© AFP

Pourquoi Poutine libère des prisonniers vedettes

Le Vif

Que signifie la libération des Pussy Riot et de Mikhaïl Khodorkovski en Russie? Faut-il y voir une démonstration de la toute puissance de Vladimir Poutine? Ce geste masque-t-il au contraire des failles du pouvoir russe? Décryptage.

Khodorkovski n’est plus une menace pour Poutine

L’ancien oligarque a accepté, pour obtenir sa libération, de se retirer de la vie politique. « La question de la politique, si l’on considère la politique comme la lutte pour le pouvoir, n’est pas d’actualité pour moi », a-t-il déclaré lors de sa conférence de presse à Berlin dimanche, ajoutant qu’il n’envisageait pas de financer l’opposition. Même s’il le souhaitait, plusieurs obstacles s’opposeraient à cela: selon une loi récente, toute personne condamnée à des peines sévères n’est plus éligible. Ensuite, la grâce accordée par le président russe Vladimir Poutine ne s’applique qu’au pénal, et une condamnation au civil oblige l’ancien oligarque à payer 550 millions de dollars au fisc russe.

L’ex-« prisonnier personnel de Poutine » a aussi expliqué avoir laissé derrière lui des « otages ». En particulier son ancien collègue Platon Lebedev, libérable au printemps 2014, mais menacé, comme l’avait été Khodorkovski lui-même, quelques jours avant sa libération, d’un troisième procès et d’une prolongation de sa peine, ainsi qu’Alexeï Pitchouguine, ex-chef de la sécurité du groupe pétrolier Ioukos, condamné à la détention à la perpétuité.
Enfin, s’il est le symbole de l’arbitraire judiciaire en Russie, Mikhaïl Khodorkovski, en tant qu’ancien oligarque, ne jouit pas d’une forte popularité en Russie en dehors des cercles libéraux.

En l’obligeant à quitter la Russie, Poutine se débarrasse d’un gêneur potentiel, comme le font tous les régimes autoritaires. Dès lors qu’il est à l’étranger, ses agissements n’auront que peu de répercussions dans le pays. Khodorkovski a d’ailleurs relevé lui-même que la façon dont il a été réveillé à 2h du matin dans sa colonie pénitentiaire pour être aussitôt expédié par avion à l’étranger était « dans la meilleure tradition des années 1970 », lorsque l’URSS se débarrassait ainsi de ses prisonniers politiques encombrants.

Le fait du Prince: un régime plus verrouillé que jamais

Les cas des Pussy Riot ou de Khodorkovski, comme ceux d’Alexeï Navalny ou de Sergueï Oudaltsov en 2013, illustrent la façon dont la justice en Russie sert d’instrument de coercition contre les opposants. « On construit un dossier compromettant contre la personne à qui on reproche son indocilité envers le pouvoir, d’abord pour la menacer et lui faire peur. Si elle s’entête, on met la machine judiciaire en marche », expliquait Marie Mendras à L’Express au moment du procès d’Alexeï Navalny, en juillet dernier.
« Toutes les demandes de libération anticipée auxquelles Khodorkovski et les Pussy Riot avaient droit ont été bloquées par les autorités judiciaires, souligne la chercheuse. Aujourd’hui encore, ils n’ont pas droit à la justice puisqu’ils ne peuvent pas obtenir une révision de leurs procès, mais ils doivent se contenter de ce geste présidentiel. »

Le dirigeant russe se gargarise ainsi de son pouvoir: « C’est moi qui t’ai jeté en prison, c’est moi qui te libère », semble-t-il dire, comme le souligne le politologue Kirill Rogov interrogé par Libération. Ce « pardon princier » met en relief l’indigence de l’Etat de droit en Russie. Depuis le début du troisième mandat de Poutine, en mai 2012, le Kremlin a multiplié les attaques contre les opposants qui n’ont que trois alternatives: les poursuites judiciaires, le silence ou l’exil, comme y ont été contraints Garry Kasparov ou l’économiste Sergueï Gouriev récemment.

Le Kremlin a également multiplié les mesures liberticides: restriction des activités des ONG, répression de l’homosexualité, ou plus récemment, adoption d’une loi qui permet de bloquer des pages d’internet sans autorisation judiciaire ou d’une autre pénalisant la propagande séparatiste. Quant à la loi d’amnistie votée par le Parlement qui a permis la libération des Pussy Riot, elle ne concerne que 1300 détenus sur une population carcérale qui compte entre 700 000 et 800 000 personnes, selon la chercheuse Galia Ackerman, interrogée par Le Monde.

