Duo ou duel ?

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

L’une brille, l’autre pas. Mais les héroïnes du Rôle de sa vie sont jouées de manière également épatante par Agnès Jaoui et Karin Viard

Une star de cinéma, une correctrice travaillant dans un magazine féminin. Rien ne destinait Elisabeth Becker et Claire Rocher à voir leurs destins se croiser, et encore moins s’unir. Un concours de circonstances va les rapprocher de manière d’abord anecdotique (on demande à la seconde de raccompagner la première en voiture), puis plus concrète (l’actrice offre à la pigiste de l’interviewer à la place de la journaliste initialement prévue). Claire l’effacée, la soumise, plaît assez à Elisabeth pour que cette dernière lui propose de devenir son assistante. Un travail attirant, caressé par la lumière qui accompagne la vedette. Un travail ingrat, aussi, car hésitant de manière ambiguë entre le statut de copine et celui de domestique. Un emploi qui fera grandir et s’épanouir une Claire finissant par croire en elle, tandis qu’Elisabeth apprendra, de manière parfois douloureuse, qu’il y a un revers humain à la médaille que garnit son populaire profil…

Ex-assistant d’Olivier Assayas, François Favrat connaît de première main l’univers des comédiens célèbres, le pouvoir qu’il donne mais aussi son lot de solitude. Cinéphile, le jeune réalisateur du Rôle de sa vie s’est aussi souvenu de deux films hollywoodiens qui l’avaient marqué : Eve, de Mankiewicz, où une jeune doublure vole la vedette à la star dans l’ombre de laquelle elle était censée rester, et La Garçonnière, de Billy Wilder, où un employé s’humilie en prêtant son appartement à son patron pour ses aventures amoureuses clandestines. Les rapports de domination sociale, les renversements qu’ils connaissent parfois, le premier film de Favrat les explore avec autant d’intelligence que de sensibilité. Le Rôle de sa vie joue très habilement de l’humour et de l’émotion, trouvant le juste équilibre entre raison et sentiment, distillant aussi scène après scène des dialogues précis et percutants sans tourner au mot d’auteur facile. Le non-dit a aussi son importance dans un spectacle où le jeu des regards, le travail de la profondeur de champ et des marges de l’écran se révèlent d’une rare subtilité.

Dans les rôles principaux, deux actrices formidables s’affrontent pour notre plus grand plaisir. Agnès Jaoui est parfaite dans le rôle d’Elisabeth Becker, piégée dans son égoïsme et ses manipulations et dès lors forcée de faire face aux problèmes qui la minent, derrière la façade de succès qui la sépare du monde. Karin Viard, sans aucun doute une des meilleures comédiennes de sa génération, fait son miel du personnage de Claire, l’anonyme complexée dont le réveil à la vie fut trop longtemps retardé, mais n’en sera que plus savoureux. Bien entourées par des partenaires de choix (dont Jonathan Zaccaï), ces deux-là se livrent un duo/duel passionnant de bout en bout.

Louis Danvers

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