© Lies Willaert

« La N-VA est dangereuse »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« La communication de Bart De Wever permet de camoufler le caractère radical de la N-VA, estime Ico Maly, auteur d’une analyse idéologique du parti. Mais selon lui, c’est clair: le parti nationaliste mènerait au démantèlement de la démocratie et de la sécurité sociale.

Coordinateur du mouvement interculturel Kif Kif, Ico Maly a réalisé une thèse de doctorat et publié un livre sur l’idéologie de la N-VA. Il décode les ressorts radicaux qui nourrissent en permanence Bart De Wever. « Il ne faut pas le sous-estimer, il sait ce qu’il fait! »clame-t-il.

Du côté francophone, on voit avant tout la N-VA comme un parti séparatiste/ confédéraliste, de droite sur le plan socio-économique avec une série de points de vue tranchés au niveau de thématiques sociales comme l’immigration. Est-ce une image correcte ?

Ce parti s’inscrit dans un certain nombre de vieilles traditions qu’il associe de façon radicale.

Tout d’abord, une stratégie anti-Lumières. Je me réfère en cela à un philosophe que Bart De Wever cite souvent, le Britannique Edmund Burke, à qui l’on doit les premières attaques contre la démocratie, bien trop associée à ses yeux à des notions comme l’égalité ou la liberté. Selon Burke, la nation prime sur tout et non l’individu avec ses droits universels. C’est ce que De Wever défend aussi. Les deux livres qu’il a publiés, Het kostbare weefsel et Werkbare Waarden, font explicitement référence à ce penseur.

C’est lié à une approche socio-économique néo-libérale, ce qui est contradictoire, car celle-ci repose précisément sur l’individualisme. Mais le point de départ, que l’on retrouve de longue date en Flandre, c’est que pour pouvoir devenir indépendant, il convient d’avoir une économie suffisamment forte. La Flandre a un territoire trop petit, elle doit donc miser sur la compétitivité dans un marché global, les exportations… La N-VA prône moins d’Etat en ce qui concerne la sécurité sociale, mais davantage en matière de sécurité et de répression.

Il y a un lien complexe entre les deux et des tensions à ce sujet au sein du parti. Mais des deux courants, c’est le nationalisme qui continue à primer et tout l’enjeu de 2014 sera de voir jusqu’à quel point ils pourront poser des pas en direction de l’indépendance. Jamais ils ne seront favorables à un retour d’une compétence ou d’un institut au niveau belge.

C’est ce que l’on a baptiséla doctrine Maddens, du nom du politologue de la KUL qui l’a théorisée: jamais de pas en arrière.

Absolument. Tout cela est lié à la notion d’homogénisme, cette idée selon laquelle les individus doivent être subordonnés à la communauté, avoir les mêmes normes, les mêmes valeurs, parler la même langue… Pensez aux examens linguistiques prônés par Liesbeth Homans à Anvers ou cette idée de taxe sur les immigrés. Cela exprime le fait que l’égalité ne vaut que si l’on fait des efforts en ce sens.

L’attitude radicale de la N-VA et son refus du compromis font sa force électorale en Flandre. Car tout cela est lié à une communication très forte sur l’identité, un discours très sec : si vous votez pour nous, vous votez pour un parti qui défend le Flamand qui travaille dur en opposition au Wallon paresseux. Cette image est martelée ans cesse. Y compris par Bart De Wever dans des programmes de divertissement, où il touche un autre public.

Le discours de la N-VA, très conservateur, très libéral, est paradoxalement défavorable à bien des électeurs qui votent pour ce parti, non ?

Oui. Mais il présente cela sous le label de la « force du changement », en faveur des citoyens. Liesbeth Homans affirme sans cesse que la N-VA « n’est pas socialiste, mais social ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Selon elle, la N-VA serait sociale, car son programme créerait plus de richesses. Mais à l’analyse, on s’aperçoit que leurs idées vont à l’encontre des classes populaires et des classes moyennes. Historiquement, il est prouvé qu’une telle approche bénéficie surtout à une élite. Mais les mots utilisés créent l’illusion.

