Klaus Iohannis :  » Les Roumains aspirent au changement « 

Pour le nouveau président roumain, 2015 sera l’année-test de la cohabitation avec son Premier ministre socialiste. Un parcours atypique pour cet ancien professeur de physique, issu de la minorité allemande et protestant dans un pays orthodoxe.

Le Vif/L’Express : Votre victoire a surpris, d’autant que vous accusiez 10 % de retard sur votre adversaire Victor Ponta à l’issue du premier tour. Comment l’expliquez-vous ?

Klaus Iohannis : Le résultat est inattendu, c’est vrai. J’en ai moi-même été surpris, même si j’avais, dès le départ, l’intime conviction que j’allais gagner. Je pense que les Roumains n’ont pris conscience de l’enjeu du scrutin qu’après le premier tour. La campagne avait été, jusque-là, très  » bruyante  » : des querelles avaient opposé le Premier ministre (Victor Ponta) et le président sortant (Traian Basescu), il y avait eu toutes ces actions en justice très médiatisées (menées par la Direction nationale antifraude). Et puis, tous ces candidats, pas moins de 14… La plupart des électeurs n’avaient guère d’idée précise des programmes avant le début du scrutin. Ce n’est qu’à partir du moment où nous nous sommes retrouvés au second tour, Victor Ponta et moi, que les Roumains ont compris ce qui se passait. Il s’agissait de choisir non seulement entre deux personnes, mais aussi entre un système ancien, dont beaucoup voulaient se débarrasser, et un autre, plus atypique. Les votes de la diaspora et des jeunes ont largement contribué à ma victoire. Enfin, le taux de participation a atteint 65 %, un niveau phénoménal ici. Les électeurs nous ont adressé deux messages, au fond : ils rejettent le Parti social-démocrate de Victor Ponta, d’une part, et ils ont exprimé un espoir dans l’avenir, d’autre part. Ils aspirent au changement.

Vous allez devoir composer avec un Premier ministre qui conserve sa majorité parlementaire et ne vous fera pas de cadeaux. Comment comptez-vous procéder ?

Lorsque j’ai annoncé ma candidature, j’ai dit que je voulais faire les choses  » autrement « , ce qui signifie une autre approche de la politique : moins de scandales, moins de bruit médiatique, mais plus d’intérêt porté à l’essence même des problèmes. C’est exactement ce que je vais faire. Vous ne me verrez pas m’empoigner avec le Premier ministre sur un plateau de télévision. Le fait que Victor Ponta soit mon ancien adversaire dans la campagne électorale va certainement rendre cette relation plus difficile à gérer, mais je ferai en sorte que la collaboration avec le gouvernement soit correcte. Du reste, peut-être ne durera-t-elle pas longtemps…

Dans ce contexte de cohabitation, quel peut être le rôle du président ?

Il doit servir de modèle à la société. La façon dont il se comporte, en tant que personnage public, doit inspirer la nation et non susciter les sarcasmes. Croyez-moi, c’est une nouvelle approche pour la Roumanie. Pour autant, le président ne peut imposer seul le changement. Il doit s’appuyer sur un gouvernement qui travaille dans le même sens. Les choses ne pourront évoluer qu’à partir du moment où le gouvernement sera acquis à ma cause, et non à celle de mes adversaires. Cela n’arrivera certainement pas dans les prochaines semaines, mais, je l’espère, au cours de l’année 2015. Ou, au plus tard, en 2016, après les élections législatives.

Quels sont vos dossiers prioritaires ?

Il y a tellement de chantiers à mener ! D’abord, il faut lutter contre la corruption et faciliter sa répression. Sur le plan institutionnel, nous devons mettre en place de nouvelles procédures, plus simples et plus transparentes, qu’il s’agisse de la façon dont les députés sont élus, dont les partis politiques se forment ou dont ils se financent. Je veux aussi lancer de grands débats publics sur les questions de santé et d’éducation. Aujourd’hui, en Roumanie, les débats n’ont lieu qu’au sein du parti qui mène une réforme. Et lorsqu’il est chassé du pouvoir, son successeur s’empresse d’annuler tout ce qui a été fait. Si l’on veut vraiment réformer le système public, les décisions doivent faire l’objet d’un consensus politique et être acceptées par tous les grands partis.

