» J’aurais pas payé, je serais déjà en prison ! « 

Le comportement de l’éphémère secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Thomas Thévenoud, qui ne payait pas ses impôts, nourrit l’écoeurement de l’électorat de gauche. Reportage.

La jeune fille baisse la voix :  » On a le droit de dire ce qu’on pense ?  » Elle est un peu ennuyée vis-à-vis de Monsieur le député, dont elle sait qu’il apprécie François Hollande. Bernard Roman, élu socialiste du Nord, est un convive régulier des déjeuners du centre social de Moulins, un quartier populaire de Lille. Et, comme Cécile l’aime bien – pour tout dire, elle lui claque la bise ! -, elle hésite à confier ce qu’elle a sur le coeur. Ce jour-là, 7 novembre, Cécile, Hayat, Kelly et Isabelle, à peine trentenaires, préparent le repas ; une fois par mois, une cinquantaine de personnes se retrouvent ici, boulevard de Strasbourg, pour oublier la solitude et la dureté de la vie. Devant la salade de tomates aux oeufs durs, elles avouent finalement qu’elles en ont  » marre « , les filles,  » marre d’être dans la merde, marre de subir, marre que ça se dégrade pour elles alors qu’eux, là-haut, ils sont au-dessus de tout « . La politique,  » c’est pas trop notre truc « , là-dessus elles sont d’accord. Mais elles ont été ulcérées, en septembre, par les incroyables ardoises de l’éphémère secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Thomas Thévenoud. Elles disent que  » c’est dégueulasse, un ministre qui ne paie pas ses impôts. Nous, le moindre truc et on est convoqué au Trésor public. Il va y aller, lui, au Trésor public ?  »

Elles parlent encore de  » la galère des rythmes scolaires « , des tout petits avantages qu’elles perdent, la plupart du temps, en acceptant un contrat de travail ; elles ont  » cru que la gauche, ce serait mieux pour (elles) « . Le constat est cruel :  » Pour l’instant, c’est pire.  » Pire pour ces jeunes femmes, pire pour les plus âgées :  » Pendant qu’il y a un ministre qui paie pas ses impôts, moi, maintenant, je dois 750 euros, alors que l’année passée, c’était que 153 euros « , s’énerve Jeanine, octogénaire, bien droite dans son twin-set mauve, assise avec ses copines au fond de la salle.  » Vous vous rendez compte, en un an, 600 euros de plus ! On m’a enlevé des tas de trucs, pour les enfants, en tant que veuve… 750 euros. Je vous dis pas, si j’aurais pas payé, je serais déjà en prison !  » Julienne, brushing impeccable, enchérit :  » C’est au-dessus qu’ils sont fautifs, ils auraient dû surveiller. Tous leurs privilèges, c’est pas croyable ! Et jamais punis, avec ça. A la télé, ils ont dit qu’il était revenu député pour toucher des indemnités ! Nous, pendant ce temps, on se serre encore la ceinture.  »

 » Tous les politiques se croient au-dessus des lois  »

Le chômage et les impôts, voilà ce qui revient presque chaque fois dans les conversations. A Paris, on pensait que l’expression  » sans-dents  » – attribuée au chef de l’Etat par son ex-compagne, Valérie Trierweiler, dans son livre Merci pour ce moment (Les Arènes) -, scandalisait les Français. Sandrine, membre du personnel communal de Val-de-Reuil, dans l’Eure (nord-ouest de la France), n’y a jamais cru. Elle y voit  » le dépit d’une femme quittée. Soi-disant qu’elle est de gauche, si c’était vrai, pourquoi elle a rien dit avant ?  » Catherine, professeur au collège, militante PS, ne dit pas autre chose :  » En salle des profs, on est unanimes, même ceux qui ne sont pas socialistes – « sans-dents », ce ne sont pas les mots du Hollande qu’on connaît. Juste un propos de langue de vipère monté en épingle par la presse parisienne. Il n’y a que vous, les médias, pour vous intéresser à ça ! Dans nos discussions, la vraie catastrophe de la rentrée, c’est Thomas Thévenoud qui ne paie rien. On se dit que tous les politiques se moquent de nous, à gauche comme à droite. Ils se croient au-dessus des lois.  »

Claude, retraité, soupire.  » Je suis socialiste depuis trente-cinq ans. A chaque campagne, je fais du porte-à-porte pour défendre mes convictions. En 2012, j’ai encouragé beaucoup de gens à aller voter pour François Hollande, des gens qui n’y croyaient pas vraiment, mais qui se sont quand même déplacés. Maintenant, quand ils me croisent, ils me disent : « On t’aime bien Claude, mais faut plus compter sur nous… » Ils ont une toute petite retraite, ils paient leurs impôts rubis sur l’ongle, et ils ont été écoeurés par l’affaire Thévenoud. Qu’est-ce que vous voulez que je leur réponde ?

Les sondeurs confirment l’effet dévastateur de cette affaire dans l’opinion, d’autant plus insupportable pour les Français qu’elle éclate au moment où les avis d’imposition arrivent dans les boîtes aux lettres.  » Il a démissionné le jour où j’ai tenu ma première réunion publique pour les sénatoriales, se souvient Didier Guillaume, président du groupe PS au Sénat. Pendant une semaine, sur le terrain, j’ai vécu l’enfer, avec des électeurs qui venaient de recevoir leur feuille d’impôts ! Pire qu’avec Cahuzac, parce que les impôts, ça parle à tout le monde – « Tous pourris », voilà ce qu’on me disait en septembre.  » Le temps ne fait rien à l’affaire. Thomas Thévenoud a plombé pour longtemps sa famille politique, le gouvernement et le président.

Elise Karlin

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