Soares le facétieux

Roi du talk-show et prince des ventes, l’écrivain brésilien sème la zizanie dans l’Académie du Rio des années 1920. Rencontre avec un  » sale gosse  » de 70 ans.

De notre envoyé spécial

à New York

Le prince du loufoque est brésilien et ne se sent jamais aussi à l’aise que dans les rues de Manhattan, la ville de la démesure. Jô Soares jure qu’il ne peut pas vivre ailleurs qu’à São Paulo, la cité brésilienne qui l’a sacré roi voilà plus de trente ans, lorsqu’il fit ses débuts à la télévision, où il anime aujourd’hui l’un des talk-shows quotidiens les plus populaires de son pays. Pourtant, il ne se séparerait pour rien au monde de son  » pied-à-terre  » new-yorkais, niché au 26e étage d’une élégante tour de la 3e Avenue, dans l’Upper East Side.  » Voyez, lance-t-il d’une voix tonitruante en ouvrant une porte qui donne sur un coquet trois-pièces constellé d’affiches de films et d’£uvres d’art, c’est même l’un des rares appartements de Manhattan à posséder un balcon : d’habitude, les tours en sont dépourvues, de peur que les propriétaires ne se jettent dans le vide ; moi, j’échappe à la règle…  » De fait, Jô Soares a £uvré toute sa vie pour échapper aux règles. Pour inventer des parades au moindre assaut de désespoir, à la plus petite vague de tristesse. Ses facéties, son humour, sa verve dissolvent instantanément l’ombre de la neurasthénie. Avec lui, on est mort… de rire.

Son dernier roman en est un bel exemple.  » C’est une pochade, évidemment, une parodie. L’humour est la face méconnue des lettres lusitaniennes : le monde entier a en tête le côté très sombre des poèmes de Fernando Pessoa, mais c’est oublier que le même Pessoa pouvait être, sous le nom d’Alvaro de Campos, un écrivain drôle et moderne.  » Pour ceux qui ne résistent pas à la veine comique (façon Woody Allen mâtiné de Michel Audiard), Meurtres à l’Académie est le livre sur lequel il faut se précipiter. Il est à recommander, en outre, à tous ceux qui s’interrogent sur les m£urs étranges qui saisissent, dès leur élection, les membres d’une Académie, qu’elle soit française, brésilienne ou papoue. Tout débute, en effet, en cette année 1924, par le mystérieux assassinat d’un politicard véreux, écrivain insipide et arriviste patenté, le jour de son immortalisation. Qui a commis le crime ? Le lecteur n’a pas le temps de se poser la question que, patatras !, voilà l’Olympe littéraire transformé en théâtre de nouveaux meurtres : quelqu’un a décidé de massacrer les 40 immortels les uns après les autres.  » J’en ai eu l’idée en observant les m£urs des membres de ces dignes institutions dans tous les pays où je me suis rendu. C’est la même chose partout : complots, chantages, intrigues… Et des types à qui, en tant qu’écrivain, la postérité réservera le plus grand anonymat… Il faut se moquer de tout ce cirque « , sourit Jô Soares.

 » Je suis un enfant en train de jouer « 

Pour mener l’enquête, Soares convoque un commissaire farfelu, sapé à la Tom Wolfe (complet blanc et panama), dévoreur compulsif de livres et baptisé Machado Machado (si grande était l’admiration de son père pour l’immense écrivain Machado de Assis). Ce Sherlock Holmes sentimental et gaffeur est affublé, en guise de Dr Watson, d’un jeune médecin de l’Institut médico-légal. Comme il sied à ce genre qu’est le polar populaire, il tombera amoureux de la fille d’un académicien, sera à deux doigts de percer le mystère des crimes sous la Coupole, étudiera moult fausses pistes et démasquera (presque malgré lui) l’affreux coupable. Tout cela est mené à un rythme d’enfer, de main de maître. Et, surtout, on rit.

 » Je suis un enfant en train de jouer « , confie Jô Soares, 70 ans cette année. Son visage rubicond d’épicurien fait apparaître deux billes cristallines : les yeux rieurs d’un sale gosse trop heureux d’avoir joué un bon tour à l’establishment littéraire. Dans ce roman désopilant, on croise Paulo Coelho (Paul Lapin), des académiciens brésiliens qui font irrésistiblement penser à ceux de France ou de chez nous. Bref, la comédie de la vie. l

Meurtres à l’Académie, par Jô Soares. Trad. du portugais (Brésil) par François Rosso. Les Deux Terres, 240 p.

François Busnel

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