Victimes flamandes de la Grande GuerreLe mythe des ordres incompris

Non, les soldats de l’Yser n’étaient pas flamands à plus de 80 %. Non, ils ne sont pas morts pour ne pas avoir compris les ordres donnés en français. Les légendes ont la vie dure quand la politique s’en mêle.

Tous les ans, à la fin août, la grand-messe du mouvement flamand a pour cadre le pèlerinage de l’Yser. En 2009, le rendez-vous de Dixmude a rassemblé plus d’un millier de personnes, dont quelques ténors politiques surtout issus des rangs du CD&V et de la N-VA. Le comité organisateur a réclamé la suppression des élections fédérales, seul le gouvernement flamand étant légitime à ses yeux.

Erigée en 1928, la tour de l’Yser domine une plaine autrefois morcelée par les tranchées et ravagée par les bombardements de la guerre de 1914-1918. On y commémore rituellement le sacrifice et les souffrances des soldats flamands, ces paysans et ouvriers commandés par des officiers issus de la noblesse et de la bourgeoisie francophones, et qui auraient été envoyés à une mort inutile.

Dès que les canons se sont tus, le Mouvement flamand a hurlé à l’injustice. Il va la graver dans la pierre de la tour et verra dans les malheurs des soldats flamands l’éveil du désir d’autonomie de la Flandre, le point de départ de ses revendications. Le mythe, religieusement entretenu, se nourrit d’estimations et d’allégations hardiment lancées par les milieux nationalistes.

Ceux-ci prétendent que 80 à 90 % des soldats engagés sur le front étaient flamands. Cette disproportion ne peut que les renforcer dans leur combat contre une Belgique jugée ingrate, voire tyrannique. Il a fallu attendre la fin des années 1970 et les années 1980 pour que des études mettent à mal cette lecture douteuse de la tragédie.  » En réalité, pas plus de 67 % des soldats de l’Yser étaient flamands « , reconnaît l’historien flamand Luc De Vos. Le surplus, par rapport au pourcentage de Flamands dans la population belge, est donc réel, mais limité à environ 9 %.

Plus grave : la propagande flamingante affirme que les chefs militaires wallons ont envoyé à la boucherie les humbles troupiers flamands qui n’avaient pas compris les ordres donnés exclusivement en français.  » Aucun témoignage ne vient confirmer ces allégations, poursuit le Pr De Vos. Le problème est ailleurs : des Flamands ont déploré la présence en surnombre de sous-officiers francophones, alors que le simple soldat, vu sa faible scolarisation, était souvent flamand. « 

On ne sait pas très bien quand s’est forgée cette légende des ordres incompris. Même la littérature flamande, qui magnifie les obscurs héros des tranchées, n’ose avancer un tel reproche. Les brochures les plus extrémistes ne mentionnent pas non plus cette accusation scandaleuse, qui n’aurait pas manqué d’être exploitée si elle reposait sur un fond de vérité. En revanche, quelques leaders politiques du nord du pays, peu scrupuleux, ont leur part de responsabilité dans la propagation du mensonge.

O.R.

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