Le loup dans la bergerie ?

Bombarder au Centre interfédéral pour l’égalité des chances un adversaire résolu de la législation anti-discrimination est un geste calculé de la N-VA. Rencontre-découverte avec Matthias Storme.

Son parti vient de l’envoyer, sur le quota régional flamand, au conseil d’administration du Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Cette institution, à laquelle Matthias Storme n’a jamais voué une affection débordante, a été recentrée sur la lutte contre les discriminations, tandis que le nouveau Centre fédéral de la migration reprenait, lui, l’étude des flux migratoires, du droit des étrangers et de la traite des êtres humains. Dorénavant, ces institutions doivent agir  » dans une optique de développement collectif et un esprit de dialogue, de collaboration et de respect « . Très critique à l’égard de la législation anti-discrimination, l’avocat Matthias Storme sera-t-il le loup dans la bergerie ? Les responsables du parti nationaliste jurent que non.

Indubitablement, Matthias Storme, 55 ans, a du répondant. Il est le petit-fils d’un ministre d’Etat, August de Schryver, membre du gouvernement de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, président du PSC unitaire entre 1945 et 1949. Il est également petit-fils et fils d’avocats et jurisconsultes réputés de l’université de Gand (Jules et Marcel Storme), ces deux derniers ayant milité au Parti catholique et au CVP. Leur descendant s’est écarté de cette tradition, sauf pour l’appartenance au barreau : il a choisi la N-VA et enseigne le droit à la KUL et à l’université d’Anvers. Elu au conseil communal de Gand, il abandonné cette fonction incompatible avec son retour au cabinet familial, à Gand. Depuis toujours, il fait entendre une petite musique différente : droite libérale, conservatrice, hostile, par exemple, au cordon sanitaire dressé autour du Vlaams Blok/Belang. Son statut privilégié d’intellectuel lui permet d’assouvir un certain goût pour la provocation.

Le Vif/L’Express : Votre nomination au Centre interfédéral pour l’égalité des chances a été très critiquée. Qu’allez-vous faire de cette nouvelle fonction ?

Matthias Storme : La politique de la N-VA est de désigner des experts dans les organismes auxquels le parti accède. Juriste spécialisé dans les questions constitutionnelles et de droit privé, j’avais le profil. L’accord de gouvernement prévoit une évaluation du fonctionnement des lois anti-discrimination. Nous allons d’abord voir comment cela fonctionne et, ensuite, peut-être, émettre des suggestions. Quelles sont les priorités ? On a beaucoup de lois. C’est presque impossible pour un citoyen de les respecter toutes. Tout le monde a le droit de proposer des changements mais tant que le droit n’a pas été modifié, on doit le respecter.

En 2004, vous avez critiqué la condamnation pour racisme du Vlaams Blok. Etait-ce au nom de votre opposition de principe à la législation anti-discrimination ?

Nos grandes libertés constitutionnelles sont inscrites dans la colonne du Congrès : presse, enseignement, religion, association. La Constitution belge de 1831 est une merveille, sauf sur un point : elle a renoncé à la forme de confédéralisme qui prévalait dans nos régions avant la Révolution française. A part cela, c’est une très belle Constitution. Elle ne consacre pas un  » droit à la liberté de  » mais elle déclare que, dans ce pays, les libertés profitent à la société et pas seulement à l’individu. Cette idée selon laquelle les libertés sont des valeurs communes, socialement utiles, s’est cristallisée durant le Siècle des Lumières. Loin de rejeter cet apport, le conservatisme américain a toujours défendu les libertés fondamentales. Les documents préparatoires au concile Vatican II montrent à quel point les jésuites américains ont influencé l’Eglise catholique. Celle-ci a non seulement accepté la liberté de religion mais, de plus, elle lui a accordé une grande valeur éthique.

Pour préserver ces libertés, il faudrait donc accepter qu’on en abuse ?

En effet, les abus doivent être considérés comme un moindre mal au regard du bénéfice que la société retire de l’exercice des libertés. La tolérance, ce n’est pas tolérer le bien, c’est tolérer un moindre mal. La tolérance est plus morale que l’interdiction car elle sauvegarde la liberté. Je ne remets pas en cause les libertés fondamentales, je les défends. Il est évident que, dans l’ordre moral, il faut promouvoir le bien et défendre le mal. Mais, en se trompant de registre, en confondant la morale et le droit, la législation anti-discrimination met en péril nos libertés constitutionnelles. Ce principe de liberté ne s’applique qu’aux particuliers et à la société civile. En effet, un patron doit être libre de choisir ses employés au mieux de ses intérêts car, dans le cas contraire, c’est lui qui en supporte les conséquences. Mais l’Etat et les services publics se doivent de traiter chacun sur pied d’égalité.

Comment définir la tendance libérale-conservatrice à laquelle vous appartenez au sein de la N-VA ?

Il y a autant de conservatismes que de conservateurs. Ce n’est pas une idéologie, plutôt une conception du monde. Avec Edmund Burke (NDLR : homme politique et philosophe irlandais du XVIIIe siècle opposé à la Révolution française, considéré comme le père du conservatisme anglo-américain), ce courant conservateur existe en Europe depuis des siècles, même s’il n’est pas dominant. La N-VA n’est pas fondamentalement un parti de droite mais un parti du changement, assez complexe, où règne une grande diversité. Si le terme, en français, n’était pas connoté négativement, je dirais que la N-VA est un parti communautariste, encore plus que communautaire. Aux Etats-Unis, le communautarisme suppose que la société est importante, qu’il n’y a pas que l’individu. Dans cette optique, l’homme devient homme en société. Or, dans les circonstances actuelles, après plus de cinquante ans de politiques de gauche, étatistes, c’est d’un virage à droite dont la société a besoin. Mais les solutions que nous préconisons seraient encore considérées comme de gauche aux Etats-Unis…

Votre libéralisme s’applique-t-il également à l’économie ?

Dans le domaine de l’économie, la pondération des intérêts est un peu différente. Un marché libre n’est jamais parfait. Il tend à se muer en oligopole, voire en monopole. C’est pourquoi il doit être balisé par un ensemble de règles garantissant notamment la concurrence. Néanmoins, même dans ce secteur, il n’y a pas suffisamment de confiance en l’homme. Pourquoi faut-il toujours suspecter que celui-ci va abuser de sa liberté ?

Votre famille appartenait à la démocratie chrétienne. Pourquoi lui avez-vous fait défaut ?

Je me considère encore toujours comme un démocrate-chrétien mais, à un moment donné, le CD&V n’était plus, à mes yeux, une force de changement. Il était trop lié au pouvoir, ainsi qu’aux groupes d’intérêt. Ce n’est pas les  » piliers  » en tant que tels que je remets en cause, encore qu’ils s’accaparent probablement une partie de l’Etat, mais l’entremêlement de ces organisations avec l’Etat et l’absence de responsabilités claires et distinctes. Je suis pour davantage de liberté dans les domaines économiques quand cela ne met pas en danger d’autres valeurs, et favorable à la liberté pour les citoyens de s’organiser, par exemple, en coopératives. En Suisse, le mouvement coopératif constitue un véritable contre-pouvoir. Donc, oui, je soutiens toujours, pragmatiquement, notre modèle rhénan. Mais actuellement, le poids de l’Etat est trop important. Ce n’est pas ainsi que l’on va créer des emplois. Je suis partisan de la protection des plus faibles par la redistribution via l’impôt, à condition que celui-ci reste raisonnable. L’Etat ne peut pas promettre davantage que ce qu’il peut payer.

Entretien : Marie-Cécile Royen

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire