Le feu d’artifice Vargas Llosa

Le maître péruvien publie un roman historique sur fond de colonisation belge du Congo. Le clou d’un festival de parutions en l’honneur du Nobel.

El Nobel pasa. Au condor des lettres péruviennes il ne manquait que la récompense suprême, et l’académie suédoise a fini par la lui offrir, il y a tout juste un an. Dans son discours prononcé lors de la remise de ce prix, Vargas Llosa s’est présenté comme  » un avaleur d’histoires  » et il a donné cette belle définition de son métier :  » Ecrire, c’est déchiffrer le hiéroglyphe de la vie.  » Et si la littérature consiste à ravauder la toile déchirée de nos existences avec le fil blanc de l’utopie, Vargas Llosa est passé maître en la matière : son £uvre donne la parole à des êtres qui ne cessent de scruter l’horizon pour y trouver des raisons d’espérer, pour rendre possible l’impossible et pour avoir la force de résister à la tyrannie du pouvoir, sous toutes ses formes – sexuelles, psychologiques, sociales ou politiques. Mais Vargas Llosa, c’est aussi le triomphe de l’imagination, et un art remarquable de la mise en scène : ce génial architecte des illusions romanesques a construit tous ses livres comme des cathédrales où flamboient les vitraux du réalisme magique cher aux grands latinos.

Cet automne, l’auteur de L’Orgie perpétuelle est à la fête. D’abord, il y a un hommage de son traducteur, Albert Bensoussan, qui montre comment on devient un  » fleuve de paroles  » dans Ce que je sais de Vargas Llosa (François Bourin éditeur). En même temps, Gallimard propose cinq livres très différents, autant de visages de Mario le magicien. Sa conférence de réception du Nobel, Eloge de la lecture et de la fiction. Son Théâtre complet, huit pièces qui sont un peu le laboratoire de ses romans. La réédition d’une nouvelle magistrale sur les émois et les troubles de l’adolescence, Les Chiots, avec des photos du Catalan Xavier Miserachs. Un recueil d’essais, De sabres et d’utopies, où l’on suit l’évolution de la pensée politique du candidat aux élections péruviennes de 1990 : un parcours souvent contesté qui va du castrisme au thatchérisme, du tiers-mondisme au libéralisme avec, en ligne de mire, la même défense des droits de l’homme de la part d’un intellectuel citoyen  » viscéralement épris de liberté « , comme l’écrit Bensoussan.

Reste la pièce maîtresse, Le Rêve du Celte, un roman historique où Vargas Llosa remet en selle un irréductible trublion né près de Dublin en 1864, Roger Casement, homosexuel tourmenté, diplomate dissident, pionnier de la lutte anticoloniale et héraut malheureux de l’indépendance irlandaise. Vargas Llosa le cueille en Afrique où, à 19 ans, il vient d’être nommé consul de Grande-Bretagne. Entre deux crises de paludisme, il rencontre Joseph Conrad et ne tarde pas à découvrir les exactions de la monarchie belge, qui, à coups de machettes, réprime dans le sang la populace congolaise. Casement proteste haut et fort, £uvre à soulever l’opinion européenne contre Léopold II, puis débarque au Pérou. Il y mènera une nouvelle croisade en faveur des Indiens exterminés en Amazonie, avant de remiser sa livrée de diplomate, d’afficher sa haine de l’Empire britannique et de rallier la cause des nationalistes irlandais, pour lesquels il se convertira en trafiquant d’armes.

Accusé de trahison par la Couronne, emprisonné à Islington, il finira au bout d’une corde le 3 août 1916 et ce roman jette sur sa pathétique disgrâce la plus tragique des lumières. Avec Casement, Vargas Llosa a sans doute trouvé son alter ego : un franc-tireur qui, comme lui, n’a pas rechigné à passer pour un transfuge et à changer de camp politique. Avec, pour seule fidélité, la noblesse d’une âme indomptable.

Le Rêve du Celte, par Mario Vargas Llosa. Trad. de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès. Gallimard, 525 p.

ANDRÉ CLAVEL

Son £uvre donne la parole à des êtres qui ne cessent de scruter l’horizon pour y trouver des raisons d’espérer

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