumes et à nos habitudes, il faut être généreux et ne pas tomber dans le piège du racisme ».

Néanmoins, De Wever cite l’exemple athénien pour montrer qu’à l’époque aussi il y avait des alternatives strictes. Malheureusement, son résumé de la citoyenneté athénienne n’est pas correct. C’est-à-dire : en 451-450 av. J.-C., l’homme d’État athénien Périclès (495-429 av. J.-C.) instaure effectivement des lois strictes et restrictives sur la nationalité et la citoyenneté. Dès lors, pour être un vrai citoyen athénien, il faut naître d’un père athénien et d’une mère athénienne, tous deux ayant des droits civils. Il ne suffit donc plus qu’un étranger épouse une Athénienne pour que ses enfants aient un jour des droits civils : après la réforme de Périclès, ils en sont exclus.

Cependant, la citoyenneté athénienne n’était pas aussi hermétiquement scellée que De Wever le laisse entendre (« On ne pouvait pas devenir athénien, quels que soient les efforts fournis »). C’est ce qui ressort clairement du doctorat que M.J. Osborne a obtenu en 1981 à l’Université de Louvain, Naturalization in Athens (Naturalisation à Athènes). Rien que le titre nous apprend que De Wever tire des conclusions un peu hâtives: il y avait bel et bien des procédures de naturalisation dans l’Athènes classique. Ce doctorat a 40 ans, mais les sources anciennes sur lesquelles l’auteur s’est appuyé (principalement des preuves de naturalisation) sont toujours valables. Le système était moins fermé que ce que prétend De Wever. De plus, selon Osborne, au VIe siècle av. J.-C., le législateur mythique Solon (vers 636 – vers 558 av. J.-C.) avait délibérément ouvert la citoyenneté athénienne. Selon Osborne, c’est « un fait que Solon a encouragé, ou du moins permis, l’immigration en Attique (la péninsule sur laquelle Athènes est située, ndlr), et ces immigrants et/ou leurs descendants sont devenus citoyens athéniens ».

Et même après la modification de la loi par Périclès , la possibilité de naturalisation continue d’exister. Seule l’application des règles de naturalisation a changé au fil des ans. Initialement, on offre surtout la « citoyenneté d’honneur », purement honorifique, à des chefs d’État étrangers ou des administrateurs de villes. Par la suite, on admet également des étrangers connus pour leurs opinions pro-athéniennes. En outre, Athènes utilise également la naturalisation comme instrument de ce que l’on appelle aujourd’hui une « fuite des cerveaux » : des scientifiques et des artistes d’ailleurs peuvent être naturalisés à Athènes pour devenir des citoyens à part entière. Et certainement à partir du IIIe siècle, les métèques ordinaires ou  » étrangers « , qui séjournaient parfois à Athènes depuis des générations, peuvent aussi être naturalisés. Ils n’ont même pas besoin d’être grecs : sur les décrets de naturalisation qu’il a examinés, Osborne découvre également des noms typiques d’Asie Mineure. Même le terme barbaroi (« étranger ») a connu une évolution à Athènes aux IIIe et IIe siècles avant Jésus-Christ.

En général, comme l’observait Osborne il y a quarante ans avec un certain étonnement (et le parallèle avec le débat social est encore visible aujourd’hui), les administrations de villes oligarchiques élitistes étaient plus enclines à traiter plus librement les règles de naturalisation, alors que les conseils démocratiques (où le peuple avait plus à dire à ce sujet) étaient beaucoup plus réticents à ouvrir leur citoyenneté aux « étrangers ».

Quoi qu’il en soit, la réalité athénienne était beaucoup plus nuancée que le résume De Wever, voire même en contradiction.

Pas de César tout compte fait

Pourquoi le président de la N-VA se rend-il coupable de telles « négligences » ? Gageons que l’historien Bart De Wever est avant tout un connaisseur des « temps d’or » et des périodes de gloire, comme « l’âge d’or de Périclès » – et que le fait qu’Athènes avait des lois différentes en d’autres temps lui a échappé.

