Sur les traces d’une princesse

Les fouilles archéologiques sur le tracé de la future N 25 ont mis au jour, à Grez-Doiceau, une nécropole mérovingienne. Elle était la dernière demeure d’une princesse  » barbare « . Sa tombe a livré un mobilier d’une richesse inouïe. En primeur pour Le Vif/ L’Express, visite d’un exceptionnel chantier de fouilles

La semaine prochaine : l’archéologie préventive. La majorité des fouilles réalisées actuellement en Région wallonne sont menées à titre préventif. But : éviter que des vestiges passent à la trappe lors de la construction d’autoroutes…

Le champ funéraire se trouvait ici, sur une pente légèrement inclinée, un peu en hauteur par rapport au petit affluent du Train qui s’écoulait sûrement non loin des habitations de l’époque. Comme la majorité des 500 cimetières mérovingiens recensés en Belgique, il vient de dévoiler ses rangées de tombes orientées, telles qu’elles apparaissent chez nous à la fin du ve siècle, peu après l’implantation des Francs. Inhumés sur le dos,  » endimanchés « , les défunts étaient enterrés à la manière germanique, avec leurs effets personnels : des vases biconiques noirs, très typiques, mais, surtout, des objets de parure pour les femmes et, notamment, une collection impressionnante de colliers de perles, en pâte de verre. Dans les tombes masculines, sans grande surprise pour un peuple guerrier, des lances, scramasaxes et autres boucliers composaient l’essentiel du mobilier funéraire.  » La nécropole est exceptionnelle pour l’abondance du matériel accompagnant les défunts, mais aussi pour sa diversité de cercueils en bois « , commente l’archéologue Olivier Vrielynck, truelle à la main, agenouillé auprès d’une des 300 tombes exhumées, et qui termine son sauvetage pour le compte de  » Recherches et Prospections archéologiques en Wallonie « , une ASBL financée par la Région.  » Comme l’acidité du sol a eu raison de tout ce qui était organique – même la plupart des squelettes ont disparu -, nous travaillons en suivant les empreintes positives qu’ont laissées les infiltrations. Voyez ce limon blanc très doux. Il a progressivement comblé les planches en décomposition, redessiné les piliers sculptés et les troncs évidés.  » Quelques piquets, dont les trous ont été retrouvés, devaient certainement signaler la présence des tombes principales en surface. Ce qui a facilité le travail des pilleurs de l’époque ! Mais, sur le futur tronçon de la N 25, entre Wavre et Louvain, avant que ne soient réalisés les travaux de sondage, aucun indice ne laissait imaginer la présence d’une nécropole, encore moins d’une découverte majeure.

Si, au temps de Clovis, les armes témoignent du statut social des hommes, les bijoux révélent, eux, celui de leurs épouses. A en juger par les dotations qui l’entouraient, l’une des défuntes au moins devait sans doute appartenir à la plus haute aristocratie terrienne. Peut-être même, qui sait, à celle qui a engendré les dignitaires de la dynastie des Mérovingiens. Certes, pour l’heure, les spécialistes se refusent à toute interprétation hasardeuse. Mais ils sont émerveillés par les chefs-d’£uvre d’orfèvrerie portés par la  » princesse  » : outre une bague en or, au doigt, un collier en ambre et un autre enfilé de trois pendentifs en forme de croix, la belle portait, pour maintenir sa longue tunique, deux fibules aviformes serties de grenats sur paillons d’or. Une technique utilisée pour rehausser leur éclat. D’après sa coiffe, illuminée de quelque 28 appliques en métal précieux, sa longue chevelure devait faire l’objet de tous les soins. En guise de boucles d’oreille, deux anneaux tressés portaient chacun un polyèdre mobile orné de filigrane et de pierres précieuses. A côté du corps de la princesse, le dépôt funéraire était de la même eau : une céramique finement décorée, un bassin en bronze et un gobelet en verre témoignent d’un très grand luxe pour l’époque.  » Les trois autres tombes ont malheureusement été pillées, constate l’archéologue. Mais le contenu de cette seule tombe en fait la sépulture la plus richement dotée jamais mise au jour chez nous, depuis celle de Childéric Ier.  » La sépulture du père de Clovis avait été en effet découverte par hasard à Tournai, le 27 mai 1653.

Hormis l’ Historia Francorum de Grégoire de Tours (538-594), rares sont les sources écrites de cette époque quelque peu mystérieuse, volontiers qualifiée de  » barbare « . Un vide longtemps comblé par les clichés de nos manuels scolaires, illustrant des rois chevelus pavoisant sur leur bouclier, tantôt sauvages, tantôt fainéants, sans parler de ce vase énorme, émietté brutalement à Soissons sous le coup d’une francisque. Tout aussi peu nombreuses sont les découvertes relatives à l’habitat, probablement situé à l’emplacement des agglomérations actuelles. Quasi aucun n’a été fouillé jusqu’ici en Wallonie, sauf quelques foyers urbains (Huy, Namur) et ruraux (Villers- le-Bouillet), récemment localisés. Les traditions funéraires demeurent donc, pour l’instant, pratiquement les seules sources d’information sur les techniques, les coutumes et les croyances de cette période, pont décisif entre le Bas-Empire romain et le Moyen Age.

