Stabat Mater en version iconoclaste

Barbara Witkowska Journaliste

Affranchi de toute pensée politiquement correcte, l’auteur italien Antonio Tarantino, optant pour la drôlerie triviale, signe une adaptation puissante et dérangeante.

Une table, une chaise, un buffet-autel jonché de vierges en plastique, de guirlandes et de  » bondieuseries « , et des vêtements bigarrés éparpillés tout autour. Dans ce décor de pauvreté italienne des années 1970, Antonio Tarantino plante le décor de Stabat Mater. A l’origine, c’est un texte religieux du XIIIe siècle qui raconte la souffrance de Marie lors de la crucifixion de Jésus. Ici, le dramaturge italien, peu connu en Belgique, propose un autre tempo du mythe de la Vierge. On y voit Marie, ex-prostituée, éclopée de la vie, la  » vierge alcoolique  » qui picole du Martell plus que de raison et hurle son histoire de la femme blessée avec rage et désespoir : la misère d’une mère-fille, la mort de son fils et le deuil impossible. Tel un dragon furieux, elle crache des flammes contre Jean, l’amant disparu qui se  » tape  » toutes les femmes, dont  » cette pute obèse qui pue comme une roue de gorgonzola « , et mijote sa vengeance en promettant :  » Je me mets au régime, je te fais mourir de jalousie toi et ton tonneau et j’t’deviens comme une madone.  »

La vraie tragédie, c’est la disparition de son fils, Jésus. Marie écume tous les commissariats, vitupère l’indifférence des services sociaux, insulte au passage les immigrés ivoiriens, avant de le retrouver à la morgue, mort dans des circonstances obscures parce qu’il lisait  » de petits livres qu’il glissait sous son matelas « , comme lui explique M. Ponce, le commissaire. Petit à petit, le flot de paroles injurieuses et incendiaires se calme. La férocité fait place à la douleur et à la souffrance quand Marie, résignée, dit :  » Et le monde n’attend pas mon Jésus de fils parce que le monde se lève plus tôt que tous les poètes et les prophètes réunis. « 

Le texte de Tarantino, sans ponctuation, violent et heurté, roule comme un torrent. Le langage cru, trash et vulgaire est parfois éprouvant pour les oreilles. Mais Jean-Marie Pétiniot, affublé d’une robe démodée et d’un gilet crocheté, est l’atout majeur de cette production. Quand il se lance dans ce phrasé haletant avec une conviction incroyable, quand il se donne à fond sans tricher, tour à tour trivial, blessé et douloureux, il est bouleversant de vérité et on reste scotché dans le fauteuil. Une performance féroce dont personne ne sort indemne.

Pourquoi Jean-Marie Pétiniot dans un one-woman-show ? En guise de réponse, Roland Mahauden, metteur en scène et directeur du Théâtre de Poche, se contente d’un laconique  » Et pourquoi pas ? » avant d’ajouter :  » Avec le talent qu’il a, il peut interpréter n’importe quel rôle.  » De son côté, Jean-Marie Pétiniot proclame :  » Ce n’est pas la première fois que je me glisse dans la peau d’une femme, j’ai passé neuf mois dans la peau de ma mère.  » Antonio Tarantino a obtenu pour Stabat Mater, en 1993, le prix Riccione pour le théâtre, l’un des prix les plus anciens et plus prestigieux décerné à l’écriture italienne contemporaine.  » Dans ce texte il y a du Pasolini, conclut Roland Mahauden. Je suis ravi de le faire découvrir au public belge. Le rôle d’un théâtre est de faire bouger les consciences. On ne dit pas aux gens comment ils doivent penser, on dit qu’il faut penser. La réflexion est nécessaire.  » Dans Stabat Mater, on parle de souffrance. De pauvreté. De courage. Et de révolte. Une affaire toujours d’actualité.

Stabat Mater, jusqu’au 21 mai à 20 h 30, Théâtre de Poche, Chemin du gymnase, à 1000 Bruxelles (bois de la Cambre). Tél. : 02 649 17 27. www.poche.be

BARBARA WITKOWSKA

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