Même quand il se réfère à l’histoire romaine, De Wever semble se reconnaître surtout dans la Rome de la République tardive et du début de l’Empire, à l’époque de personnages célèbres comme Jules César, Marcus Tullius Cicéron et des empereurs comme Auguste et Claude. Il s’identifie même à un certain nombre de protagonistes de l’époque. Il déclare au journal De Tijd : « Auguste a pu consolider son pouvoir en mettant en oeuvre des réformes économiques et fiscales. Je me reconnais là-dedans. » Et dans le Gazet van Antwerpen : « Je prends exemple sur Cicéron ». C’est même contagieux: en 2017, des journalistes de De Tijd ont demandé sérieusement à De Wever: « Bien plus qu’un Cincinnatus, il y a un Auguste en vous » (Cincinnatus a été nommé deux fois dictateur au Ve siècle avant Jésus-Christ, a résolu les problèmes en quelques jours, et a immédiatement rendu son pouvoir absolu au Sénat, NDLR). Ce à quoi De Wever a répondu: « Quand j’étais jeune homme, Jules César était tout pour moi. Mais une révolution rapide et puis 23 couteaux dans le corps ? En vieillissant et en devenant plus sage, je me rends compte que, comme Auguste, il vaut mieux ralentir et faire quelques concessions et compromis pour devenir le père de la civilisation occidentale ».

Cependant, une autre lecture des personnages tant admirés par De Wever est possible. En 2003, l’auteur controversé de gauche Michael Parenti fait même partie des finalistes du Prix Pulitzer grâce à son livre The Assassination of Julius Caesar. Parenti y dépeint Cicéron comme un politicien sans scrupules qui met son talent verbal au service de la fraction la plus éhontée et machiavélique du soi-disant « Parti du Sénat » – c’est-à-dire de l’élite conservatrice. Tout opposant politique qui ose défendre (un peu) les droits sociaux est insulté et criminalisé par Cicéron. C’est le destin de Catilina – l’image que Cicéron a créée de cet homme a résisté à l’épreuve du temps. Cicéron justifie le meurtre de Jules César pour la même raison. Une telle perspective est totalement absente de l’image que De Wever présente de la Rome antique dans la presse flamande. Même à cette époque, les tensions sociales sont souvent la véritable cause des luttes politiques. L’écriture historique est comme la politique : la perspective de l’observateur détermine presque toujours ses conclusions.

Bart De Wever
Bart De Wever© Frederic Sierakowski / Isopix

Devenir européen

Bien sûr, dans un essai aussi concis, il n’est pas possible de développer en détails toutes les références à l’antiquité classique. Comme De Wever l’indique lui-même : « Toute comparaison est imparfaite » – dans sa langue préférée : « Omnis comparatio claudicat ». En attendant, cependant, il compare à qui mieux mieux. Ainsi, De Wever se sert de l’histoire comme un miroir pour une question progressivement devenue essentielle pour la N-VA : quelle doit être la relation de la Flandre envers une religion comme l’Islam ? Et les musulmans ? Dans son livre De Wever ne tranche pas vraiment. Il explique que nous ne devons pas nous perdre dans un relativisme culturel impie, mais qu’en tant que société, nous devons à nouveau oser propager une culture de leadership éclairée, basée sur les valeurs des Lumières. Sous ce parapluie, il y a évidemment de la place pour (la majorité) des nombreux musulmans qui vivent déjà dans ce pays. C’est le point de départ. De Wever complète ensuite son propos par des exemples qui illustrent surtout à quel point la relation entre les musulmans et le « nous » est problématique. Pour une fois, ses références historiques ne datent pas de l’Antiquité classique, puisque l’Empire romain d’Occident n’a pas survécu au Ve siècle et que le prophète Mahomet (570-632) n’a vécu qu’aux VIe et VIIe siècles.

