Il Viaggio a Reims et à Bruxelles

La mise en scène de Luca Ronconi vise le pur divertissement et l’atteint : un sommet de maîtrise

Il Viaggio a Reims, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 13 novembre (représentation ouverte aux familles). Tél. : 070 23 39 39 ; www.lamonnaie.be

Une fois n’est pas coutume, la Monnaie met à l’affiche un opéra sans queue ni tête… Il Viaggio a Reims, composé en 1824 par Rossini – qui, lucide, dénommait son £uvre non pas  » opéra « , mais  » cantate scénique  » – n’est en effet qu’un prétexte à de brillants numéros de virtuosité vocale, doublé peut-être d’un hommage (perplexe) à une royauté reprenant place quarante ans après la Révolution… L’histoire tient en peu de mots : une dizaine d’aristocrates réunis dans un hôtel à Plombières, en France, se préparent à partir au couronnement du roi, à Reims, lorsqu’on leur apprend que, faute de chevaux, la diligence ne pourra prendre le départ. La catastrophe se mue en un banquet de consolation au cours duquel chaque pays lèvera un toast au nouveau souverain, avec, en apothéose, l’ode de la muse Corinna (alias Madame de Staël…).

La mise en scène de la Monnaie reprend la production historique du festival de Pesaro, créée en 1984 et signée Luca Ronconi, actuel directeur du Piccolo Teatro de Milan, grâce à qui l’improbable Viaggio a repris la voie royale des maisons d’opéra. Mais l’exercice reste difficile, et c’est en fin stratège que Bernard Foccroulle (sans doute chauffé par Valerio Tura, son administrateur artistique) a fait son choix. D’autant que Ronconi est venu sur place non seulement pour  » adapter  » son concept, mais aussi pour lui donner un incomparable goût bruxellois…

Plombières étant une authentique station thermale, Ronconi fait de l’hôtel une sorte de  » spa « , avec piscine à mosaïques comme élément central du décor et baignoires alignées… Entourés d’un personnel empressé (devenu  » médical  » et essentiellement confié à de jeunes chanteurs belges), les Marchesa Melibea, Contessa di Folleville, Cavaliere Belfiore, Barone di Trombonok…, se livrent donc corps et voix à des numéros plus nationaux que psychologiques, désopilants à tous coups, sans jamais forcer le trait, dans l’esprit rossinien – essentiellement classique, comme on sait -, tandis que trois grands écrans renvoient sporadiquement les images agrandies des chanteurs, ainsi que celles d’un cortège royal parcourant la ville. Quelle ville ? Bruxelles ! Quel cortège ? L’Ommegang ! C’est l’idée géniale de Ronconi d’avoir associé au couronnement historique de Charles X un couronnement  » folklorique  » local. Tout en savourant les vocalises rossiniennes, on découvre ainsi sur écran le  » roi  » et sa suite progresser dans les rues de Bruxelles, entrer dans l’église Saint-Jacques-sur- Coudenberg (pour s’y faire couronner, en l’absence des invités retenus à Plombières, si vous suivez toujours), repartir à travers les galeries Saint-Hubert, franchir le Mokafé, se diriger ensuite vers… la Monnaie (la suite sur place). Décalé et irrésistible.

Outre le théâtre et le rythme, le grand défi du Viaggio reste de réunir douze solistes de très haut niveau (ici, vingt-quatre, puisque deux distributions alternent) et six autres rôles importants : la Monnaie propose une distribution honorable mais inégale, illuminée par la soprano Carmela Remigio – Corinna -, l’étoile de la production, glissant avec art de la caricature à la mélancolie la plus délectable, sans jamais quitter les sommets du  » beau chant « . Au sein de la distribution entendue le 30 octobre, on mentionnera encore la mezzo Daniela Pini (Melibea) et le ténor Lawrence Brownlee (Libenskov), la soprano Désirée Rancatore (Folleville), la basse Giovanni Furlanetto (Don Profondo) et le baryton-basse Bruno Pratico (Trombonok) jouant sur son magnifique embonpoint, aussi agile dans le chant que dans la danse. Le tout sous la direction – ciselée mais couvrant souvent les chanteurs – du jeune Israélien Rani Calderon, en charge de l’ensemble des représentations suite à la défection de Carlo Rizzi.

Martine D.-Mergeay