Assurance-incendie obligatoire : pragmatisme ou populisme ?

Faut-il rendre obligatoire ou non la souscription de l’assurance-incendie ? La catastrophe de Liège met le débat sur la place publique.

La confirmation de la non-couverture contre l’incendie de l’immeuble à l’origine de la catastrophe survenue dans le c£ur historique de Liège – et que cela soit légalement irréprochable – en a laissé plus d’un pantois. Pourtant, contrairement à certaines idées reçues, le législateur n’a jusqu’ici jamais imposé la couverture des immeubles contre l’incendie et les périls annexes et ce, tant dans le chef des propriétaires que dans celui des locataires. Dans les faits pourtant, la souscription de ce genre de police constitue la  » règle générale « . D’abord, parce que les banques subordonnent systématiquement l’octroi d’un crédit hypothécaire à la souscription en bonne et due forme d’une police d’assurance-incendie. Ensuite, parce que les propriétaires exigent généralement de leurs locataires, via une disposition ad hoc dans le bail, qu’ils souscrivent un contrat d’assurance-incendie. Bref, si ces  » habitudes  » de souscription – voire les obligations contractuelles (convention de prêt, bail…) – ont finalement induit dans l’inconscient collectif le sentiment d’une obligation de souscription, légalement, cela reste encore et toujours la liberté de tout un chacun d’assumer personnellement les conséquences de la survenance d’un risque ou de les assurer. Autrement dit, de payer un tiers, par nature solvable (en l’occurrence un assureur), pour qu’il assume sur ses deniers les conséquences résultant de la survenance des risques ainsi outsourcés. Cela étant, fort du constat malheureux que la  » règle générale  » de souscription souffre encore d’exceptions, et que ces dernières peuvent, le cas échéant, être préjudiciables aux tiers, Olivier Hamal (soutenu par Didier Reynders ), coiffant ici à la fois ses casquettes de député fédéral (MR) et de vice-président du Syndicat national des propriétaires (SNP), vient opportunément d’annoncer s’être fixé pour objectif de rendre l’assurance-incendie obligatoire et ce, tant pour les propriétaires que pour les locataires.

Une question d’intérêt général…

 » Chaque catastrophe, quelle qu’elle soit, remet systématiquement sur la table la question de l’obligation de s’assurer contre tel ou tel risque, explique Marcel Schoonbroodt, courtier d’assurances à Herstal et professeur d’assurances à la Haute Ecole Helmo/Sainte- Marie de Liège. Souvenez-vous du cas de ces enfants qui avaient placé des blocs de béton sur une voie de chemin de fer, provoquant le déraillement d’un train et des blessures corporelles chez des passagers. Avez-vous déjà oublié qu’il fut alors question de rendre obligatoire la souscription de la RC familiale ? Ce fut là un bel exemple d’effet d’annonce dont on attend toujours les effets ! « 

Il n’empêche, le décryptage des effets induits de l’explosion de gaz au c£ur de Liège pointera au fil du temps nombre de situations dépitantes, à l’image de ce qui fut le cas, en 1967, dans la foulée de l’incendie de l’Innovation de la rue Neuve, à Bruxelles. A l’époque, en effet, constat fut posé que si l’assurance-incendie avait permis de dédommager le propriétaire des lieux pour son bâtiment ainsi que l’exploitant pour son matériel et ses stocks, que si l’assurance-accident du travail avait rempli son rôle en faveur du personnel blessé ou brûlé, voire mort, il n’en fut par contre a priori rien pour les clients présents sur les lieux au moment du sinistre. Préjudiciés certes, mais dans la mesure où l’on n’avait finalement jamais pu imputer la responsabilité de ce sinistre sur qui que ce soit, ces victimes s’étaient retrouvées dans une situation où elles n’avaient face à elles personne sur qui se retourner pour obtenir réparation… « Idem pour l’incendie au dancing Cinq-Sept, à La Louvière », explique François de Clippele (Assuralia). Si cet état de fait avait à l’époque ému beaucoup de monde, il a cependant fallu attendre une vingtaine d’années pour que la police d’assurances dite  » RC objective  » voie le jour. Cette police, dont la souscription a d’ailleurs été rendue obligatoire par des dispositions légales, a créé une fiction de présomption de responsabilité dans le chef des exploitants concernés par les textes (grandes surfaces, dancings, cinémas…). Ainsi, grâce à la RC objective, les victimes de l’incendie survenu lors de la Saint-Sylvestre, en 1994, dans la salle des fêtes de l’hôtel Switel d’Anvers ont pu être dédommagées, alors que nous étions dans un état de figure où aucune responsabilité n’avait pu être pointée…

 » La catastrophe de l’Innovation avait sensibilisé le législateur à toute la problématique des mesures préventives, dont la nécessité d’installer des systèmes de springlages », conclut François de Clippele.

Rendre obligatoire, comme telle, la souscription de l’assurance-incendie  » comme c’est d’ailleurs le cas pour l’assurance-auto « , dixit Olivier Hamal, ne serait cependant pas aisé. Ainsi, si la souscription d’une couverture RC auto a été rendue obligatoire par la loi, rien de tel n’existe pour l’omnium ! Bref, pour les immeubles, irait-on alors jusqu’à dissocier, dans les contrats d’assurance-incendie, les couvertures dites de patrimoine (l’immeuble proprement dit) des couvertures de responsabilité (RC immeuble, recours des voisins…) ? Et pour ce qui relève de ces couvertures de responsabilité se poserait immanquablement aussi la question -pertinente- des plafonds,  » soit environ 4,09 millions d’euros au maximum pour les dommages matériels « , confie Benoît Rigo, porte-parole d’Ethias. Une  » paille  » par rapport aux coûts induits par un sinistre de l’importance de celui de Liège…  » Et puis, enchaîne Olivier Binet (Ethias), si l’assurance-incendie était rendue obligatoire pour tout un chacun, il faudra aussi créer un fonds commun – à l’image de ce qui existe pour la RC auto ( NDLR, le fonds commun de garantie automobile) – dont la constitution et le fonctionnement renchériraient le coût de l’assurance…  »

… et d’intérêts particuliers

Si les commerçants de la rue Léopold et alentours en ordre d’assurance-incendie pourront bien entendu compter sur l’intervention de leur compagnie pour la remise en état de leurs commerces, un certain nombre d’entre eux risquent pourtant bien de devoir vite déchanter. Quid, en effet, des conséquences financières de la fermeture des établissements durant x jours, voire x semaines ? Alors que les coûts fixes (loyer, factures de leasing, remboursement des crédits…) continueront à tomber ? Comment ces commerçants feront-ils face à leurs échéances alors qu’ils sont dans l’impossibilité matérielle de produire des recettes ? Et donc, à défaut pour eux d’avoir souscrit une couverture dite de  » pertes d’exploitation après incendie « , un certain nombre risquent bien de se retrouver acculés à devoir déposer leur bilan au greffe du tribunal de commerce…

JEAN-MARC DAMRY

rendre obligatoire la souscription de l’assurance- incendie ne sera pas aisé

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