Non, De Wever parle de la bataille de Poitiers de 732, où le chef militaire franc Charles Martel (le grand-père de Charlemagne) a vaincu une armée musulmane. De Wever attache une grande importance à la valeur symbolique de cette victoire qui, selon lui, a incité les vainqueurs à se considérer pour la première fois comme des « Européens » : le terme latin « Europenses » apparaît pour la première fois dans les chroniques qui décrivent cette bataille. Ainsi, selon De Wever, pour la première fois, les Européens se considéraient comme européens « au moment où ils sont confrontés à la menace extérieure de l’Islam ». Il soutient même prudemment la thèse de l’oeuvre autrefois pionnière de l’historien belge Henri Pirenne, Charlemagne et Mahomet (1937), dépassée depuis longtemps par les recherches historiques ultérieures. Pirenne y affirme qu’une véritable rupture avec l’antiquité classique n’est apparue que lorsque l’Islam a entamé son expansion rapide. Une déclaration discutable, admet De Wever: « Mais le fait que ‘sans Mahomet, il n’y aurait pas eu de Charlemagne’, a du sens. C’est l’Islam qui enflammerait l’idée de l’Europe. » Sa conclusion : l’identité européenne s’est développée « en relation et en antagonisme avec le monde islamique ».

De Wever utilise cette explication d’identité pour violer la vérité historique. Et pas seulement parce qu’il exagère grossièrement l’importance historique de la bataille de Poitiers. En réalité, il ne s’agissait pas d’un choc de civilisations, mais d’une escarmouche entre une armée franque et une troupe mauresque qui s’était aventurée trop loin au nord. Par la suite, la bataille de Poitiers est devenue l’objet de propagande politique. En France, les milieux chrétiens d’extrême droite et traditionalistes célèbrent encore la bataille comme le moment décisif où l’Occident chrétien a définitivement mis fin à l’expansion islamique, du moins dans cette partie du monde.

Païens européens

Cette dichotomie antagoniste entre l’Occident chrétien et l’Orient islamique ne se produit pas non plus sous le petit-fils de Charles Martel, Charlemagne (742/746/747?-814), qui réussit à unir une grande partie de l’Europe dans son empire carolingien. Cependant, contrairement à ce que De Wever suggère, cela n’avait pas grand-chose à voir avec la propagation fulgurante de l’Islam au VIIe et au début du VIIIe siècle. La politique de Charlemagne est décrite en détails dans la biographie monumentale Karl der Grosse – Gewalt und Glaube (2013) du célèbre médiéviste allemand Johannes Fried. En effet, Charles est un empereur chrétien, un combattant pour sa foi, le meilleur allié du pape. Toute sa vie, il lutte avec dévouement contre les païens et les non-croyants. Seulement : la quasi-totalité d’entre eux sont des « Européens ». Pendant plus de trente ans, de 772 à 804, il ne combat pas seulement les Frisons et les Danois païens, mais aussi les Saxons, officiellement parce que selon l’écrivain carolingien Einhard, ils sont « dévoués à un culte diabolique ». Lors du prétendu massacre de Verden en octobre 782, il fait décapiter plusieurs milliers de Saxons. Ces guerres de conversion intra-européennes sont particulièrement cruelles.