Est-ce dangereux ?

Si vous me le demandez, oui. Cela risque de mener au démantèlement de la démocratie parce qu’elle équivaut selon la N-VA à « plus de nation flamande ». C’est comme si le peuple parlait d’une seule voix par la bouche de De Wever. La logique poursuivie par la N-VA mènerait en outre au démantèlement de la sécurité sociale.

Dit-on trop peu cela en Flandre ?

C’est évident. Mon livre n’a pas été recensé par certains médias parce que des rédactions en chef l’ont interdit. C’est pourtant une thèse de doctorat de 600 pages que j’ai voulue précisément volumineuse et complète parce que je savais le sujet très controversé. Il en est à sa troisième impression.

Ces dernières années, le discours de la N-VA a été reproduit par certains médias comme une vérité ou une représentation objective de la réalité. On a par exemple repris le terme de « oversolidariteit » ou l’idée selon laquelle il y aurait « deux démocraties » dans ce pays. Mais ce sont des armes politiques, la première ayant été purement et simplement inventée par De Wever ! Et c’est difficile d’aller à l’encontre de cela. C’est comme si De Wever parlait pour toute la Flandre, mais il y a quand même des gens qui n’ont pas voté pour lui, non ?

Ces derniers temps, il y a eu une réaction, quand même…

Dans certains médias, c’est vrai, on l’a vu ces derniers mois. C’est lié aussi au fait que De Wever est fort occupé par son maïorat d’Anvers, il ne peut plus contrôler autant la communication qu’avant. C’est d’autant plus difficile que tout un nouveau personnel politique de la N-VA, souvent radical, est arrivé au pouvoir dans les communes. Mais durant la campagne électorale, Bart De Wever va reprendre les choses en mains.

Comment un parti aussi radical obtient-il un tel succès en Flandre ?

Il surfe sur un certain nombre d’idées qui sont depuis longtemps dans l’air du temps : la notion de « hardwerkende Vlaming », l’exploitation de la sécurité sociale par la Wallonie… Mais leur grande force, c’est De Wever lui-même qui parvient à communiquer de telle sorte que les Flamands croient ce parti modéré. Il ne parle jamais de séparatisme, mais d’une nécessité de débloquer la démocratie par le confédéralisme, même si cela veut dire la même chose.

Bart De Wever sait que l’on attire les abeilles avec du miel, pas avec du vinaigre. Il a fait un doctorat sur la nationalisme et applique à la lettre les recettes du livre du théoricien Michael Billig qui explique comment banaliser le nationalisme faire en sorte que tout le monde trouve normal d’être un nationaliste. Selon Miroslav Hroch, la phase ultime du nationalisme, c’est quand on ne l’exprime plus de façon romantique, mais que l’on se concentre avant tout de façon pragmatique sur l’économie. La meilleure chose que les nationalistes puissent faire, c’est de cacher leurs drapeaux. C’est ce qu’il fait ! Il ne faut pas sous-estimer De Wever ! Cet homme sait ce qu’il fait !

Mais en 2014, n’est-il pas conscient qu’il va peut-être vivre le moment le plus complexe de son projet ?

Oui, c’est un moment crucial. La N-VA doit devenir incontournable, sinon elle sera confrontée à des problèmes. Elle doit obtenir environ 40% des voix, mais cela ne marchera pas. Entre 2010 et 2012, sa progression a été minimale: un tout petit pour cent à peine. Ces derniers mois, ses dirigeants ont donné beaucoup de gages aux électeurs de l’extrême droite et cela risque d’effrayer une part des modérés qui ont voté pour lui. La chance est grande que la N-VA reste le premier parti de Flandre, mais pas au point de pouvoir dicter sa politique. Cela pourrait marquer un tournant.

Leur victoire aux élections communales et leur entrée dans des majorités montre peut-être aussi leur vrai visage?

Cela démontre surtout qu’ils doivent composer avec un personnel politique incompétent, et c’est le cas partout. Ils font beaucoup de fautes, ne respectent pas la loi. En outre, en s’attaquant au secteur social, ils risquent de perdre des sympathisants. Le secteur culturel, c’est différent, parce qu’ils ne sont pas nombreux à y soutenir la N-VA. Les attaques contre les musulmans pour attirer les voix d’extrême droite ne sont pas non plus une bonne chose sur le plan électoral, à mon avis: le parti oublie que bon nombre d’entre eux avaient voté pour lui. Dans les grandes villes comme Anvers ou Gand, il est pratiquement impossible de gagner des élections sans les voix allochtones.

Après la publication de votre livre, vous avez reçu de nombreuses réactions outrées ?

Cet aspect-là faisait aussi partie de l’objet de mon travail. J’ai voulu savoir comme il se faisait que tant d’internautes soutiennent la N-VA. Au moment du lancement de mon livre, j’ai donné une interview à Knack. J’ai analysé les réactions publiées sur le site internet et j’ai tenté de savoir qui se trouvait derrière ces réactions. Il y en avait onze positives sur 280! En réalité, il s’agissait notamment d’intervenants qui utilisaient des pseudonymes différents pour construire l’idée d’une opinion publique massivement pro- N-VA.

Quel genre d’intervenants?

Beaucoup de mandataires du parti. Johan De Wit, par exemple, un responsable de la N-VA de Deurne, a écrit un commentaire sur Facebook au sujet de mon livre et j’ai retrouvé précisément le même texte sous deux pseudonymes différents dans les réactions.

Il s’agit de montrer que la N-VA mène un combat idéologique soutenu par une majorité. Je ne dis pas que cela est dicté par la direction du parti, mais il y a une organisation virtuelle sur le web, ce sont des gens qui se connaissent, très actifs, très militants. Facebook est pour eux un instrument de combat politique. Et cela a évidemment un impact.

On dit souvent que la force de la N-VA, c’est aussi la faiblesse idéologique des partis traditionnels…

C’est de facto le cas. La N-VA profite d’une évolution qui a débuté dans les années 1980: tous les partis flamands sont devenus des produits de marketing. On étude le marché électoral et on offre ce que les gens attendent. Cela mène à une perte d’idéologie et c’est une faute grave. Ce que De Wever a bien compris, c’est qu’il faut prendre des risques, être cohérent dans sa vision. Il assume son conservatisme et il fait tout pour le rendre populaire.

La SP.A se profile comme un parti anti N-VA mais gouverne avec elle dans bien des exécutifs. Comment peut-on expliquer cela aux électeurs? A Anvers, le SP.A mène une opposition dure, mais De Wever au beau jeu de dire que nombre de ces décisions s’inscrivent dans la lignée de la politique menée par l’ancien bourgmestre SP.A Patrick Janssens.

Les partis pensent trop au pouvoir, aux responsabilités qu’ils peuvent obtenir, et pas assez en terme d’idéologie.

Mais n’est-il pas facile pour la N-VA de défendre son idéologie quand elle refuse de réaliser des compromis au fédéral?

C’est vrai. Mais dans les autres partis, les compromis constituent le programme électoral. Bien sûr qu’il faut en nouer, mais au départ d’une idéologie forte, que ce soit le libéralisme, le socialisme, l’écologie… Pour cela, il s’agit de rester ancrer dans l’histoire de ces pensées. Beaucoup de libéraux tiennent aujourd’hui des discours complètement à l’opposée du discours libéral. Maggie de Block en tête: elle tient un discours purement nationaliste et le pire, c’est qu’elle n’arrête pas les flux migratoires, ces gens sont désormais ici dans la clandestinité. Quels sont les politiques qui osent dire ça? Mais il est vrai que la politique est devenue un match de boxe, au rythme des petites phrases dans les médias. On ne prend plus le temps de défendre son idéologie. De Wever a compris ça: lui, il le fait constamment, de manière très rigoureuse et très radicale.

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