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« Bart De Wever est pris en tenaille entre le compromis et les attentes de sa base »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Malgré un score historique, la mission de la N-VA s’annonce compliquée d’après Pierre Vercauteren, professeur et politologue à l’UCL Mons. Bart De Wever devra se frotter à la culture du compromis vis-à-vis des francophones sans froisser sa base. En Wallonie, le jeu des coalitions s’annonce assez ouvert.

Le Vif/l’Express : Comment décrypter la victoire historique de la N-VA, tant au niveau fédéral qu’à la Région flamande ?

Les résultats sont en fait assez contrastés. Au niveau fédéral, la N-VA a gagné en faisant essentiellement le plein de voix nationalistes, alors que les trois partis flamands de la coalition sortante n’ont pas été sanctionnés. Certains d’entre eux ont obtenu un siège ou ont gardé un nombre de sièges équivalent. En revanche, du côté de la Région flamande, on constate que les autres partis sortent singulièrement laminés, notamment le CD&V, qui perd des plumes. Cela étant, la N-VA reste malgré tout contournable, arithmétiquement, à la Région flamande. Il est clair qu’elle a la main pour initier les négociations. Mais si elles venaient à ne pas aboutir, les nationalistes seront contournables. Un tel scénario serait assez difficile à digérer pour les électeurs de la N-VA.

Ce scénario est toutefois peu probable en Flandre, vu le message adressé par l’électorat de la N-VA aux formations traditionnelles.

En effet, la N-VA sera difficile à contourner, sauf si les négociations se déroulent mal. C’est pour cette raison que la N-VA a intérêt à réussir rapidement les négociations au niveau de l’exécutif flamand, afin de pouvoir s’en servir comme levier pour s’engager dans les discussions fédérales qui elles s’annonceront beaucoup plus compliquées.

Les déclarations aux termes du scrutin, notamment de Wouter Beke, semblent déjà indiquer un rapprochement du CD&V et de la N-VA…

C’est un élément très important à prendre en compte. Il conviendra de voir en quelle mesure le CD&V, en Région flamande, aura intérêt à ouvrir la majorité dans l’exécutif flamand à un troisième partenaire, de manière à diluer le rapport de force avec la N-VA, mais aussi à ouvrir le champ dans les négociations au niveau fédéral. Car on doit s’attendre une fois de plus à un paysage très bipolaire au niveau fédéral, avec le PS d’un côté et la N-VA de l’autre.

Tant Paul Magnette, président du PS, qu’Elio Di Rupo, se félicitent des scores engendrés par le Parti socialiste, au niveau fédéral comme à la Région. Est-ce une manière de se voiler la face vu le recul du PS pour les deux scrutins ?

Je pense que le PS s’attendait à pire et pousse aujourd’hui un « ouf » de soulagement plutôt qu’un cri de victoire. Attaqué sur sa gauche, présents à tous les niveaux de pouvoir, il a été contraint de radicaliser son discours et limite finalement les dégâts occasionnés par l’émergence du PTB-Go.

En revanche, la lourde défaite du parti Ecolo, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, ne fait aucun doute. Comment l’expliquer ?

Les résultats d’Ecolo amènent avant tout un premier constat : en 2014, le parti n’a toujours pas réussi à sortir du schéma des résultats en dent de scie. Cela tend à prouver que le noyau dur de son électorat n’est pas suffisamment solide. Deux éléments expliquent ce revers. D’une part, il y a ce dossier complexe et symbolique du photovoltaïque en Wallonie, dont la gestion a abouti sur des conséquences financières malvenues en période de crise. Et d’autre part, ce contexte de crise ne favorise justement pas le soutien à des partis écologistes. Les citoyens préfèrent se recentrer sur les enjeux socio-économiques et ont tendance à accorder davantage leur confiance aux formations traditionnelles.

Cette débâcle d’Écolo, conjuguée au tassement du PS, peut-elle jouer en faveur d’une autre coalition que l’olivier en Wallonie ? C’est l’argument qu’invoquera le MR.

Le MR pourra effectivement affirmer qu’il progresse en Wallonie, tandis que les partis de l’exécutif sortant reculent ou se maintiennent, comme c’est le cas pour le CDH. Mais mathématiquement, une reconduction de l’olivier reste plausible. Le PS devra donc faire ses calculs, notamment au regard des partenaires potentiels avec lesquels il sera amené à négocier au niveau fédéral.

Plusieurs protagonistes ont justement plaidé pour des majorités symétriques. Cela peut-il favoriser la piste d’une coalition PS-MR-CDH en Wallonie ?

Dans cet état d’esprit, c’est une alternative crédible, mais elle est toutefois bien plus complexe à mettre en oeuvre. Là encore, il faudra voir dans quelle mesure le PS souhaitera constituer rapidement une coalition au niveau régional avant de négocier au fédéral. Le jeu est beaucoup plus ouvert qu’on ne l’imagine.

Revenons à la N-VA. Bart De Wever insiste sur le fossé démocratique entre Flamands et francophones, mais prône la constitution rapide d’un gouvernement au niveau fédéral. N’est-ce pas paradoxal ?

Il convient ici de faire la nuance entre ce qui est dit et la posture qu’adoptera effectivement la N-VA dans le cadre des négociations. En vérité, la N-VA sera confrontée à une vraie difficulté, qui se traduit par un défi à deux niveaux. Contrairement à 2010, sa prise de responsabilité dans la constitution du futur gouvernement nécessite de s’engager dans un processus de compromis vis-à-vis des partis francophones. Mais dans le même temps, la N-VA est tenue de respecter ses engagements à l’égard de son électorat, notamment en matière socio-économique. Pour Bart De Wever, la mission est donc plus compliquée qu’il n’y paraît. Il sera pris en tenaille entre un compromis à l’égard des francophones et les attentes de sa base.

Peut-on espérer éviter 541 jours de crise gouvernementale ?

Oui. D’abord parce qu’il n’y a plus d’exigence communautaire sur la table pour créer un nouveau gouvernement, mais aussi parce que les leçons de cette expérience ont, je pense, été tirées par l’ensemble des formations. À présent, le Roi a la main pour désigner ou non un informateur. Si c’est le cas, l’usage voudrait qu’il désigne le grand vainqueur, c’est-à-dire Bart De Wever.

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