Près de 3 millions de Roumains vivent aujourd’hui à l’étranger, notamment des jeunes très qualifiés. Comment endiguer cette fuite des cerveaux ?

Au-delà du cas roumain, la plupart des pays européens sont confrontés à cette  » ruée vers l’ouest « . Les jeunes diplômés roumains partent en France et en Allemagne, tandis que les jeunes Français et Allemands tentent l’aventure aux Etats-Unis. C’est un problème de taille. Nous avons besoin de jeunes qualifiés pour nous développer. Or la plupart d’entre eux, une fois formés, quittent le pays. Il n’y a qu’un moyen de les inciter à faire carrière dans leur pays natal : instaurer un modèle de société plus équitable, capable de promouvoir les jeunes talents en fonction de leurs compétences. Alors, seulement, ils reviendront à la maison…

Dans le livre que vous venez de publier (1), vous écrivez que  » la Roumanie ne doit pas être un citoyen européen de seconde zone « . Comment comptez-vous en faire un  » pays qui compte  » ?

Je vais vous surprendre, mais je n’ai guère d’attentes envers Bruxelles. J’en ai plutôt à l’égard de chacun des pays membres de l’Union européenne. Ceux-ci doivent accepter l’idée que l’Europe avancerait bien mieux si elle restait fidèle aux valeurs sur lesquelles elle s’est fondée, c’est-à-dire l’égalité entre tous ses partenaires. Chaque pays membre a les mêmes droits et les mêmes obligations. Il ne s’agit pas de nier les différences, mais celles-ci sont, selon moi, d’ordre davantage économique que conceptuel. Tous les partenaires européens sont des démocraties. Certaines fonctionnent bien, d’autres, plus jeunes, ont une multitude de problèmes à régler, comme la Roumanie. Pour autant, rien ne justifie l’émergence d’une Europe à deux vitesses.

Souhaitez-vous faire entrer la Roumanie dans l’espace Schengen ?

Cela pourrait advenir, oui. Il y a eu beaucoup de discussions à ce sujet, ces dernières années, et sur les facteurs qui bloquent notre adhésion. Que faire ? Le traité de Schengen était surtout d’ordre  » technique « , au départ, mais sa portée est devenue politique au fil du temps. Si l’on ne veut qu’une seule Europe, il faut revenir à la philosophie initiale.

Angela Merkel vous a écrit une lettre de félicitations entre les deux tours de la présidentielle. Vous êtes issu de la minorité allemande de Transylvanie, dans l’ouest du pays. Cette proximité pourrait-elle déboucher sur une relation privilégiée avec l’Allemagne ?

J’ignore si les relations entre la Roumanie et l’Allemagne seront meilleures du fait de mes origines ethniques. En réalité, je ne le pense pas. Tout ce que je sais, c’est que le score que j’ai obtenu au second tour (54 %) me confère une vraie légitimité. Je ne suis pas un novice en politique. Et, si ma manière d’agir permet d’améliorer les relations de mon pays avec l’Allemagne, ou n’importe quel autre Etat membre, je ne peux que m’en réjouir.

Les rapports avec la Russie ont fait l’objet de débats passionnés durant la campagne présidentielle. Quelles relations comptez-vous établir avec Moscou, dans le contexte de tension actuel ?

Le sujet est compliqué. Nous appliquons des sanctions, comme nos partenaires, afin de faire respecter les traités internationaux. Pour la Roumanie, il n’y a pas d’autre option que d’agir en accord avec nos partenaires. Jouer en solo serait une grande erreur.

(1) Pas cu pas ( » Pas à pas « , non traduit). Ed. Curtea Veche, 2014.

Entretien : Charles Haquet, avec Iulia Badea Guéritée

 » Le traité de Schengen était surtout d’ordre « technique », au départ. […] Il faut revenir à la philosophie initiale  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire