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Venise, la nouvelle Atlantide ?

Muriel Lefevre

Venise sait depuis les années 1960 que si rien n’est fait elle risque de disparaître sous les flots. Sauf que la digue censée protéger la très touristique ville italienne est toujours en construction. On annonce la fin du chantier pour 2022, mais pour beaucoup c’est la « énième date d’une longue litanie ».

L’acqua alta est un phénomène de marée particulièrement haute qui fait que l’eau s’engouffre dans la sérénissime. Son intensité dépend du niveau de la mer, du sens du vent ou encore de la pluie. D’octobre et jusqu’aux premiers jours de mai, les Vénitiens surveillent les crues via des applications et sont prévenus par un système d’alerte.

Les Vénitiens prennent tout cela avec flegme et pour les touristes cela fait presque partie du folklore. Sauf que cet automne, et pour la septième fois dans l’histoire récente de la ville, l’acqua alta a dépassé les 150 cm.

La ville a même connu cette semaine sa pire marée haute en 53 ans avec un pic à 1,87 m mardi soir, soit le deuxième record historique. L’eau a submergé 80% de la cité et envahi les églises, commerces, musées et hôtels de ce joyau classé au patrimoine mondial, conduisant le gouvernement italien à décréter l’état d’urgence pour catastrophe naturelle dans la Cité des Doges. 20 millions d’euros allaient ainsi être débloqués « pour les interventions les plus urgentes ». Les dégâts, d’ores et déjà chiffrés à « des centaines de millions d’euros », devront donner lieu à des évaluations précises mais, en attendant, le décret permettra « immédiatement » de verser « 5.000 euros pour les particuliers et 20.000 euros pour les commerces », selon M. Conte.

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Venise devrait connaître un nouveau et périlleux pic de marée haute en fin de matinée vendredi. Dans la séquence actuelle de marées, l' »acqua alta » va atteindre 1,50 mètre vers 11H20 (10H20 GMT), selon le Centre de surveillance de la mairie. De fortes averses et du vent sont en outre annoncés sur toute la région.

A l’automne dernier, la crue avait aussi été nettement plus longue que d’habitude. L’alta ne dure généralement que le temps d’une marée. Lors de l’épisode de fin octobre 2018, elle va inonder la basilique Saint-Marc, point le plus bas de la ville, pendant plus de seize heures. Selon les experts l’église « a vieilli de vingt ans » en une journée. L’ensemble de la structure est désormais fragilisé et les travaux de rénovation les plus urgents seront à l’époque estimés à 2,7 millions d’euros.

Venise, l'une des nombreuses victimes du réchauffement climatique
Venise, l’une des nombreuses victimes du réchauffement climatique© iStockphoto

De tels épisodes spectaculaires réveillent les craintes que la ville, qui n’est qu’à un mètre au-dessus du niveau de l’eau, soit, un jour, engloutie pour de bon. D’autant plus que lors des quatre dernières décennies la fragile Venise s’est affaissée de plusieurs centimètres alors que le niveau de la mer augmente suite au réchauffement climatique. Pour le ministre de l’Environnement Sergio Costa, la fragilité de Venise s’est ainsi accrue en raison de la « tropicalisation » de la météo, avec d’intenses précipitations et de fortes rafales de vent, liée au réchauffement climatique. Les écologistes montrent aussi du doigt l’expansion du grand port industriel de Marghera, situé en face sur la terre ferme, et le défilé des bateaux de croisière géants.

La quasi-totalité de Venise se trouve à un mètre au-dessus du niveau de la mer. Avec une marée à qui monte à 1,10 mètre, c’est 12 % de Venise qui a de l’eau jusqu’aux chevilles. Si elle monte à 1,20 mètre, c’est 28%. A 1,40 mètre, c’est 59 %. Mose devrait être activé pour les crues de 1,10 mètre ou plus.

