La ruée vers l’opérette

Barbara Witkowska Journaliste

Tombée dans les oubliettes depuis belle lurette, elle est de nouveau à la mode. L’Auberge du Cheval blanc, la perle des opérettes, sera sur scène à Charleroi et à Liège. Un ravissement pour les yeux et les oreilles.

Nous sommes au XXIe siècle. La scénographie perd donc son décor de carton-pâte, son orgie de couleurs stridentes, ses provocations racoleuses, le kitsch des clichés, pour devenir impressionniste, légère et impalpable. Sur un grand tulle, faisant office de rideau de scène, François Schuiten a imaginé une sorte de carte postale géante dans laquelle s’insèrent des montagnes, des sapins et les eaux calmes d’un lac. Les couleurs sont douces, le paysage invite à la rêverie et à l’évasion. Le tulle se lève. Devant nous, le hall d’entrée de la célèbre auberge autrichienne, cerné par un escalier circulaire aux lignes sinueuses et fluides. Au centre, un lustre XXL évoque les plus beaux modèles des cristalleries de Baccarat. On dirait plutôt un hôtel cinq étoiles à la riviera italienne, tant l’atmosphère est prestigieuse et haut de gamme.

Ce décor est merveilleusement habité par une dizaine d’hommes et de femmes, comédiens de théâtre et chanteurs lyriques, vêtus… de tenues de ville ou de joggings (le jour de notre passage, les costumes très frais, inspirés des années 1950, étaient en cours de confection). L’ambiance est chaude, exquise. Est-ce la patte de la metteuse en scène Dominique Serron ? Souriante, légère et très inspirée, elle virevolte au milieu de sa troupe, décale la gestuelle classique de la danse, la truffe de pas malicieux et d’  » envolées  » contemporaines. Chaque geste est net et précis. Et la musique coule, limpide et délicieuse, quand Josépha et Léopold entament le célèbre tube Pour être un jour aimé de toi. On sourit, puis on s’émerveille face à ce spectacle qui diffuse une énergie communicative, tonique et revigorante.

C’est qu’elles nous parlent, ces aventures de Josépha et Léopold, racontées dans un livret quelque peu loufoque et tarabiscoté. Léopold, maître d’hôtel à L’Auberge du Cheval blanc est follement amoureux de sa patronne. Mais Josépha vise plus haut et essaie de séduire Florès, un avocat parisien. L’arrivée à l’auberge de Bistagne, industriel textile accompagné de sa fille, met de l’ambiance, car Sylvabelle attire tout de suite l’attention de Florès. Débarrassé momentanément de son rival, Léopold réitère sa flamme à Josépha qui, excédée, le met à la porte. L’auberge ne cesse de se remplir de personnages pittoresques et hauts en couleur, et même l’empereur en personne annonce sa visite. Affolée, Josépha rappelle dare-dare son maître d’hôtel pour qu’il s’occupe de l’illustre hôte. L’empereur, agacé par les maladresses et méprises de Léopold, se montre pourtant grand seigneur. Devinant son amour sincère, il réussit à convaincre Josépha de céder à ses avances. Le tout se termine par un double happy-end : le mariage de Josépha et Léopold et celui de Sylvabelle et Florès.

Retour à Charleroi

L’Auberge de Cheval blanc, c’est la poule aux £ufs d’or, le jackpot, l’assurance-vie. Depuis sa création à Berlin, en novembre 1930, elle est une carte de visite que l’Allemand Ralph Benatzky avait promenée dans l’Europe entière et qui a durablement survécu à son auteur.  » A Charleroi, elle a été systématiquement mise à l’affiche au théâtre des Variétés, ancêtre du palais des Beaux-Arts, dès que ce théâtre connaissait des soucis financiers, explique Pierre Bolle, directeur du palais des Beaux-Arts. Une douzaine de représentations du titre mythique, à guichets fermés, suffisaient à renflouer les caisses et à apaiser les angoisses et les créanciers de son directeur, Gustave Bernard.  » Puis ce fut l’oubli… Raillée, ringardisée, clouée au pilori par les  » arts majeurs « , l’opérette disparaît de toutes les scènes jusqu’au moment où quelques courageux (Jorge Lavelli, Coline Serreau, la compagnie Les Brigands…) décident de la  » réhabiliter « .

