Franklin Dehousse

« Grandeur et décadence de l’Union européenne »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Au niveau européen, les élections du 26 mai marquent des tendances à la fois encourageantes et inquiétantes (la Belgique demeure non pertinente puisqu’elle combine tous les scrutins et impose le vote obligatoire).

Sur le plan positif, la nouvelle fondamentale réside dans le taux de participation plus élevé. Dans de nombreux Etats, les citoyens ont mieux perçu que l’Union européenne, malgré sa monstrueuse complexité, délivre les règles sur l’équilibre budgétaire, la régulation de l’Internet, les télécommunications, l’alimentation, le changement climatique, et qu’elle entrave aussi largement les initiatives fiscales et sociales. Il faut la contrôler.

La deuxième bonne nouvelle est que les votes extrémistes n’ont pas globalement augmenté. Cela ne signifie pas que l’extrémisme n’a pas augmenté. D’une part, des partis d’extrême droite tiennent des discours plus durs (laisser les clandestins sans soins, voire mourir de faim, par exemple). D’autre part, cela entraîne une contagion dans les partis traditionnels (voir la CSU en Allemagne, et les sociaux-démocrates au Danemark, notamment). Par ailleurs, la représentation est plus fragmentée, mais de façon tout à fait gérable avec quatre groupes de poids.

Enfin, comme nous l’avons suggéré auparavant, le Conseil européen semble évoluer vers des nominations prenant mieux en considération les capacités des candidats et la représentation des femmes. La première chose, si on veut des politiciens de qualité, est de les choisir selon ce paramètre.

Sur le plan négatif, il faut mentionner la course indécente de nombreux candidats à la présidence de la Commission, dès le soir de l’élection. Sans se soucier le moins du monde des voeux des électeurs, des mesures envisagées ou des équilibres institutionnels, leur seul programme, dès lundi, était  » moi, d’abord « . Une catastrophe en communication, de gens qui ne voient pas que les bêtises du présent font les déficits d’image du futur. N’est pas Jacques Delors qui veut.

Sans compter les comportements ridicules, où les candidats oublient que les propositions émanent des Etats. Le socialiste Frans Timmermans, glissant de la technocratie à la poésie, invoquait une majorité de gauche qu’il était seul à voir sur tout le continent. Pire, la libérale Margrethe Vestager, naguère pure vestale de la concurrence, se découvrait soudainement candidate à la présidence le lendemain de l’élection ! La palme de l’écoeurant revenait toutefois au conservateur Manfred Weber. Oubliant à la fois le rôle du Conseil européen selon le traité, la perte en voix de son parti et la nécessité d’une majorité parlementaire, il ne voyait qu’une seule chose : la  » démocratie  » avait consacré sa mission sacrée de président de la Commission. Le tout s’appuyant sur deux subtiles distinctions. D’une part, le PPE a suspendu Viktor Orban, et non exclu (ses voix peuvent donc encore soutenir Weber). D’autre part, Orban a été suspendu par le parti, mais non par le groupe parlementaire (idem). Sacré Weber, personne ne le connaît, mais tout le monde est censé avoir voté pour lui ! C’est avec de pareilles combines qu’il veut présider la Commission, gardienne de l’Etat de droit. Une catastrophe pour l’Europe, la Commission, et l’Allemagne.

Autour de cela s’agglutinaient encore les candidatures de Rutte, Michel et Bettel. Tous se découvrent soudain une vocation européenne, sans la moindre justification concrète, en oubliant que l’Europe comprend 28 Etats membres, et que le Benelux fournit déjà le plus grand pourcentage de candidats au kilomètre carré (sans parler de Juncker, sortant). Tout cela ne doit pas nous désengager de l’Europe, une très grande idée, gérée par des pygmées.

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