Les petits pas d’Hosni Moubarak

Pressions américaines, naissance d’un mouvement contestataire qui n’hésite plus à organiser des manifestations publiques : le chef de l’Etat a sans doute voulu désamorcer les critiques en annonçant un scrutin présidentiel ouvert pour septembre

De notre correspondant

La man£uvre est habile. En annonçant fin février, à la surprise générale, que l’élection présidentielle de septembre prochain serait multipartite et se ferait au suffrage universel direct, le président Hosni Moubarak a désamorcé d’un tour de main les critiques qui s’étaient accumulées sur son régime depuis quelques mois. Cette réforme de la constitution, qui doit être entérinée prochainement, était en effet au c£ur des revendications de l’opposition égyptienne. Comble de l’ironie, Hosni Moubarak l’a acceptée au moment où les partis d’opposition s’étaient résignés à renvoyer ce débat au lendemain des élections. Il faut dire que le chef de l’Etat égyptien, qui devrait annoncer en mai s’il briguera, à 76 ans, un cinquième mandat de six ans, avait dans un premier temps refusé d’accéder à cette demande. Et pour cause : le système en vigueur jusqu’à présent lui garantissait une réélection sans souci. Il suffisait pour cela que le Parlement où le Parti national démocratique (PND) au pouvoir détient 85 % des sièges le désigne comme candidat unique, et que ce choix soit ensuite approuvé lors d’un référendum-plébiscite. L’introduction du multipartisme et du suffrage universel est donc une révolution pour l’Egypte. Jamais, en effet, des pharaons à aujourd’hui, les Egyptiens n’ont pu choisir leur chef suprême. Mais en changeant les règles, le raïs ne met pas pour autant son régime en danger, du moins à court terme. D’abord, parce que le multipartisme ne garantit en rien la régularité du scrutin, dans un pays où les organisations des droits de l’homme dénoncent des fraudes électorales systématiques. Ensuite parce que Moubarak a, face à lui, une opposition privée de leaders charismatiques, affaiblie et divisée, dont le seul ciment était précisément la demande de réforme constitutionnelle.  » L’opposition est prise à son propre jeu, car elle n’a pas de candidat crédible à présenter contre Moubarak « , souligne Jean-Noël Ferrié, chercheur au Centre d’études et de documentation juridique (Cedej) du Caire. Seuls les Frères musulmans paraissent représenter un contrepoids au PND, mais la confrérie islamiste officiellement interdite, bien que tolérée, ne sera sans doute pas autorisée à présenter un candidat. Fragilisée par la répression policière, qui envoie chaque année des dizaines de ses membres en prison, elle a évité ces dernières années de défier ouvertement le pouvoir. Pour Jean-Noël Ferrié, Moubarak ne prend donc  » pas davantage de risques à faire une élection ouverte que Ben Ali en Tunisie « , tout en restaurant à bon compte son image de marque au niveau international.

C’est sûrement l’un des buts de la man£uvre. L’annonce de Moubarak est, en effet, intervenue dans une période de tensions avec les Etats-Unis, provoquées par l’arrestation d’Ayman Nour, le président du parti libéral Al-Ghad ( » Demain « ). Accusé d’avoir falsifié des mandats pour permettre la création de son parti autorisé à la fin de l’année dernière, Ayman Nour a été placé, début février, en détention préventive. Il n’a été libéré sous caution que mi-mars, avant d’être finalement inculpé pour faux et usage de faux, le 22 mars. Or son arrestation s’est notamment produite au lendemain d’une rencontre avec l’ex-secrétaire d’Etat Madeleine Albright, venue promouvoir la vision américaine de la démocratie, et après de vives critiques de Moubarak contre les  » mercenaires  » à la solde de pays étrangers. L’agacement du président égyptien ne visait pas seulement Al-Ghad, mais la tentation était forte de tuer dans l’£uf un parti dont l’indépendance et la liberté de ton séduisaient de plus en plus d’Egyptiens. Le remède a peut-être été pire que le mal, puisque le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a eu droit aux remontrances publiques de Condoleezza Rice à son arrivée à Washington mi-février. L’Egypte a annoncé, peu après, le report sine die d’une réunion entre le G-8 et la Ligue arabe, qui devait notamment aborder, début mars au Caire, la question de la démocratisation.

