Haro sur l’élitisme du latin !

Ainsi donc, il sera désormais interdit aux écoles, dans le premier degré de l’enseignement secondaire, de ne pas offrir une alternative à la section  » latine « . Motif : imposer le latin serait élitiste. Le gros mot est lâché.

Que dire alors du calvaire de trop nombreux élèves qui butent, six ans durant, sur des concepts algébriques qui leur resteront à jamais obtus ? Supprimons le cours de maths, cours élitiste s’il en est. Ou le cours de français, langue d’ailleurs horriblement compliquée que fort peu d’entre nous maîtrisent honorablement, les autres se contentant d’envoyer des courriels ou SMS criblés de fautes ? Supprimons donc le cours de français, Madame Arena, et avec lui les autres cours absolument dénués d’intérêt, et qui plus est sans nul doute élitistes, que nous imposons par pure cruauté mentale aux potaches d’aujourd’hui. Il sera bien temps, à l’université, d’enseigner aux quelques hurluberlus qui tiennent absolument à parler et à écrire une langue châtiée les rudiments et subtilités de la leur…

Pourtant le rôle de l’école n’est-il pas de façonner un cerveau aussi complet et polyvalent que possible ? D’ouvrir des portes ? De faire découvrir ? Et le latin pour tous, n’était-ce pas une manière de donner à chaque élève, quels que soient son milieu ou ses origines, la chance de découvrir une langue, une culture, un mode de pensée, une logique ? Une manière d’éviter que les élèves issus de milieux moins favorisés, où l’on ne voit sans doute pas toujours bien l’intérêt d’étudier une langue morte, soient cantonnés dès l’abord dans une filière  » sans « , donc appauvrie, tandis que les élèves issus de milieux plus privilégiés se retrouveraient entre eux pour s’adonner aux joies et/ou aux supplices des déclinaisons ? Après un an ou deux de latin, rien n’empêchait ceux que l’expérience n’avait pas convaincus de bifurquer vers une section  » moderne « . Elitisme ?

Le Parti socialiste est tombé bien bas, s’il estime qu’apprendre aux élèves à penser, que les tirer vers le haut, les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes, donc donner toutes ses chances à chacun, est condamnable parce qu’élitiste. S’il estime que certains enfants, quasi par nature, n’ont pas accès au latin, et qu’il faut donc d’emblée leur éviter ce traumatisme. S’il estime qu’imposer est toujours ringard, même lorsqu’il s’agit d’enfants, même lorsqu’il s’agit de culture ou d’émancipation. Est-ce sur de tels principes que le PS a bâti son combat pour le suffrage universel ? Car, au fond, Madame Arena, l’obligation pour tous de voter, donc de réfléchir un tant soit peu, n’est-ce pas terriblement élitiste, ça aussi ? Ne serait-il pas plus  » démocratique  » de créer d’emblée deux filières : celle avec droit de vote et celle sans ?

Nadia Geerts, professeur de morale à la Ville de Bruxelles

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