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Glenn Greenwald :  » La surveillance engendre une société conformiste « 

Le Vif

Depuis sept mois, il est devenu le cauchemar numéro 2 de l’administration Obama. Juste derrière Edward Snowden, réfugié en Russie et qui lui a transmis (ainsi qu’à la journaliste et documentariste Laura Poitras) un ensemble de documents détaillant les tentaculaires pratiques de surveillance de la NSA, l’une des agences de renseignement les plus secrètes au monde et de son petit frère britannique, le GCHQ.

Par Quentin Noirfalisse

Espionnage de politiciens de haut rang, interception de colis comportant des appareils électroniques afin d’y planter des logiciels malveillants, expansion des systèmes de stockage de nos communications vers un quasi infini. De la dynamite que Glenn Greenwald, 46 ans, avocat devenu blogueur puis journaliste de combat a exploitée sans relâche en partenariat avec la crème des médias. Interview.

Pour un citoyen, quelles sont les menaces concrètes posées par tous ces vastes programmes de surveillance ?

Beaucoup de documents montrent que la NSA et GCHQ travaillent main dans la main, et tentent de rafler les communications électroniques partout où elles le peuvent. Ainsi, on assiste à différentes formes de mise sous écoute des câbles sous-marins en fibre optique qui acheminent les communications des citoyens européens. Des ingénieurs informatiques sont visés par des « malwares » (des logiciels malveillants) pour permettre d’accéder à leurs ordinateurs. Il y a eu aussi le programme Prism, qui est conçu pour que la NSA obtienne à peu près tout ce qu’elle veut des géants de l’Internet tels que Google, Facebook ou Skyblog. Les tactiques sont multiples pour s’assurer que chaque coup de fil, chaque email des Européens soient prêt à être collecté par la NSA et GCHQ. Au final, ils obtiennent souvent ce qu’ils veulent.

Quel est l’impact collatéral de cette pêche digitale de masse sur nos libertés individuelles ?

Il semble qu’un nombre important de personnes ne saisissent pas la valeur de la vie privée, surtout en rapport à leur environnement digital, leurs comptes Facebook, les réseaux sociaux auxquels ils participent. Mais ces mêmes personnes, elles mettent pourtant un verrou à leurs salles de bain, à leur chambre, à leur maison parce que nous savons tous que nous avons besoin d’un ou plusieurs endroits où nous pouvons nous rendre et dire des choses, expérimenter différentes formes de comportements sans que d’autres personnes ne nous regardent et nous jugent. Quand un système de surveillance a pour conséquence que nous soyons constamment observés dans nos communications électroniques, nous ne pouvons plus agir sans que quelqu’un ou une autorité risque de porter un jugement sur ce que l’on fait. Et ça, ça change radicalement la société, ça la rend bien plus conformiste. A ce moment-là, cette société assèche notre liberté personnelle, notre individualité. Et vous pouvez offrir toutes les libertés que vous voulez aux gens, lorsqu’il existe un système de surveillance aussi omniprésent, il est très difficile d’exercer nos droits.

En Belgique, les ordinateurs de plusieurs ingénieurs de Belgacom ont été infiltrés par GCHQ, a indiqué Der Spiegel, sur base d’un document « top secret » révélé par Edward Snowden. Les ingénieurs, repérés à l’avance par l’agence anglaise, ont été trompés grâce à un faux profil LinkedIn, qui permettait d’injecter un « malware » sur leurs ordinateurs. Cela a permis au GCHQ d’inspecter le réseau interne de Belgacom et de sa filiale BRICS. Suite à ça, des enquêtes ont été lancées, mais la réaction politique en Belgique a été plutôt timide. Même constat au niveau de l’Europe entière, face à la gravité des révélations en cascade. Comment expliquer ces réponses timorées ?

La réaction a été forte en Allemagne et dans une certaine mesure en France, mais le reste de l’Europe est resté assez discret, c’est vrai. En tout cas bien plus qu’aux Etats-Unis ou en Amérique Latine. Cela s’explique en partie par la servilité des pays européens par rapport aux Etats-Unis. C’est une relation où ces derniers prennent les devants et les gouvernements européens obéissent. Ils ne peuvent pas résister aux desseins des Etats-Unis, c’est en quelque sorte « intégré » dans la culture politique qu’ils leur soient subordonnés. L’autre raison, c’est qu’une certaine partie de ces gouvernements européens participent eux-mêmes aux programmes de surveillance. Donc, dans un premier temps, ils font semblant d’être très mécontents des révélations, mais après il semble clair, selon les documents, que certains mettent en place un espionnage similaire en collaboration avec la NSA. Cela devient, en quelque sorte, un effort conjoint entre les Etats-Unis et ses alliés européens pour dissimuler le scandale et convaincre leurs citoyens qu’il n’y a rien à craindre.

Depuis les premiers articles sortis au mois de juin, quel est l’impact réel des révélations effectuées grâce à Edward Snowden ?

Il est considérable, je pense. Nous ne pourrons pas le mesurer complètement avant un certain temps, mais pour la première fois, un débat sérieux s’installe à travers la planète sur les dangers de la surveillance d’Internet et la valeur de la vie privée, mais aussi des libertés en ligne. Des pays se mettent ensemble pour permettre, à travers des changements légaux et physiques au niveau du réseau, que les Etats-Unis ne dominent pas le net, se permettant d’espionner selon leurs désirs. Une autre chose est en train de changer : la perception de la confiance qu’on peut prêter aux États-Unis. L’industrie technologique américaine a également été touchée de plein fouet par les révélations. Les citoyens ne lui font plus confiance, parce que désormais ils connaissent les proportions dans lesquelles elle a coopéré avec le gouvernement. Nos révélations ont également un impact sur la façon dont le public perçoit le journalisme et l’importance de ne pas laisser un gouvernement agir en secret. Le tout révèle le besoin, pour les journalistes, de faire la lumière sur ce que les personnes détenant le pouvoir font.

Si la NSA est en train de mettre en place une véritable « dragnet surveillance » (surveillance par coup de filet), comment parviennent-ils à extraire du sens de ce gigantesque ensemble de données ?

On travaille sur plusieurs articles à ce sujet et je ne préfère pas parler de documents qui n’ont pas été publiés, mais je peux dire que l’une des principales obsessions de l’agence, actuellement, est d’être capable de conserver des quantités de données de plus en plus importantes, car pour l’instant, la NSA et GCHQ collectent plus qu’ils ne peuvent accumuler. Voici pourquoi ils construisent sans cesse de nouvelles infrastructures (l’agence termine ainsi un gigantesque data center dans l’Utah, dont le coût atteindrait les 2 milliards de dollars, et la capacité de stockage de 3 à 12 exaoctets) et développent de nouvelles méthodes de stockage, qui peuvent durer de plus en plus longtemps.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier « Comment les hackers tissent leur Toile »

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