» Laurette Onkelinx ferait une bonne présidente du PS « 

C’est la première interview de Frédéric Daerden depuis le décès de son père. En exclusivité pour Le Vif/L’Express, le député européen et bourgmestre de Herstal évoque son avenir politique.  » J’aimerais être ministre « , confie-t-il.

Le théâtre des opérations politiques est non seulement sans pitié, il a aussi la mémoire courte. Moins d’un mois après la mort de Michel Daerden, la Cité ardente bruisse déjà de rumeurs quant à une recomposition du PS liégeois. Il se dit, avec insistance, que l’heure de Frédéric Daerden est peut-être venue. La disparition du père coïnciderait avec la montée en puissance du fils. Plutôt que de s’offusquer de ces spéculations, le bourgmestre de Herstal a choisi d’y répondre sans détours. C’est la loi du genre, il le sait. Depuis sa tendre enfance, il a appris à quel point la dureté et même la cruauté font partie du combat politique, auquel il a choisi de consacrer sa vie, en connaissance de cause. Pour l’heure, il mène campagne d’arrache-pied, pratique le porte-à-porte à dose intensive, quatre heures par jour, et ce à quarante reprises d’ici au scrutin du 14 octobre.  » C’est un vrai moment chaleureux, raconte-t-il, mais qui commence une fois sur deux par des condoléances. C’est sincère, ça fait plaisir, mais ce n’est pas simple d’être dans cet état d’esprit post-funérailles, et en même temps dans la logique enthousiaste, conquérante, de la campagne.  » L’homme ne fait pas mystère de ses ambitions.  » J’avais déjà expérimenté le porte-à-porte en 2006. Cette fois, on a encore renforcé le dispositif « , explique-t-il. C’est dire que Frédéric Daerden entend bétonner sa réélection à Herstal (40 000 habitants), mais aussi se servir des communales pour frapper un grand coup, marquer les esprits, et asseoir sa position dans les rapports de force internes au Parti socialiste.

Le Vif/L’Express : Comment abordez-vous les élections communales ? Tout entier tourné vers l’objectif du 14 octobre, ou l’esprit encore arrêté au 5 août, jour du décès de votre père ?

Frédéric Daerden : Je vis dans une période un peu particulière. Cela a été un choc. Mais voilà, il faut bien redémarrer. La campagne est là, la vie continue. Cette chaleur que j’ai ressentie pendant les funérailles, elle est réconfortante. Cela fait toujours plaisir de ressentir de la sympathie autour de soi, mais au-delà c’est aussi réconfortant de voir que papa était apprécié par les gens, de façon concrète. Ce n’était pas qu’un phénomène médiatique.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur la daerdenmania ?

Entre les médias et mon père, qui était l’instrument de qui ? Un peu les deux, sans doute. Je pense que mon père a longtemps été frustré que sa chaleur humaine ne soit pas reconnue. Il souffrait d’un sentiment de non-reconnaissance médiatique et populaire. Jusqu’à l’arrivée de la daerdenmania, en 2006. La naissance de la daerdenamania, on peut la fixer à un jour, et même à un moment précis, sur le plateau de RTC, le soir des élections communales. Ce moment-là va déclencher une nouvelle période. Mon père va en tirer profit. Mais en même temps, le fait d’être pris pour un guignol, il trouvait ça réducteur.

Pensez-vous, comme le sénateur Philippe Moureaux, que les réactions à la mort de votre père ont atteint  » un niveau d’hypocrisie olympique  » ?

Il y a sans doute eu des réactions d’hypocrisie, mais ce n’est pas ce qui m’a frappé. Il y a un temps pour le combat politique, avec ce qu’il comporte de dureté et d’attaques excessives. Et puis, il y a le moment des funérailles, qui est aussi le moment de relativiser tout ça. Je pense que la très large majorité des hommages ont été prononcés avec sincérité.

Vous n’êtes jamais fatigué de la violence du combat politique ?

Non.

Vous êtes blindé ?

Blindé, personne ne l’est. Ce serait plus facile si on était dans un monde de Bisounours. Mais je suis conscient de la réalité, de la dureté du monde politique.

Dans quelle mesure Michel Daerden a-t-il joué un rôle dans votre carrière politique ?

Quand j’ai eu envie de me lancer en politique, il m’a dit : c’est ton choix, mais à ta place, je me concentrerais sur une carrière académique et révisorale. Et sous-entendu : laisse-moi le volet politique ! [Rires.] En tout cas, cela ne correspondait pas à sa vision de ce que Frédo devait faire. Mais je lui ai dit que je voulais m’investir, et il m’a aidé. Il n’y a jamais eu de distance entre nous. J’ai parfois profité de sa présence, de son poids politique. A d’autres moments, cela m’a porté préjudice. Quand j’étais député wallon, le fait qu’il soit ministre, pour moi, c’était un frein à l’expression. Plus encore que les autres membres du groupe PS, j’avais un devoir de réserve par rapport au gouvernement et à l’action des ministres socialistes. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai été content d’aller à l’Europe.

Quand vous êtes candidat aux élections européennes, en 2009, beaucoup prédisent votre mort politique ?

Cela a été une campagne terrible, avec le sentiment de partir battu. Je l’ai faite dans une logique de positionnement pour l’élection suivante, davantage qu’en espérant être élu au Parlement européen. J’étais cinquième sur la liste. Devant moi, il y avait Jean-Claude Marcourt, Patrick Moriau, Christiane Vienne… Derrière, Fadila Laanan, Philippe Courard… Le danger était partout. [Il éclate de rire.] Malgré tout, je me suis impliqué dans la campagne. Et la mayonnaise a bien pris.