Si les images de ce mois de novembre étaient impressionnantes, la montée des eaux n’aura cependant pas dépassé le record historique de 194 cm établi en 1966. Le 4 novembre 1966, l’acqua alta montera jusqu’à 1,94 mètre au-dessus du niveau de la mer, semblant mettre en péril la survie même de la ville.

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Depuis, on cherche à sauver de la montée des eaux cette ville construite sur un groupe d’îles dans la lagune. Après des années de tergiversations, les Italiens tranchent pour Mose, acronyme pour Modulo Sperimentale Elettromeccanico (ou module expérimental électromécanique) et clin d’oeil à la figure biblique de Moïse.

Mose est en réalité un large complexe de 78 digues flottantes implantées au fond des trois passes reliant la lagune à l’Adriatique. Ces digues sont fixées à des charnières qui doivent s’élever dès que le niveau dépasse 110 cm, fermant du même coup la lagune. Une fois l’alerte passée, ces digues redescendent pour reprendre leur position initiale.

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La première pierre du chantier est posée en 2003. Seize ans plus tard, on ne voit pas grand-chose de ce barrage construit en grosse partie sous les flots. C’est que la digue qui aurait dû protéger Venise des inondations a elle-même sombré dans les scandales de corruption et l’explosion des coûts. Retard, surcoûts et malfaçons ont plombé le chantier. Le coût des travaux, estimé initialement à 1,5 milliard d’euros, s’élevait à plus de 6 milliards en 2017. Le projet pharaonique devait aussi être achevé en 2011. En 2019, on est encore loin du compte et on avance désormais plutôt une fin de chantier pour le printemps 2021 selon le Premier ministre Giuseppe Conte. Mais là aussi sans garantie puisque le Consorzio Venezia Nuova (CVN), qui dirige les travaux depuis l’Arsenal, n’avance, pour sa part, plus aucune date précise.

Venise, la nouvelle Atlantide ?
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La structure serait pourtant terminée à plus de 93 %, toujours selon M. Conte et n’attendrait plus que d’être parachevée. Sauf qu’une digue qui n’est pas finie ne sert à rien et ce semi-abandon coûte des fortunes. Le quotidien Il Giornale déplore que « tandis que la rouille envahit peu à peu les écluses construites depuis des années, mais pas encore entrées en fonction, les coûts de manutention risquent de dépasser les coûts de construction. »

On pointe aussi la corruption. « En 2014, éclate un gigantesque scandale, impliquant des dizaines d’entrepreneurs locaux et la quasi-totalité des responsables politiques de la région » dit Le Monde. « Selon les estimations de la justice italienne, près de 1 milliard d’euros ont été détournés, par un jeu de surfacturations et de rétrocommissions. » Le scandale remontant jusqu’au gouverneur de la région Vénétie, Giancarlo Galan (Forza Italia, droite), proche de Berlusconi.

Si, aujourd’hui, les travaux sont trop avancés que pour être remis en cause, la plupart des Vénitiens ne croient plus beaucoup en l’utilité de la digue. « La Venise des années 1960 n’existe plus. Personne aujourd’hui n’habite au rez-de-chaussée, ce qui rend l’acqua alta beaucoup moins dangereuse pour les habitants », souligne Giovanni Andrea Martini, maire de l’arrondissement du centre de Venise dans Le Monde. Avant de conclure, légèrement amer, « ce projet coûte très cher, alors que l’argent manque pour beaucoup d’initiatives qui pourraient permettre de lutter contre le dépeuplement de la ville… »

Le nombre d’habitants de la ville a baissé d’un tiers en 60 ans et ne sont aujourd’hui plus qu’à peine 50 000. Il y a des raisons à cela. Plus de 20 millions de touristes par an qui gâchent la vie quotidienne et augmentent les temps d’attente et les prix. Ils chassent les bouchers et les boulangers du centre historique au profit d’une industrie plus lucrative. « C’est en train de devenir un parc d’attractions ici « , dit ainsi Jan van der Borg, professeur d’économie du tourisme qui fait la navette entre les universités de Louvain et de Venise, dans De Standaard.

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