Comment les partis jouent avec vos voix pour gagner

Les présidents placent leurs pions sur les listes et jonglent avec les contraintes grâce à des logiciels pour utiliser vos votes et verrouiller au maximum la triple élection du 25 mai prochain. Voici leur stratégie, décodée en exclusivité.

La confection des listes va bon train pour la  » Mère de toutes les élections  » du 25 mai. Régionales, fédérales, européennes : la concomitance des scrutins contraint les présidents de parti à se comporter en Mourinho, en entraîneur de la politique pour conquérir les voix des citoyens. Rien n’est laissé au hasard. Dans les états-majors des partis, des logiciels tournent pour réaliser des simulations tenant compte des résultats des scrutins précédents et des sondages.

Pascal Delwit, politologue de l’ULB, s’est prêté à l’exercice pour Le Vif/L’Express en endossant le costume de Paul Magnette (PS), Charles Michel (MR), Benoît Lutgen (CDH), Emily Hoyos et Olivier Deleuze (Ecolo), Olivier Maingain (FDF) ou encore Raul Hedebouw (PTB-GO). Reposant sur cinq consignes élémentaires (lire l’encadré en page 21), voici leurs stratégies décodées.

BRUXELLES Tous à l’attaque du PS, le MR en premier

Chambre 2010 : 5 MR ; 4 PS ; 2 Ecolo ; 2 CDH.

Pronostic 2014 : 4 MR ; 3 PS ; 2 CDH ; 2 Ecolo ; 2 FDF.

Région 2009 : 24 MR (13 MR et 11 FDF suite au divorce) ; 21 PS ; 16 Ecolo ; 11 CDH.

Pronostic 2014 : 18 MR ; 16 PS ; 13 Ecolo ; 12 CDH ; 12 FDF ; 1 PTB-GO

La capitale sera le théâtre d’un combat crucial : MR contre PS, Reynders contre Onkelinx. Enjeu ? Le premier parti à Bruxelles s’invitera potentiellement à la table des négociations aux autres niveaux de pouvoir.

Laurette Onkelinx, présidente de la fédération bruxelloise du PS, est sur la défensive.  » Sa situation est difficile, analyse Pascal Delwit. Le PS ne devrait pas être premier à la Chambre, vu le vote des francophones de la périphérie. Elle sera peut-être première dans les dix-neuf communes de la Région, mais c’est invendable dans les médias. Impossible de savoir si elle fera plus de voix de préférence que Reynders et Maingain. Le PS pourrait être premier à la Région, mais il n’est pas sûr que le ministre-président Rudi Vervoort y arrive avec une liste composée de mandataires locaux. Enfin, la vice-Première ministre CDH Joëlle Milquet peut engranger le plus grand nombre de voix de préférence à la Région. Le PS pourrait ne pas être premier nulle part.  »

Les autres présidents sont à l’attaque face aux socialistes. Le vice-Premier fédéral Didier Reynders, président du MR bruxellois et tête de liste à la Chambre, a fait de la première place une priorité, même suite à la rupture avec le FDF. Une alliance objective qu’il partage avec son président Charles Michel : il a les coudées franches.  » Je serais assez affirmatif quant à ses chances d’y arriver, souligne le politologue. Il est peu probable que le PS dépasse le MR à la Chambre, même s’il est possible que les transferts de Damien Thiéry (du FDF au MR), et de François van Hoobrouck d’Aspre (du MR au FDF) tirent le MR et le FDF vers le bas, les électeurs sanctionnant ces petits jeux malsains.  » Reynders pourrait utiliser cette place pour concrétiser une de ses ambitions : Premier ministre, ministre-président bruxellois ou… à nouveau président de parti. Cet appétit dévorant fait de l’ombre à la liste régionale, emmenée par le député-bourgmestre, Vincent De Wolf.