Après huit ans comme député wallon, vous auriez pu vous retrouver sans mandat parlementaire. Vous avez le sentiment de l’avoir échappé belle ?

J’ai été un peu victime de mon père. C’est lui qui voulait à tout prix la tête de liste régionale. Comme Marcourt la voulait aussi, en compensation, il a reçu la tête de liste européenne. Et le sacrifié, en 2009, c’est moi. Mon père s’en rend bien compte, et il s’en veut un peu. Alors, il dit : on va aider Frédo. Ouais, on va aider Frédo, mais c’est l’électeur qui vote… A Liège, la fédération se devait de me soutenir, car j’étais le dindon de la farce. Mais le problème, c’est qu’il y avait deux autres candidats liégeois : Jean-Claude Marcourt, tête de liste, et Véronique De Keyser, députée européenne sortante. Donc on ne pouvait pas dire que la fédération ne roulait que pour moi.

Vous en avez voulu à votre père ?

[Il coupe net.] Ah non, pas du tout.

Vous auriez pu.

Je me rends bien compte que c’est le jeu.

La politique ne tolère aucun cadeau, même entre un père et son fils ?

Je savais qu’il ne le faisait pas contre moi.

Il le faisait pour lui.

Voilà ! [Très longs éclats de rire.] Il était mieux placé que moi dans l’échiquier du parti, c’est normal qu’il joue sa carte. [Il marque une pause.] 2009 aurait pu être un moment de repli, le début d’une spirale négative. Contrairement à ça, cela a été une belle opportunité. Je fais 90 000 voix en Wallonie et à Bruxelles. Dans l’arrondissement de Liège, je réalise le meilleur score de la liste PS et, au niveau de la province, je fais jeu égal avec Jean-Claude Marcourt. Et puis, j’ai la chance de découvrir l’Europe.

En toute sincérité, les enjeux européens vous intéressent-ils vraiment ?

Ah oui. Cela en surprend plus d’un, mais je ne me suis jamais autant investi dans un mandat parlementaire. Je suis heureux d’être là. De nombreux collègues ont été ministres, voire Premier ministre dans leur pays. D’autres sont députés européens depuis vingt ans. Avec eux, les discussions, c’est pointu !

Le niveau des débats au Parlement européen est plus élevé qu’au parlement wallon ?

Il est plus élevé que dans tous les autres parlements ! On sort du côté politicien dans le mauvais sens du terme. Tout n’y est pas que pureté, chacun parle en fonction de sa sensibilité idéologique ou nationale, mais on y rencontre une certaine hauteur de débat.

Beaucoup spéculent sur un remaniement des gouvernements dans la foulée des élections communales. Devenir ministre, ça vous titille ?

Ce serait hypocrite de prétendre que c’est une fonction qui m’indiffère. Un mandat exécutif permet de faire passer ses idées, de peser sur le cours des choses, que ce soit au niveau d’une commune, d’une région ou d’un pays. Je ne vais pas nier qu’être un jour ministre me passionnerait. J’aimerais ça. Mais ce n’est pas obsessionnel.

A propos de la présidence du PS, Jean-Claude Marcourt a déclaré au Soir qu’il faudrait  » évaluer les choses  » après les élections communales.

Je suis d’accord avec lui ! Avec toutes les nuances qu’il a mises dans sa phrase. Quand on aura digéré les communales, on devra penser aux échéances multiples de 2014, des élections fédérales, régionales et européennes. Il faudra mettre le parti dans les conditions pour gagner 2014. Et il faudra alors décider quelle logique on choisit pour la présidence.

Cela veut dire que, pour vous, la formule actuelle – Elio Di Rupo président du PS en titre et Thierry Giet président faisant fonction – n’est pas idéale ?

Il n’y a pas 36 formules. Soit c’est celle-là. Soit on organise une élection présidentielle. Thierry assume au mieux sa fonction. Je crois qu’il est bien accepté. Pour lui, ce n’est pas un cadeau. C’est toujours un peu délicat d’être le faisant fonction de quelqu’un. Dans les semaines à venir, il faudra voir comment le parti est perçu dans l’opinion publique. Aux élections communales, on aura un indice. Les sondages permettront aussi de se faire une idée. Est-ce que les citoyens font bien la part des choses entre ce que Elio réalise comme chef d’orchestre d’une coalition multi-partis et l’action du PS en lui-même ?

A vous écouter, on a l’impression que votre préférence est établie, et que vous souhaitez l’élection d’un nouveau président.

Je n’ai pas de position arrêtée. Si on fait une élection, qui va être candidat, d’après vous ?

On cite le plus souvent Laurette Onkelinx, Paul Magnette, Rudy Demotte…

J’aurais dit les trois mêmes. Je serais tenté de dire que ça fait fort peu de Liégeois. De plus, dans le cas de Laurette et de Rudy, ils devraient quitter leurs fonctions ministérielles. Autrement dit, on va déforcer le gouvernement fédéral ou le gouvernement wallon pour renforcer la clarté du message socialiste. C’est tout ça qu’il faut peser.

Entre ces trois-là, qui aurait votre préférence ?

[Sourire et long silence.] En fait… Pour être sincère, je pense que c’est Laurette. Elle est la plus expérimentée des trois, elle a un long parcours au niveau fédéral, elle est celle qui a le plus de proximité et de vécu avec Elio, elle garde sa fibre liégeoise, et elle est la femme de beaucoup de combats sociaux. Elle incarne les valeurs socialistes. Elle pourrait être une bonne présidente du PS. Mais je ne sais pas si c’est son envie ni si c’est la bonne stratégie de déforcer le fédéral par son départ.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

 » Je suis heureux d’être élu

au Parlement européen « 

 » Il n’y a jamais eu de distance entre mon père et moi « 

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