La réforme du mode de scrutin présidentiel ne pouvait donc pas mieux tomber pour désamorcer la crise. Elle a en tout cas permis à Moubarak de donner l’impression de répondre aux appels de George W. Bush, qui a invité à plusieurs reprises l’Egypte à  » montrer la voie de la démocratie au Moyen-Orient « . Une réponse d’autant plus nécessaire que le président égyptien avait été, l’an dernier, parmi les premiers à s’opposer au projet de  » Grand Moyen-Orient  » de Bush, en affirmant que l’Egypte avait son propre calendrier de réformes. Washington a d’ailleurs salué l’initiative du raïs comme  » un pas vers un régime plus ouvert « , même si ce pas est jugé insuffisant par les opposants égyptiens. Ce n’est pourtant pas de l’opposition parlementaire, engagée depuis le début de l’année dans un  » dialogue national  » avec le PND, que vient la plus forte contestation, mais du  » Mouvement populaire pour le changement « . Surnommé Kefaya ( » Ça suffit ! « ), ce groupe informel composé d’activistes politiques de tous bords et de militants de la société civile s’est donné pour objectif de mettre un terme aux vingt-quatre ans de  » règne  » d’Hosni Moubarak.  » Nous voulons que le président ne puisse pas effectuer plus de deux mandats de quatre ans « , explique George Isaac, le coordinateur du groupe.

Depuis sa première manifestation en décembre dernier, Kefaya a multiplié les opérations coup de poing pour demander le départ du chef de l’Etat et dénoncer une éventuelle succession de son fils cadet, Gamal, 41 ans. Beaucoup d’opposants craignent, en effet, que la réforme du mode de scrutin ne soit qu’une man£uvre destinée à fournir un vernis démocratique à Gamal Moubarak. Certains pensent même que ce libéral, proche des milieux d’affaires américains et dont plusieurs disciples ont pour la première fois été nommés au gouvernement l’été dernier, pourrait se présenter dès septembre prochain, si son père renonçait à le faire. L’autre grande revendication de Kefaya, c’est la levée de l’état d’urgence. En vigueur depuis l’assassinat du président Sadate, en 1981, cette législation d’exception limite notamment les libertés d’expression et de manifestation, tout en autorisant les arrestations et les détentions arbitraires. Une véritable machine de guerre que le pouvoir a abondamment utilisée contre les islamistes, mais aussi contre tous ceux qui ont osé s’opposer au régime ces dernières années. C’est le cas du sociologue et militant des droits de l’homme égypto-américain Saad Eddine Ibrahim, emprisonné entre 2000 et 2003 pour avoir entre autres rédigé un rapport sur les fraudes massives lors des précédentes élections. Avant l’ouverture du scrutin présidentiel au multipartisme, Saad Eddine Ibrahim s’était déjà dit prêt à se présenter contre Moubarak, comme l’écrivain féministe Nawal Saadaoui. Une initiative probablement sans lendemain. Selon Fathi Sorour, le président de l’Assemblée du Peuple, les candidats autorisés devront en effet présenter  » une garantie de sérieux « . En clair, ils devront être à la tête d’un parti représenté au Parlement ou bénéficier du soutien d’au moins 20 % des parlementaires, à la grande colère des indépendants, qui jugent la réforme ainsi vidée de son sens.  » Personne ne pourra déposer sa candidature dans les conditions atuelles « , déplore Rifaat al-Saïd, le président du parti Tagammou (gauche), qui s’inquiète également du refus du pouvoir d’accepter l’envoi d’observateurs neutres pour superviser le déroulement des élections, comme l’Union européenne l’a proposé. L’opposition menace désormais de boycotter le scrutin. A moins de six mois du vote, les Egyptiens, eux, ont leur favori : Amr Moussa, l’ancien ministre des Affaires étrangères et actuel secrétaire général de la Ligue arabe, arrive en tête des rares sondages d’opinion. Mais, comme personne ne l’imagine faire campagne contre son propre parti, Hosni Moubarak peut préparer tranquillement sa réélection.

Tangi Salaün

 » L’opposition est prise à son propre jeu, car elle n’a pas de candidat crédible à présenter contre Moubarak « 

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