Deux autres présidents ont opté pour l’offensive : Olivier Maingain (FDF) et Benoît Lutgen (CDH).  » Le FDF a fait un choix régional costaud : Didier Gosuin est fort à la Région, Bernard Clerfayt fera beaucoup de voix à Schaerbeek, Evere et le nord-est de Bruxelles, Caroline Persoons et Joëlle Maison sont bien implantées dans leurs fiefs de Woluwe-Saint-Pierre et d’Uccle.  » Quant au CDH…  » Benoît Lutgen fait un bon calcul en contraignant Joëlle Milquet à être tête de liste régionale, contre l’avis de la principale intéressée. Contrairement à la Chambre, il y a des sièges à gagner. Mais les présidents sont cyniques, aussi : en écartant Milquet du fédéral, Benoît Lutgen ouvre la voie à un Melchior Wathelet vice-Premier ministre.  »

Les faiblesses ? Le duo Delpérée (député fédéral) -Frémault (ministre régionale) à la Chambre.  » Ils ne représentent qu’un pan du CDH et le sud-est de Bruxelles, souligne Pascal Delwit. Le nord de la Région et l’électorat d’origine étrangère sont oubliés. Mais c’est sans risque : le CDH est assuré de garder ses deux sièges à la Chambre.  » Ecolo a davantage de craintes à avoir.  » Zakia Khattabi va bénéficier de la pub qu’elle s’est faite lors de sa confrontation avec la secrétaire d’Etat Maggie De Block, mais Ecolo n’est pas dans les vents ascendants. A la Région, je suis dubitatif : le secrétaire d’Etat Christos Doulkeridis n’est pas une locomotive électorale.  »

Le parlement régional risque en outre d’être fragmenté : le PTB-GO, ProBruxsel, le parti Pirate et le BUB vont utiliser le mécanisme du groupement de listes et pourraient dépasser le seuil des 5 % nécessaires pour obtenir un élu.

BRABANT WALLON André Antoine à l’abri du match MR-PS

Chambre 2010 :

2 MR ; 1 PS ; 1 Ecolo ; 1 PP.

Pronostic 2014 : 3 MR ; 1 PS ; 1 Ecolo.

Région 2009 :

4 MR ; 2 PS ; 1 Ecolo ; 1 CDH.

Pronostic 2014 : 4 MR ; 2 PS ; 1 Ecolo ; 1 CDH.

Un autre match MR-PS : le président Charles Michel affronte au fédéral le président de la Chambre André Flahaut. Certitude : la province restera libérale. Mais ce que souligne notre politologue, c’est le choix défensif du ministre wallon André Antoine.  » Pour obtenir un siège à la Chambre, le CDH doit atteindre un tiers des voix du MR plus une voix. Il ne pourrait y arriver qu’en ayant une bonne tête de liste. Antoine sait que la chance est très faible et opte pour la Région. Pour un président de parti, trouver une bonne tête de liste en sachant qu’il n’y a rien à offrir, ce n’est pas évident.  » Finalement, Cédric du Monceau de Bergendal, ancien bourgmestre d’Ottignies- Louvain-La-Neuve, s’y essayera. Un homme qui n’a rien à perdre.

LUXEMBOURG Le MR risque son candidat ministre-président

Chambre 2010 : 2 CDH ; 1 MR ; 1 PS.

Pronostic 2014 : 2 CDH ; 1 MR ; 1 PS.

Région 2009 : 3 CDH ; 2 PS.

Pronostic 2014 : 2 CDH ; 2 PS ; 1 MR.

Charles Michel joue son va-tout. Le MR ayant été privé de siège à la Région en 2009, son président a désigné un de ses proches, le chef de groupe wallon Willy Borsus, comme tête de liste dans la circonscription Arlon-Marche-Bastogne.  » Je ne suis pas sûr qu’ils aient compris toute la portée de leur décision, s’étonne Pascal Delwit. Il y a deux risques majeurs pour celui que l’on présente comme candidat ministre-président wallon. Un : il n’atteint pas le quorum nécessaire de 22,33 %, comme en 2009, et il n’est pas élu, mort politiquement. Mais même s’il l’atteint et que le MR obtient un siège par apparentement, celui-ci peut très bien tomber dans l’autre circonscription de Neufchâteau-Virton. C’est tout à fait aléatoire ! » Arlon-Marche-Bastogne, c’est en outre la circonscription de Benoît Lutgen, président du CDH, qui est sur du velours dans son fief.

NAMUR Stabilité, sauf tremblement de terre

Chambre 2010 : 2 PS ; 2 MR ; 1 CDH ; 1 Ecolo.

