En famille

Les femmes de la famille Keil étaient ainsi faites que  » si, d’aventure, quelqu’un leur demandait comment elles se portaient, invariablement et sans humour, elles répondaient :  » Ni bien ni mal, mais pire !  » Françoise Lalande, elle, ne manque pas d’humour, mais de cette sorte-là qui dépiaute d’un regard pénétrant les petites et grandes misères de la vie ordinaire et, en particulier, les blessures ou les détresses secrètes dont les femmes ont souvent le privilège douteux. C’est un humour qui accuse et qui habille d’efficacité la rage qui couve sous l’élégance et l’aisance familière de l’écriture. La vie de Liza Keil, la grand-mère, personnage central du roman, est une suite de déconvenues au sein d’une famille juive que  » la guerre a rendue méchante  » et qui pense obscurément que  » c’est de leur faute  » si beaucoup n’ont pas réussi à échapper au massacre. En fait de  » sentiments inavouables « , si celui-ci est de taille, il n’est certes pas le seul qui règne dans cette famille, assez semblable en fait à bien d’autres. Et ce n’est pas pour rien qu’avant de  » s’éteindre comme une bougie  » Liza raconte à ses filles l’histoire de l’homme qui tua sa mère en riant. En définitive, de quel désespoir Liza est-elle morte ? Peut-être d’avoir un fils tendrement chéri, mais qui allie la méchanceté d’une teigne à l’ironie imbécile du plouc parfait. Et qui en vient à abandonner sa mère à son sort pour la punir d’être mourante. Peut-être s’est-elle aussi consumée de l’intérieur d’avoir trop fait le rêve inavouable d’un prince charmant dont la fougue amoureuse l’aurait sauvée d’une insipide marinade conjugale. Ou encore, a-t-elle soupçonné chez ses enfants le sentiment inavouable (mais si commun et enfoui sous une épaisse couche de bonne conscience) que la délivrance souhaitée pour elle serait surtout la leur. Toutes questions que se pose Lila – la petite-fille de Liza – qui saura choisir entre les séquelles d’un passé mortifère et l’hymne à la vie. Cela étant – et comme on a pu sans doute s’en aviser – au-delà des circonstances particulières, c’est bien le non-dit susceptible selon les cas – ou simultanément – d’empoisonner/sauvegarder l’univers familial et les relations humaines en général que la plume de Françoise Lalande évoque avec une impitoyable compassion. Un oxymore qui, pour conclure, pourrait exprimer aussi toutes les contradictions et complexités de la planète famille.

Sentiments inavouables, par Françoise Lalande. Grand Espace Nord, 152 p.

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