Entre-temps, les musulmans sont principalement des tiers intéressés. Les empereurs byzantins de Constantinople craignent que le calife de Bagdad, qui menaçait leur empire depuis l’est, ne s’allie au nouvel empereur à l’ouest : Charles. Cette crainte n’est pas sans fondement. En 777, un important envoyé musulman apparaît soudain à la cour de Charles à Paderborn : Sulaiman Al-Arabe, le gouverneur de Barcelone. Il fait appel à Charles pour l’aider dans sa lutte contre l’émir de Cordoue, de la dynastie des Omeyyades. Peut-être Al-Arab voulait-il se faire bien voir par le calife Abbasiden de Bagdad. Sans vraiment s’en rendre compte, Charlemagne est ainsi entré dans un conflit interne arabe. Au début, cela s’est terminé de façon désastreuse. Lors de la retraite de ses armées sur le col pyrénéen de Roncevaux en 778, des combattants basques, peut-être soutenus par des soldats islamiques, détruisent l’arrière-garde de Charles sous la direction du noble franc Hruodland – plus tard ce malheureux paladin sera chanté sous le nom du héros « Roland ». Ce n’est qu’en 795 que Charles finit par conquérir un certain nombre de territoires du nord de l’Espagne à partir des Omeyyades. Mais cette action militaire n’était en aucun cas le résultat d’une profonde et fondamentale fracture culturelle entre chrétiens européens et arabo-musulmans.

Bien au contraire. Tandis que Charlemagne conserve toujours une grande méfiance envers les empereurs romains orientaux, des contacts diplomatiques sont établis avec les Abbassides. En 802, le calife Harun ar-Rashid lui offre un éléphant indien, appelé Abul-Abbas, en signe d’appréciation. L’animal devait vivre à la cour de Paderborn jusqu’en 810, mais décède pendant une campagne militaire. Les relations se refroidissent lorsque Charles apprend que le calife a entre-temps ouvert une chasse aux chrétiens et aux juifs à Jérusalem. L’empereur renonce néanmoins un conflit armé avec les Abbassides. Il se limite à soutenir financièrement les chrétiens en danger. Contrairement au résultat de la leçon d’histoire de l’identité de De Wever, Johannes Fried conclut que les contacts diplomatiques entre Charlemagne et les califes de Bagdad donnent lieu à une période de détente assez unique.

Certes, à partir du XIe siècle, il y a des croisades, et même en 1683, les Ottomans assiègent Vienne – en vain. Mais même alors, il n’est pas question d’un camp chrétien européen unifié contre les envahisseurs islamiques. Le roi français Louis XIV est un ennemi de l’empereur autrichien Léopold Ier et regrette que le sultan ottoman n’ait pas réussi à prendre Vienne.

« Limites poreuses »

On peut se poser la question : pourquoi Bart De Wever inclut-il des digressions historiques aussi dépassées sur Poitiers et Charlemagne dans un essai sur « notre » identité moderne ? Ne sait-il pas que les exemples historiques pris hors contexte ont toujours été utilisés pour attiser les tensions nationalistes ou religieuses ? Est-il vraiment extrêmement pessimiste quant à la place de l’Islam dans une démocratie occidentale éclairée ? Ou ne pourrait-il pas s’empêcher d’amadouer un peu avec des futilités historiques ? Ou est-ce un peu des deux : aime-t-il utiliser un exemple historique pour donner un cachet intellectuel à une discussion politique, et y ajouter son grain de sel?

Cela semble certainement le cas de sa vision de la fin de l’Empire romain. Bien que De Wever reconnaisse que les causes sont « multiples », il parle surtout de l’échec de la surveillance des frontières de l’empire – un passage que Theo Francken aura lu avec approbation. « Le plus gros problème de Rome était que l’empire était devenu poreux », écrit De Wever. « Les légions ne peuvent plus garantir les frontières, ce qui signifie qu’elles sont régulièrement rompues et que de nouvelles masses de gens se fraient un chemin dans l’Empire à la recherche d’une vie meilleure. Il continue : dans un premier temps, on s’est efforcé d’intégrer ces populations immigrées dans le système social romain. Mais le processus qui a garanti le succès de Rome pendant des siècles a été surchargé. Les nouveaux sujets germaniques n’ont pas été évoqués dans l’histoire de Rome. (…) La capacité d’absorption culturelle a été dépassée. C’était trop en trop peu de temps. »