Le mélange de théâtre, de parodie, de musique pure et de bons mots fait mouche. Le public en redemande.  » Le Pôle lyrique de Charleroi souhaite s’associer à cette mouvance actuelle, poursuit Pierre Bolle. La production de L’Auberge du Cheval blanc, en partenariat avec l’Opéra royal de Wallonie, est un aboutissement de dix ans de travail. En 2009, nous avons obtenu des moyens pour concrétiser cette première grande création professionnelle. Avec cette £uvre, nous ambitionnons de faire quelque chose du niveau d’Offenbach et de transformer le regard des gens.  »

Pour relever ce défi, Pierre Bolle a choisi Dominique Serron, fondatrice et directrice de l’Infini Théâtre, pour son  » goût pour le jeu, le mouvement, le travail du chant et de la danse et son respect pour les arts dits  » mineurs « .  » J’ai été très honorée par cette mission, nous dit Dominique. Je considère l’opérette avec attention et respect. Je ne connaissais pas L’Auberge du Cheval blanc. Cela dit, quand j’ai découvert les partitions, je me suis rendu compte qu’il y avait des airs que je connaissais. Ils font partie de notre inconscient collectif. Le scénario est excellent, il se greffe sur une musique magnifique et légère.  » Très enthousiaste, Dominique Serron peaufine la mise en scène depuis trois ans. Le plus difficile ? Le changement des registres. Alterner avec souplesse et légèreté un duo chanté, une scène de c£ur de grande puissance et une scène de jeux, en passant par un lazzi (numéro) de la commedia dell’arte.  » Nous vivons une période frileuse. L’£uvre nous souffle que l’humain peut apprendre à dire son désir, sans être pour autant arrogant ou provocateur. Elle nous ouvre l’espace de tous les possibles, au moins dans le domaine de l’affect.  »

Un décor plein de poésie

Voulant mettre en exergue la dimension de rêve, de magie et de désir, Dominique Serron a immédiatement pensé à une scénographie  » ad hoc  » et l’a confiée à François Schuiten. Sans connaître L’Auberge (sauf les tubes), il a pourtant rejoint l’équipe sans hésiter, séduit par l’idée et par une nouvelle façon de regarder le patrimoine.  » Je viens de la BD, je suis dans les arts populaires et j’ai une forme de tendresse pour toutes les formes d’art un peu méprisées. Cela dit, je ne me sentais pas capable de reproduire les clichés d’une auberge autrichienne. J’ai voulu épurer, pour donner de l’élégance aux mouvements. L’idée de ce grand escalier est venue tout de suite, pour que chaque personnage puisse évoluer et se déployer dans l’espace. Je n’aime pas trop le  »décor », j’aime le vide. Ce sera un lieu d’émerveillement qui permettra l’apparition des accessoires et se révélera à chaque fois. L’Auberge est une comédie qui nous touche encore. Elle a un goût de légèreté qui est intéressant aujourd’hui. Les opérettes, ce sont des périodes de grâce dans des moments sombres. Il y a du plaisir et du désir. Et ce n’est pas mal par les temps qui courent.  »

Palais des Beaux-Arts de Charleroi, samedi 3 mars (20 heures), dimanche 4 (16 heures) et mardi 6 (20 heures), www.pba-eden.be

Opéra royal de Wallonie, à Liège, vendredi 16 mars (20 heures), samedi 17 (20 heures) et dimanche 18 (15 heures), www.operaliege.be

BARBARA WITKOWSKA

 » L’£uvre nous souffle que l’humain peut apprendre à dire son désir sans arrogance « 

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