Une façon de montrer sa toute-puissance

Vladimir Poutine, persuadé que la fin de l’URSS a été « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », n’a de cesse de vouloir rétablir la grandeur de la Russie. Il estime y être parvenu avec les succès engrangés en 2013: l’affaire Snowden, la Syrie, les pressions sur l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, ou le déploiement de missiles dans des zones frontalières.
Après avoir bloqué toutes les résolutions de l’ONU sur la Syrie depuis le début du soulèvement contre le régime en 2011, le maitre du Kremlin a réussi à renforcer l’assise de son protégé Bachar el-Assad. En proposant le désarmement chimique de la Syrie après l’attaque du 21 aout, il se targue d’avoir empêché une intervention militaire occidentale contre Damas.

A l’évidence, la politique de pressions brutales fonctionne

Autre victoire diplomatique de Poutine, l’accueil accordé à Edward Snowden, l’ancien consultant qui a dévoilé les écoutes de la NSA.
Enfin le président russe a récemment damé le pion à l’Union européenne en empêchant la signature d’un accord de partenariat avec l’Ukraine, contre un prêt de 15 milliards de dollars et la fourniture de gaz à prix d’ami. « Le gouvernement ukrainien s’incline très bas devant le Kremlin. A l’évidence, la politique de pressions brutales fonctionne », commentait récemment le chef de la diplomatie suédoise Carl Bildt.

La grâce accordée à Khodorkovski et aux Pussy Riot lui permet de montrer qu’en sus de ces succès à l’international, il a aussi repris les choses en main à l’intérieur du pays. Effacé l’affront des manifestations de l’hiver 2012 dénonçant la fraude électorale de son parti aux législatives.

… Mais un besoin de rassurer l’Occident et de panser les maux de l’économie russe

Outre le dépit de voir plusieurs dirigeants occidentaux boycotter les Jeux olympiques de Sotchi, la clémence de Poutine pourrait aussi s’expliquer par un besoin de rassurer les investisseurs occidentaux.

Les relations de Moscou avec les Pays occidentaux ne sont pas au beau fixe, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’économie russe, qui souffre de nombreux maux: population vieillissante, infrastructures désuètes, retard technologique, activité plombée par la corruption et l’arbitraire judiciaire. Résultat, la Russie affiche un taux de croissance à la traîne vis-à-vis de ses partenaires des Brics.

L’économie russe, basée sur la rente gazière et pétrolière, est dépendante de ses échanges extérieurs, en particulier avec l’Union européenne. « Les prix du pétrole stagnent, et ils peuvent encore chuter après le retour de l’Iran sur le marché, une fois les sanctions internationales levées », souligne Galia Ackerman qui relève que la Bourse de Moscou a réagi favorablement à l’annonce de la libération de Khodorkovski.

« Dans le pays, le climat des affaires est maussade, la fuite des capitaux se monte à des dizaines de milliards de dollars. L’arrestation de M. Khodorkovski avait eu un effet désastreux, non seulement sur les défenseurs des droits de l’homme mais aussi sur les investisseurs russes comme étrangers », relève l’historien Charles Urjewicz. Le président russe a d’ailleurs récemment accusé son propre gouvernement d’avoir été incapable de freiner le l’exode des capitaux du pays.

Puissance ou pouvoir de nuisance?

Les succès de Poutine à l’international doivent au moins autant aux faiblesses de l’Occident qu’à sa propre puissance. La volonté de désengagement de Barack Obama du Moyen-Orient, affichée dès son arrivée au pouvoir, a laissé à la Russie un espace qu’elle s’est empressée d’occuper. Les atermoiements de l’Occident dans la crise syrienne sont pour beaucoup dans la victoire diplomatique de Vladimir Poutine. Sur la question des armes chimiques, le président Obama n’a cessé de repousser les « lignes rouges » que son administration avait tracées.

L’aire d’influence de la Russie est beaucoup plus limitée que ne l’était celle de l’URSS. La force de la Russie de Poutine tient plus d’un pouvoir de nuisance, de blocage, que d’une capacité de séduction. En libérant les Pussy Riot et Khodorkovski, Poutine, s’est essayé à la diplomatie de la carotte, mais jusqu’à présent, c’est surtout dans l’usage du bâton qu’il excelle.

Par Catherine Gouëset

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire