L’Yser et la montée providentielle des eaux

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Comment l’inondation de la plaine de l’Yser, en octobre 1914, donne un coup d’arrêt décisif à l’offensive allemande sur les ports de la Manche et prépare la victoire finale de 1918.

Septembre 1914, le  » miracle  » français de la Marne ruine les espoirs allemands de remporter rapidement une guerre de mouvement, à moins de faire main basse sur les ports français de la Manche : Dunkerque, Calais, Boulogne. Un tel scénario serait catastrophique pour les Alliés : leurs armées se trouveraient alors coupées de toute possibilité d’être ravitaillées depuis l’Angleterre.

Remporter la course à la mer devient d’une importance vitale. L’armée belge y a un rôle capital à jouer. Repliée dans le réduit national anversois depuis septembre, elle en est délogée sous la pression allemande qui la force à lâcher prise le 10 octobre. Où se replier ? Cap sur le Westhoek, aux frontières de la mer du Nord et de la France, avec la ferme résolution de ne pas perdre le contact avec les Français et les Anglais en résistant coûte que coûte derrière l’Yser. L’envahisseur allemand l’a bien compris : c’est du côté du front belge qu’il entend forcer la décision, persuadé que là se trouve le maillon faible du dispositif militaire allié.

18 octobre, les Allemands passent à l’offensive. 80 000 hommes, supérieurement soutenus par l’artillerie, se lancent à l’assaut d’un front d’une trentaine de kilomètres qui va de la mer du Nord à Boezinge. S’y arc-boutent 75 000 soldats belges épuisés par deux mois de combat, touchés au moral par les retraites successives. Treize jours durant, ils résistent héroïquement, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, épaulés par des fusiliers marins français et soutenus depuis la mer par les tirs de croiseurs anglais. Mais la pression devient insoutenable, les pertes sont sévères : 14 000 tués, blessés ou disparus en une semaine.

Les Belges sont à deux doigts de décrocher, en dépit des objurgations du commandement français qui les adjure de tenir coûte que coûte. C’est alors qu’émerge l’idée d’user d’une arme qui a fait ses preuves dans la région par le passé : ouvrir les écluses pour inonder le territoire. Libérées avec précautions à partir du 25 octobre, les eaux ont besoin de quatre jours pour atteindre le niveau suffisant pour arrêter l’assaillant. Une éternité pour l’armée belge qui, stoïque, s’accroche avec l’énergie du désespoir.

Dans la nuit du 29 au 30 octobre, 700 000 mètres cubes d’eau se déversent enfin dans la plaine. La nouvelle offensive d’envergure que viennent de déclencher les Allemands entre Nieuport et Lille est enrayée d’extrême justesse par cette soudaine crue. Le 2 novembre, la partie est gagnée : la zone est sous eau.  » Ce fut, de la mer du Nord jusqu’en Suisse, la fin de l’avancée allemande « , souligne l’historienne Sophie de Schaepdrijver. Et le début d’une interminable guerre de tranchées dans laquelle s’enlisent alors les belligérants.

Le coup d’arrêt est décisif. La bataille de l’Yser, observait un officier de l’armée belge au lendemain de la Grande Guerre,  » ferme la porte du nord à l’invasion allemande  » et maintient les ports de la Manche hors d’atteinte des troupes du Kaiser. Le soldat belge y puise un réconfort moral que ne parviendront pas à entamer les longs mois passés dans la boue et le froid des tranchées.  » Il sait maintenant qu’il a vaincu le guerrier allemand et que celui-ci n’est pas invulnérable « , poursuit l’officier,  » l’armée belge ne devra plus que durer « . Elle fera son devoir jusqu’à l’offensive de 1918 et la victoire finale.

La Belgique et la Première Guerre mondiale, par Sophie de Schaepdrijver, P.I. E – Peter Lang, 2004.

Pierre Havaux

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire