Les zozos de l’ozone

Pendant les pics d’ozone de cet été, le gouvernement a raté une occasion en or pour sensibiliser la population à l’importance de la pollution de l’air. Dommage, car l’ozone n’est que la face visible de l’iceberg. Et pourtant, les pistes existent

Dans la façon de saisir à bras-le-corps les problèmes d’environnement, la Belgique fait rarement figure de foudre de guerre. Très souvent, nos autorités préfèrent attendre le couperet d’un blâme, voire d’une condamnation par la Cour européenne de justice, avant de prendre le taureau par les cornes. Nombre de  » plans  » ou de  » programmes d’action « , présentés sous un jour favorable pour leur auteur (ministériel), ne sont jamais qu’un catalogue d’actions adoptées in extremis, le canon du revolver sur la tempe du gouvernement concerné.

Mais, le mardi 12 août, la Belgique a probablement battu tous les records de surréalisme. Pour rappel, le pays connaissait, ce jour-là, son onzième jour consécutif de niveau d’alerte de pollution à l’ozone : du jamais-vu, semble-t-il, depuis 1978. Comme partout en Europe, la chaleur sévissait depuis belle lurette. Chez nos voisins français, les médecins des services d’urgence commençaient à alerter les autorités d’une surmortalité parmi les personnes âgées et fragiles des bronches ou du c£ur. Chez nous, plusieurs voix avaient rappelé les résultats d’une étude datant de 1994, selon laquelle la combinaison de la chaleur intense et de ce gaz (incolore et inodore, issu de la transformation de divers polluants) favorise en l’accélérant l’issue fatale due à certaines pathologies : jusqu’à 30 décès supplémentaires par jour. Sans aller jusqu’à brandir de tels chiffres, confirmés depuis lors par d’autres études européennes, on sait depuis longtemps que l’ozone nuit aux enfants, aux asthmatiques, aux sportifs…

Mais voilà : cet après-midi du 12 août, s’éveillant avec retard de son indolence estivale, le gouvernement fédéral, lui, annonce sans rougir qu’il reporte à… la semaine suivante l’adoption d’un plan d’urgence. Soit au moins neuf jours plus tard ! Misait-il sur l’espoir de voir les inquiétudes sanitaires effacées des esprits par une météo plus clémente ? Dans la foulée, il proclame également, en concertation avec les Régions, son intention de travailler à plus long terme sur des mesures  » structurelles  » anti-ozone. En plein baptême du feu, la ministre fédérale de l’Environnement, Freya Van den Bossche (SP.A), qualifie d' » inutile  » et  » contre-productive  » toute mesure limitant la circulation automobile. Certes. Mais, commentant les mesures prises à l’étranger (gratuité des transports publics à Strasbourg, limitations de vitesse au grand-duché de Luxembourg et dans la plupart des grandes villes de l’Hexagone), elle considère purement et simplement que  » ces mesures sont néfastes pour la santé publique  » !

Quant au ministre fédéral de la Santé publique, précisément, Rudy Demotte (PS), il se tait dans toutes les langues, jugeant que les communiqués de Celine – la cellule qui informe en temps réel de l’évolution des pics de polluants partout dans le pays – s’avèrent suffisants pour sensibiliser les groupes à risques sur les précautions à prendre. Aucun mot d’ordre officiel sur l’usage des conditionnements d’air qui, mal utilisés, alimentent inutilement le cercle vicieux chaleur-consommation énergétique-pollution. Pas de conseils précis (sauf par l’un ou l’autre ministre régional) sur la nécessité d’adapter la conduite automobile ou de limiter les consommations et les combustions de toutes sortes. Pas de consignes non plus aux communes ni aux forces de l’ordre. Quel silence assourdissant, alors que les agences de publicité sont capables de rebondir sur un événement d’actualité et de boucler en vingt-quatre heures une campagne destinée aux médias…

Alors ? Zéro pointé pour le gouvernement Verhofstadt II ? Sur le fond, certainement pas. Sur la forme, c’est-à-dire dans sa façon de communiquer en temps de crise, la réponse est oui. Autant parler d’un fiasco. Explications.

La chimie de l’ozone, réputée complexe, est telle qu’une mesure comme la limitation du trafic automobile, adoptée en plein pic, aurait eu effectivement des effets négatifs sur la présence de ce gaz. En effet, les polluants qui contribuent à sa formation pendant la journée (particulièrement les oxydes d’azote) sont, aussi, ceux qui le font  » disparaître  » en fin de journée dans des conditions de chaleur et de lumière différentes. Cette particularité, parmi d’autres, explique que des pics plus élevés sont enregistrés à la campagne plutôt qu’en ville, et le week-end plutôt qu’en semaine. De même, contrairement à ce qu’ont affirmé des voix écologistes au plus fort de la crise, la prévisibilité des pics d’ozone est relativement faible : même à un jour d’intervalle, elle n’est que de 70 %. Au-delà, elle fléchit rapidement. Par conséquent, réduire d’une manière anticipée la vitesse sur autoroute, comme l’a proposé Bert Anciaux, le ministre de la Mobilité (Spirit), aurait été inopérant dans une logique d’urgence.

Mais, tant qu’à faire £uvre de pédagogie, le gouvernement aurait pu aller plus loin. Car, à force de rappeler l’inutilité mathématique et chimique de la mesure la plus  » sensible  » pour le citoyen (réduire sa vitesse, voire limiter ses déplacements), nos dirigeants ont insufflé l’idée selon laquelle nous serions tous impuissants face aux pics d’ozone et qu’il serait donc vain de changer certains comportements, voire de s’interroger sur le sens de ceux-ci. Finalement, à suivre le raisonnement officiel, puisque 65 % de l’ozone qui envahit nos régions provient de l’étranger, mieux vaudrait attendre des mesures prises ailleurs : en France, en Allemagne, en Europe ou Dieu sait où… Bref, au moment crucial où la population aurait probablement été plus réceptive que d’habitude à un message d’intérêt général sur la canicule et ses effets, le gouvernement a préféré lancer des idées réductrices, exagérément apaisantes et, surtout, déresponsabilisantes. Dans les chaumières ou au café du Commerce, les commentaires allaient d’ailleurs bon train :  » Ça ne sert quand même à rien « , voire même  » La pollution nous protège « … Aux personnes encore motivées, il ne restait plus qu’à faire le plein de carburant aux heures les moins chaudes de la journée ou… à acheter de la peinture à l’eau plutôt qu’aux solvants (les composés organiques volatils – COV – forment, en effet, l’autre groupe de gaz  » précurseurs  » de l’ozone, indispensables à sa formation). Plutôt symbolique !

Basée sur l’expérience des dernières années et le savoir-faire des experts, une communication plus efficace aurait pourtant pu être facilement élaborée.

Primo, les préoccupations liées à l’ozone sont loin d’être une mode ou un caprice d’écologistes. Si le nombre de pics a tendance à diminuer dans les villes européennes depuis une dizaine d’années, le  » bruit de fond « , lui, ne cesse d’augmenter dans tout l’hémisphère Nord. Or on commence à mieux comprendre les mécanismes par lesquels ce gaz, à des concentrations moindres que celles des seuils d’alerte, entraîne des troubles inflammatoires et de la perméabilité des poumons. Altérés, ces derniers permettent le passage dans le sang de micro-particules chargées de polluants toxiques (parfois plus cancérogènes que le benzène), émises notamment par les moteurs diesel. Certes, les moteurs sont de plus en plus propres. Mais, sur le plan de la pollution globale, cet avantage est gommé par la multiplication des véhicules en circulation, la mobilité sans cesse croissante, la congestion de la circulation, la conduite  » sportive « , etc. Début août, les concentrations de ces micro-particules étaient anormalement élevées en Belgique.  » Il est difficile de s’en protéger, sauf en réduisant les émissions. Donc le trafic « , explique Alfred Bernard, toxicologue à l’UCL. L’ozone, par ailleurs, agit très probablement d’une façon défavorable sur le rendement des cultures et des forêts, ce qui en fait un problème économique non négligeable.

Secundo, la Belgique n’a, une fois de plus, pas le choix. Comme d’autres pays membres de l’Union, elle devra se plier, en 2010, à une directive européenne qui lui impose une réduction drastique des deux gaz précurseurs d’ozone. En effet, tant pour les COV que pour les oxydes d’azote, les diminutions à réaliser frôlent, chez nous, les 60 % ! Or 2010, c’est après-demain.  » Faire passer un message d’impuissance, qui favorise l’inaction de la population, est, dans ce contexte, parfaitement antiproductif « , estime un expert. Ici aussi, la complexité de la chimie de l’ozone et de l’atmosphère intervient. Dans un premier temps (à l’horizon de plusieurs années), diminuer les oxydes d’azote aura pour effet d’ augmenter les concentrations d’ozone. Mais cette évolution temporaire aura en revanche un impact positif sur un autre problème d’environnement : l’acidification générale du milieu naturel. Par contre, diminuer les COV représente, à tous les coups, un gain immédiat au regard des objectifs européens. Bref, malgré certains effets pervers provisoires, l’adoption de mesures contre la pollution de l’air, globales et à long terme, permettrait de jouer gagnant sur tous les tableaux : santé publique, environnement, voire économie.

Tertio. Contrairement aux impressions laissées ces derniers jours, la Belgique n’a pas nécessairement à rougir de son passé dans ce domaine. Depuis quelques années, des réglementations précises ont été préparées ou adoptées pour s’attaquer aux gaz précurseurs d’ozone. Elles portent sur les conditions de transvasement des combustibles dans les cuves industrielles, la fabrication et la composition des solvants et des peintures, la modernisation des chaudières domestiques, le renforcement du contrôle technique automobile, l’incitation à utiliser du LPG, etc. Tout cela est beaucoup moins spectaculaire ou médiatique que la limitation de la vitesse des véhicules.

Pourquoi le gouvernement ne met-il pas ces progrès – certes, très lents -ouvertement à l’actif des exécutifs précédents ? Réponse d’un autre expert, familier de ce dossier :  » De plus en plus, nos décideurs se sentent acculés. Ils comprennent qu’informer, sensibiliser, conscientiser, tout cela est très bien. Mais, vu les échéances qui s’annoncent en matière d’environnement, il leur faut maintenant agir. Y compris par des actes impopulaires, dans des domaines hypersensibles comme celui de la mobilité. Le risque est grand, chez nous, de voir les Régions et l’Etat fédéral se refiler la patate chaude…  » On verra, ces jours-ci, si les deux plans annoncés par le gouvernement, au plus fort des pics d’ozone, permettront de relever ces défis. Après tout, un plan  » ozone  » avait déjà été élaboré en 1999. Et l’on y parlait, déjà, d’un futur plan de mobilité durable pour tout le pays. Jamais réalisé…

Philippe Lamotte

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