Léopold III et les projets fous d’un retour clandestin

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Contraint à l’exil au sortir de la guerre, le Roi conserve au sein de l’armée de farouches partisans d’un retour brusqué au pays. Les plus exaltés de ces officiers sont à deux doigts de passer à l’action. Il manque à leurs projets fumeux l’aval de Léopold III.

Septembre 1944, la Libération surprend un pays sans son Roi. Les Belges ne sont pas près de revoir Léopold III : retenu captif en Allemagne jusqu’à la capitulation du IIIe Reich en mai 1945, le souverain est ensuite maintenu en exil en Autriche puis en Suisse.

Cet éloignement forcé et prolongé ne plaît pas à tout le monde. Revenu de son exil londonien, le gouvernement n’en est pas rassuré.  » La déportation du Roi en Allemagne avait calmé ces peurs, sa libération allait faire ressortir les vieux fantômes du placard « , relate l’historien Francis Balace (Ulg). Ainsi,  » à diverses reprises entre 1945 et 1950, reviendront sur le tapis des rumeurs concernant des projets de brusquer une solution en ramenant inopinément le Roi en Belgique « .

Les milieux gouvernementaux aimeraient ne pas y croire.  » Bruits fantaisistes. Il n’y a aucun intérêt national à leur donner de la publicité « , tranche, en avril 1946, le Premier ministre socialiste Achille Van Acker. Pourtant, la hantise tourne  » à la monomanie et à l’incantation « . Les milieux gouvernementaux se sentent environnés de putschistes potentiels, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Le puissant magistrat Walter Ganshof van der Meersch, qui a la haute main sur la Sûreté de l’Etat et les services de police, est dans le collimateur. Léopold III l’a discrètement approché pour former un nouveau gouvernement : cela suffit à dépouiller le grand commis de l’Etat de ses pouvoirs.

Ce sont surtout les militaires qui inquiètent. Notamment ces officiers tiraillés entre leur devoir d’obéissance aux représentants de la Nation et leur serment de fidélité au Roi. Malaise dans les rangs : on s’agite au sein d’un mouvement clandestin, le Front de l’indépendance nationale, nostalgique du commandement royal.

La fibre royaliste s’exprime ouvertement au sein des unités. Le gouvernement s’en émeut vivement. Achille Van Acker exhibe en conseil des ministres un écusson fort peu réglementaire qui porte un monogramme L III, pour Léopold III. L’objet du délit est distribué dans un bataillon de fusiliers. Intolérable. Cet acte de propagande royaliste au sein de l’armée exige  » les sanctions disciplinaires les plus sévères à l’égard des coupables « .

 » Pas mal d’officiers qui ont combattu en mai 1940 s’engagent dans la défense de la conduite de l’armée et par conséquent, du Roi « , souligne Francis Balace. Celui qui reste le commandant en chef de l’armée est attendu au pays avec une impatience non dissimulée. Certains sont tentés de prendre les devants.

C’est ce que redoutent aussi les autorités militaires alliées. En juin 1945, le commandant d’une unité belge d’infanterie déployée à Trêves, en Allemagne, reçoit l’ordre d’un général américain d’arrêter le Roi s’il s’avisait de se présenter dans son secteur. L’officier s’empresse d’aller vendre la mèche auprès de l’entourage royal à Bruxelles. Gros émoi et mini-incident diplomatique. L’officier trop bavard est mis à pied. Léopold III, mis au courant, n’est qu’à moitié convaincu par les explications embarrassées des Alliés.

Des plans fumeux

Les plus exaltés sont prêts à tout pour hâter le retour au bercail du Roi. La catégorie a son champion : le comte Arnold de Looz-Corswarem, major  » ultraroyaliste « , se met en tête de ramener Léopold III caché dans le coffre d’une voiture, et de l’escorter jusqu’à Bruxelles avec son bataillon de fusiliers. L’apprenti putschiste se rend jusqu’en Autriche pour exposer son projet au souverain. Qui décline l’offre.

Mi-avril 1948, rebelote. Le Roi et sa famille, de retour d’un voyage aux Antilles, doivent accoster à Rotterdam. Le gouvernement belge, alarmé par ce débarquement dans le voisinage de la Belgique, a vainement tenté de faire détourner le bateau vers Lisbonne. L’inévitable comte de Looz-Corswarem, flanqué d’anciens de son unité, est au rendez-vous à Rotterdam, prêts à détourner la voiture royale pour foncer vers Bruxelles. Le projet capote. Ce n’est pas le dernier. En septembre 1949, un autre officier loue en secret un avion pour se rendre à Pregny, en Suisse, où le Roi séjourne. Ce major lui propose de s’envoler pour la Belgique où il rentrerait, escorté de ses soldats les plus fidèles. A en croire l’officier, le Roi aurait été  » tenté « . Au total, rien de bien consistant. On se pousse surtout du col, à l’image de ce groupe léopoldiste de la région anversoise baptisé Eldrie : il se targue de pouvoir réunir, fin 1946, une armée de… 300 000 hommes.

Autant de plans plus ou moins fumeux, voués à l’échec. Ils se heurtent à une fin de non-recevoir du Roi. Francis Balance l’a constaté :  » Tous ces groupes attendaient en vain des ordres « d’en haut » pour marcher.  » Ce remue-ménage laisse sceptique Léopold III. Il se dit par principe hostile à ce genre de méthodes :  » Jamais je ne forcerai les portes de mon pays.  » Il est aussi trop conscient des scénarios boiteux qu’on lui propose.  » Léopold III avait une horreur physique de la violence, du sang que l’on ferait couler pour lui. Il était donc très réticent. Même si on ne décourage jamais les bonnes volontés « , glisse l’historien liégeois.

Ces bonnes volontés ne manquaient pas. Mais elles ne sont pas armées pour passer à l’action. La Résistance royaliste est démobilisée, l’armée n’a aucun tempérament putschiste, la gendarmerie ne bouge pas. Francis Balace en retient que  » la Belgique n’est pas un pays où la  » guerre civile  » est une solution politique, mais tout au plus un argument de brasserie « .

Les gouvernements Van Acker, aux affaires durant l’absence du Roi, ont pourtant choisi de faire croire le contraire. Ils brandissent la menace d’un coup d’Etat en préparation, sans le moindre début de preuve.  » Le conseil des ministres évitera soigneusement d’établir un PV de ses séances les plus cruciales.  »

La fin justifie les moyens : la posture gouvernementale permet de mettre au pas les services de sécurité et de mater la fronde des milieux militaires en les soumettant à une mini-purge. Arrestations et interrogatoires, perquisitions, retraits de commandement : plus d’un officier repéré pour sympathies royalistes est inquiété. Le plus excité d’entre eux, le major de Looz-Corswarem, écope de quelques jours d’arrêt, son unité est dispersée. Le 22 juillet 1950, Léopold III rentre au pays. En toute légalité.

Plus royalistes que le Roi ? Les mouvements léopoldistes, par Francis Balace, in Léopold III, Ed. Complexe.

Pierre Havaux

Des groupes léopoldistes n’attendaient que des ordres  » d’en haut  » pour marcher. En vain !

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