Cela peut sembler plausible, mais il s’agit d’une accumulation de vieilles connaissances historiques qui ne résistent plus à l’épreuve de la plupart des recherches scientifiques récentes. Il y a pourtant des bibliothèques remplies de recherches historiques et archéologiques sur cet imposant système frontalier romain de milliers de kilomètres de long, depuis le nord de l’Écosse jusqu’à la région frontalière russo-ukrainienne en passant par la Crimée et le pays de transition entre l’Égypte et le Soudan. Rome and its Frontiers – the Dynamics of Empire (2004) est une synthèse excellente et très lisible de l’historien de Cambridge Charles R. Whittaker, spécialisé dans ce domaine. Il explique que les objectifs de la politique frontalière romaine sont en contradiction avec l’image que nous en avons aujourd’hui. En réalité, les Romains n’ont aucunement l’intention d’empêcher toutes ces tribus germaniques, africaines et asiatiques d’entrer dans le pays. Au contraire, les empereurs sont généralement loués pour avoir amené un groupe de paysans ou de soldats étrangers dans l’Empire romain pour récupérer des terres ou renforcer l’armée. Il serait donc tout à fait erroné de considérer les frontières romaines comme un rideau de fer avant la lettre. Les frontières romaines étaient à l’opposé des ‘frontières fixes’ devenues si caractéristiques des États-nations modernes », écrit Whittaker. Rome savait par expérience que l’ouverture des frontières aux « nouveaux arrivants pauvres et ambitieux » était une formule réussie pour la stabilité politique. Sans immigration, l’empire romain aurait peut-être implosé beaucoup plus tôt : entre 350 et 476, pas moins d’un quart des officiers des légions étaient issus de l’immigration.

Nouveaux venus loyaux

Bart De Wever écrit encore en 2019 que « la loyauté des nouveaux venus ne reposait plus sur la Rome ‘éternelle’, mais sur les souverains locaux qui se transformaient en rois ». Whittaker a déjà expliqué en 2004 que c’était le contraire. Les nouveaux arrivants étaient précisément les fonctionnaires les plus loyaux : « Il n’y a pas un seul exemple connu de personne qui soit revenue. » L’auteur cite l’exemple du général ‘semi-barbare’ Stilicon – dont le père était un Vandale. Alors que les empereurs faibles comme Honorius et Arcadius ne savaient plus à quel saint se vouer, Stilicon mena les armées romaines contre le seigneur de guerre wisigoth Alarik. Il le vainc à plusieurs reprises. Ce n’est qu’après la mort de Stilicon qu’Alarik sera le premier chef germanique à occuper Rome en 410.

Il y a quinze ans, Whittaker concluait : « Il y a une leçon à tirer de la politique romaine d’hébergement et d’ouverture des frontières, le long de laquelle les soi-disant barbares ont migré et ont ensuite été intégrés. Le résultat n’est pas ce que nous avons l’habitude de voir comme ‘Le déclin et la chute de l’Empire romain’ (d’après le titre de l’oeuvre historique impressionnante, mais dépassée d’Edward Gibbon, du XVIIIe siècle, NDLR). Cela signifiait transition, changement même si ce n’est peut-être pas l’idée la plus confortable pour l’Europe du XXIe siècle. Un peu malicieux, ce connaisseur de l’antiquité ajoute à la page 191 que « ce serait peut-être trop demander » de « lire les idées récentes des historiens spécialisés dans l’antiquité, avant de citer des exemples de l’histoire romaine ».

La thèse centrale développée par Bart De Wever dans son livre, à savoir que la citoyenneté bénéficie d’une culture de leadership ouverte, chaleureuse et éclairée, mérite bien une discussion. Mais pourquoi laisse-t-il envahir un débat politique par des « arguments » historiques mal formulés, mal résumés ou complètement dépassés ? Parce que personne ne peut ou n’ose le contredire sur la citoyenneté à Athènes, la politique frontalière romaine ou la politique étrangère carolingienne ? Parce qu’il sait qu’il surpasse son public ? Le président de la N-VA aurait mieux fait de se protéger de son excès de confiance et de vanité.

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