Pronostic 2014 : 2 PS ; 2 MR ; 1CDH ; 1 Ecolo.

Région 2009 3 PS ; 3 MR ; 2 CDH ; 2 Ecolo.

Pronostic 2014 : 3 PS ; 3 MR ; 2 CDH ; 2 Ecolo.

 » Il faudrait un tremblement de terre politique pour que les résultats à la Chambre soient différents de ceux de 2010 « , estime Pascal Delwit. Les présidents de parti ne se font donc guère de soucis. La preuve ?  » Le PS a composé une liste assez faible à la Chambre, emmenée par l’ex-secrétaire d’Etat Jean-Marc Delizée « , analyse-t-il. L’urgence était d’autant moins de mise que le MR a perdu la ministre Sabine Laruelle, qui quitte la politique. CDH et PS jouent un bras-de-fer à la Région avec le duo Jean-Charles Luperto, président du parlement francophone, et Eliane Tilleux, ministre régionale, face au bourgmestre de Namur, Maxime Prévot. Arbitres : la députée wallonne Anne Barzin et le bourgmestre de Rochefort François Belot pour le MR, le député fédéral Georges Gilkinet et le député wallon Stéphane Hazée pour Ecolo, avec le soutien de la coprésidente Emily Hoyos, en queue de liste.

HAINAUT Di Rupo superstar, oui, mais…

Chambre 2010 :(19 sièges) 11 PS ; 4 MR ; 2 CDH ; 2 Ecolo.

Pronostic 2014 : (18 sièges) 11 PS ; 4 MR ; 2 Ecolo ; 1 CDH.

Région 2009 : 14 PS ; 6 MR ; 5 Ecolo ; 4 CDH.

Pronostic 2014 : 14 PS ; 6 MR ; 5 Ecolo ; 4 CDH.

Elio Di Rupo superstar. Paul Magnette, président du PS, compte sur un raz-de-marée du Premier ministre et un gain d’un ou deux sièges pour sauver une élection difficile pour son parti. Facile ?  » Si Di Rupo récupère les sièges obtenus, c’est déjà très bien, explique Pascal Delwit. En 2010, il y avait 19 sièges à la Chambre dans le Hainaut, il n’y en a plus que 18. Cela compte. Le PS avait onze sièges. Peut-il en gagner ? En 2010, le PS avait déjà fait un très bon score : 48 % à l’échelle de la province ! Il devrait faire 49,5 % pour les préserver. Il faut aller les chercher ! Il n’est même pas exclu qu’il perde un siège…  »

La force du PS, c’est qu’à côté, c’est  » très faible « .  » Certainement au CDH avec Catherine Fonck, qui avait déjà raté ses élections communales. Ce pourrait être le grand perdant. Chez Ecolo, Jean-Marc Nollet n’a pris aucun risque : au fédéral, il est assuré de décrocher un siège, ce qui n’était pas le cas à la Région. Au MR, Olivier Chastel était incontournable en tant que ministre fédéral du Budget.  »

Pour les présidents, la bouteille à encre se situe à la Région.  » La grande difficulté, c’est qu’il y a cinq grandes circonscription : Mons, Soignies, Thuin, Charleroi et Tournai-Ath-Mouscron. Or, plus il y en a, moins il y a d’élus directs et plus il y a d’élus apparentés. C’est totalement imprévisible.  » Paul Magnette et Rudy Demotte devraient assurer une certaine sérénité au PS face, entre autres, au ministre régional CDH Carlo Di Antonio, que son président Benoît Lutgen espère voir rayonner, ou à la MR Jacqueline Galant, fortement soutenue par son président Charles Michel.

LIÈGE Là où le PS peut perdre l’élection

Chambre 2010 :

7 PS ; 4 MR ; 2 CDH ; 2 Ecolo.

Pronostic 2014 : 6 PS ; 5 MR ; 2 Ecolo ; 1 CDH ; 1 PTB.

Région 2009 :

9 PS ; 6 MR ; 5 Ecolo ; 3 CDH.

Pronostic 2014 : 8 PS ; 7 MR ; 5 Ecolo ; 3 CDH.