Le Franc et son sou

La culture germanique s’était depuis longtemps répandue dans nos régions. Elle avait débuté discrètement dès la fin du iiie siècle, avec l’installation de prisonniers de guerre, puis d’agriculteurs soldats germains (les lètes), engagés dans l’armée romaine. Ces  » barbares  » avaient été autorisés à coloniser les zones frontières de l’Empire, à condition de le défendre contre les invasions d’autres peuples venus de l’Est. Les Francs Saliens jouent une politique d’alliance avec Rome et cohabitent au départ avec les peuples romanisés. C’est de cette manière qu’ils s’installent également chez nous : ils mettent à profit les vides démographiques et récupèrent les terres les plus fertiles des grands latifundia gallo-romains, en friche depuis les premières invasions. Ces  » fédérés  » avaient pu conserver leurs chefs, leurs lois et leurs coutumes. Mais ils en avaient aussi adopté d’autres, des Gallo-Romains. Au fil de leurs conquêtes, ils étendirent sur toute la Francia une culture nouvelle née de la fusion des deux civilisations.

Exhumés à Grez-Doiceau, quelques objets, remarquables, viennent étayer cette caractéristique culturelle. Dans l’une des tombes aristocratiques, un sou d’or ( solidus) de très grande valeur, frappé au nom d’Anastasius Ier , empereur byzantin de 491 à 518, contemporain de Clovis, a échappé aux pilleurs. L’obole due à Charon avait sans doute été placée sous la langue, selon la coutume romaine. Le précieux viatique devait permettre au défunt de franchir le fleuve des Enfers (le Styx) et d’accéder ainsi à l’au-delà, après avoir payé le passeur. Outre une datation précise de l’inhumation, la pièce, probablement imitée et frappée dans un atelier local, confirme la continuité des échanges commerciaux avec l’Empire romain d’Orient. Les méthodes, très modernes, d’analyse de leurs bijoux aboutissent d’ailleurs aux mêmes conclusions. Pierres précieuses de prédilection des orfèvres du vie siècle, les grenats, qui ornent leurs fibules, les rendent reconnaissables au premier coup d’£il. En identifiant certaines impuretés présentes dans les gemmes, les chercheurs réussissent, par comparaison, à déterminer avec certitude leur provenance géologique. Verdict ? L’Inde !

 » Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré.  » Celui qui a un peu sérieusement révisé son cours d’histoire se souvient de cette phrase prononcée par l’évêque de Reims lors du baptême de Clovis. Durant leur expansion, les Francs rencontreront des hommes pénétrés d’un dieu qui leur est inconnu. En l’adoptant, leur souverain va contribuer à faire triompher la foi dans nos régions. Mais, contrairement à ce que l’on imagine, le processus est lent et la pratique de la religion, longtemps limitée aux grands centres urbains comme Trèves, Reims et Cologne. Dans les campagnes et sur le plateau brabançon, en particulier, couvert de forêts et peu habité, le paganisme est la règle : les missionnaires, qui tentent de combattre l’idolâtrie, se heurtent à de grandes difficultés. L’attachement de la population rurale aux coutumes païennes est singulièrement bien mis en évidence dans les nécropoles.  » Quand bien même un message chrétien, un simple chrisme apparaîtrait dans une tombe, il est bien difficile d’appréhender le degré de pénétration de la nouvelle religion dans la mentalité du défunt, souligne Vrielynck. Les usages comme les dépôts funéraires, jugés bientôt contraires à la règle chrétienne, ne disparaissent que tardivement, vers le viiie siècle, alors que les inhumations trouvent place autour d’une chapelle ou d’une église. Nous avons aussi constaté un changement radical de l’orientation dans les tombes : orientées nord-sud, elles prennent subitement la direction est-ouest, mais il n’est guère prouvé que cela fait suite à l’arrivée du christianisme.  »

Pour que le christianisme finisse par s’imposer dans nos régions, il faudra attendre les premières fondations monastiques. Elles apparaissent très tardivement, durant la seconde moitié du viie siècle, époque à laquelle le cimetière de Grez-Doiceau est abandonné. A l’image des anciennes villas gallo-romaines, ces monastères deviennent des centres agricoles importants autour desquels se fixent les populations christianisées. Parmi eux, l’abbaye de Nivelles, située en  » roman pays de Brabant  » à 36 kilomètres de là, est fondée vers l’an 680 sur les terres du maire du palais (Pépin de Landen) du bon vieux roi Dagobert Ier. Gertrude, fille de Pépin, très pieuse, est instruite et d’une générosité sans limites. Alors qu’elle refuse de se marier, elle est désignée première abbesse de ce monastère composé de trois oratoires. Parmi eux, celui dédié à saint Pierre connaîtra une destinée des plus prestigieuses et des plus durables. Sur le tombeau de Gertrude, où se produisent, dit-on, de nombreux miracles, les pèlerins affluent. C’est à cet endroit précis que s’élèvera la belle collégiale de Nivelles, qui porte toujours son nom.

Marc Fasol

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