» Je suis toujours fracassée « 

Celle qui, toute jeune, devint la muse du dessinateur Georges Wolinski, dévoile sa souffrance dans  » Chérie, je vais à Charlie  » (1).  » Pourquoi n’a-t-on pas pu empêcher ces terroristes de faire ce qu’ils voulaient ? »

Le Vif l’Express : Comment vivez-vous, un an après l’attentat contre Charlie ?

Maryse Wolinski : Je suis toujours fracassée par cette année 2015, la plus terrible de ma vie. Au cours d’une scène de guerre de deux minutes, quatre balles ont transpercé le coeur de mon mari, son aorte, ses poumons. Elles ont anéanti quarante-sept années d’amour heureux entre Georges et moi, son talent, sa gentillesse, sa générosité. J’ai subi la sidération, la dépression puis la solitude. J’ai toujours le sommeil difficile, avec des images, des cris, le sifflement des balles en rafales, les corps qui s’écroulent les uns sur les autres. Et du rouge, du rouge qui jaillit comme des étincelles dans mes yeux. Fin novembre, j’ai dû quitter notre appartement pour une surface plus réduite et un loyer en rapport avec mes revenus. Il m’a fallu débarrasser la chambre de Georges, qui était demeurée telle qu’il l’avait laissée, le 7 janvier au matin, avant de me quitter avec un geste tendre et ces mots :  » Chérie, je vais à Charlie.  »

Qu’avez-vous ressenti le 13 novembre ?

Comme un écho, cet attentat m’a fait revivre celui du 7 janvier. Ma colère a redoublé. Je n’arrêtais pas de me répéter : comment peut-on assassiner 130 personnes ? J’ai pensé à ce djihadiste arrêté en août dernier, alors qu’il projetait un attentat dans une salle de concerts. Pourquoi n’a-t-on pas pu empêcher ces terroristes de faire ce qu’ils voulaient ? Nous devons lutter contre la peur, sinon Daech a gagné.

Le 13 novembre, des familles ont protesté contre la façon dont la mort d’un proche leur avait été annoncée. Comment

cela s’est-il passé pour vous ?

Le 7 janvier, j’ai appris l’attentat contre Charlie alors que j’étais dans un taxi. Mon gendre, Arnauld, m’a appelée en me conseillant d’attendre des nouvelles chez moi, alors que je n’avais qu’une envie : voir Georges et le prendre dans mes bras. J’ai senti que ma vie basculait, comme si ma chair quittait mes os. Après une attente interminable et angoissante, Arnauld a fini par me rappeler :  » Georges a été assassiné, il est mort.  » Je n’ai reçu aucun appel de policier, aucune confirmation officielle. Du coup, j’étais dans le déni, comme dans un cauchemar. A posteriori, des policiers m’ont expliqué qu’ils avaient dû gérer l’urgence, l’accueil des politiques sur les lieux de l’attentat. Les familles sont passées après.

Vous affirmez aujourd’hui que Charlie Hebdo n’était pas assez protégé. Sur quoi se fonde votre conviction ?

J’ai récupéré un tract d’Alliance où ce syndicat de policiers affirmait, en 2013, que c’était un luxe inutile de surveiller les locaux d’un journal satirique qui crache sur tout le monde. Alliance avait officiellement demandé à la Direction de l’ordre public et de la circulation l’arrêt de cette surveillance. Devant Charlie, les effectifs policiers étaient insuffisants. A l’été 2014, un audit réalisé par un inspecteur sur la sécurisation des locaux est transmis au préfet. Il préconisait une surveillance adaptée aux menaces, avec une salle de rédaction blindée, une mise sous alarme des locaux avec visiophone et caméra sur le palier. L’équipe de Charlie a répondu qu’elle n’avait pas l’argent nécessaire. En ajoutant :  » Nous, on ne sera jamais frappés.  » A la préfecture, on m’a dit :  » Nous ne pouvions pas les obliger à se protéger contre leur volonté.  » Georges a été victime de cette insouciance.

Que sont devenus les 4 millions d’euros versés pour les familles de victimes ?

Le 7 février 2015, nous avons été réunis et un avocat de Charlie Hebdo nous a confié qu’il fallait répartir les 4,3 millions d’euros entre les familles des victimes de Charlie et celles de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Puis que cette somme serait déposée à la Caisse des dépôts et consignations. Mais, en novembre, ce n’était toujours pas fait. J’ai confié ma stupéfaction lors d’une interview à la radio. Et j’ai été contactée par un avocat de Charlie qui m’a assuré que la question serait réglée début 2016. J’aimerais le croire.

(1)  » Chérie, je vais à Charlie  » par Maryse Wolinski, Seuil, 144 p.

Entretien : François Koch

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