C’est LE grand enjeu de mai 2014. Là où le PS gagnera ou perdra l’élection.  » Liège sera le lieu de balance le plus important, explique Pascal Delwit. Le PS pourrait y perdre un siège, voire plusieurs.  » Paul Magnette a battu le rappel des troupes.  » Mais tout a été cadenassé par le président de la fédération, le bourgmestre de Liège Willy Demeyer, et le ministre wallon Jean-Claude Marcourt, poursuit Pascal Delwit. Sur fond de guerres tous azimuts : interne à la fédération, entre Liège, Huy-Waremme et Verviers ou encore, entre personnalités au sujet des futurs postes ministériels. Un exemple ? A part Marcourt, il n’y a aucune personnalité en vue du parti sur la liste dans l’arrondissement de Liège. Ce n’est pas un hasard. N’étant pas un gros faiseur de voix, il devait éviter toute concurrence interne. Il est écrit qu’il mènera campagne sur la nécessité d’avoir enfin un ministre-président wallon liégeois. Lui, en l’occurrence…  » Sur la liste PS de la Chambre, Willy Demeyer devancera le bourgmestre d’Herstal, Frédéric Daerden, et le maire de Seraing, Alain Mathot.  » Ce n’est un secret pour personne : Demeyer rêve d’être ministre, enchaîne le politologue. Daerden et Mathot sont là pour contrer le PTB-GO.  »

Car Liège est le seul endroit où l’extrême gauche est pratiquement assurée d’avoir un élu, sur fond de crise ArcelorMittal.  » Si le PTB-GO peut gagner un siège à la Chambre, c’est là, avec Raoul Hedebouw, acquiesce Pascal Delwit. A la Région, c’est plus difficile à cause de l’apparentement. D’où la volonté du boulevard de l’Empereur de mettre Daerden et Mathot au fédéral. Les trois places fortes du PTB-GO, c’est Liège-Ville, Herstal et Seraing. Liège est le seul vrai endroit de nuisance pour le PS. On saura là s’il peut garder ses 26 sièges au fédéral comme maintenant, ce qui est peu vraisemblable, ou s’il se tassera plutôt à 22-23 ou 24-25.  »

Les autres présidents de parti sont fébriles. Le MR devra tenter de préserver la paix des braves entre les écuries Michel et Reynders.  » Christine Defraigne, tête de liste à la Région, fait des voix, mais elle est minoritaire dans sa fédération, ce qui n’est jamais bon, reconnaît Pascal Delwit. Le CDH est très faible, d’où la volonté de Benoît Lutgen d’aller chercher Anne Delvaux. Quant à Ecolo, il n’aura plus Jean-Michel Javaux qu’en soutien et plus du tout Jacky Morael, cela fait beaucoup.  »

EUROPE La planche de salut de Labille ?

Résultat 2009 :

3 PS ; 2 MR ; 2 Ecolo ; 1 CDH.

Pronostic 2014 : 3 PS ; 3 MR ; 1 Ecolo ; 1 CDH.

 » Ecolo va devoir ramer pour conserver son second siège, souligne Pascal Delwit. Pour y arriver, il doit faire deux tiers des voix du MR plus une. Or, ils ne sont pas du tout dans le même vent qu’en 2009.  » La lutte fratricide entre Philippe Lamberts et Isabelle Durant laisse en outre des traces : l’ancienne coprésidente, grosse faiseuse de voix, a refusé de se présenter après avoir perdu le vote interne.  » Il sera très difficile aussi pour le CDH de glaner un second siège « , ajoute Pascal Delwit. Ce sera donc une lutte entre le PS et le MR pour la première place.  » Au MR, il y a beaucoup de chances que Louis Michel tire la liste, pronostique Pascal Delwit. Au PS, on parle du ministre fédéral Jean-Pascal Labille et de l’ancienne ministre Marie Arena aux deux premières places. Même si tout le monde ne veut manifestement pas de Labille au PS.  » A Liège, certains aimeraient se débarrasser de cet ex- président de mutualité venu priver ses fidèles camarades d’un poste ministériel.  » Or, Paul Magnette doit tenir compte du poids de la fédération liégeoise « , conclut le politologue.

Par Olivier Mouton

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