Un toit, plus vite que ça !

Depuis plus de trente ans, José Garcia est le poil à gratter des propriétaires immobiliers et des politiques bruxellois. Ardent défenseur des droits des locataires, le vieux lion du logement n’est pas près de déposer les armes

On ne sort jamais indemne d’un enterrement. José Garcia, secrétaire général du Syndicat des locataires, n’oubliera jamais celui d’un célèbre promoteur immobilier, dans les Marolles, à la fin des années soixante. Ce jour-là, 2 000 personnes en liesse se précipitent dans le c£ur du quartier populaire bruxellois afin de fêter la fin de la  » bataille des Marolles « . Garcia n’est alors qu’un  » ket  » de 12 ans, chassé d’Andalousie avec toute sa famille, sept ans plus tôt, par le franquisme. Mais, même symbolique, la mise en bière de l’ennemi spéculateur, après des mois de résistance, fonde définitivement sa conviction :  » La lutte paie toujours « .

La lutte ? Voilà plus de trente ans qu’elle dure. Trente ans que cet infatigable défenseur du droit au logement arpente les sociétés de logements sociaux, traque les expulsions abusives de locataires, dénonce les loyers devenus impayables pour des cohortes de Bruxellois précarisés, soutient les occupations de logements, scrute à la loupe les textes de loi censés réguler le marché locatif et harcèle les politiques pour que le droit constitutionnel à un habitat décent ne se réduise pas à une coquille vide.  » Les logements sociaux ont d’abord été destinés aux travailleurs, puis, avec la crise du logement, aux démunis et aux exclus. Mais, aujourd’hui, la cote d’alerte est atteinte partout. Dans le public comme dans le privé, les individus et les familles en difficulté ne trouvent plus de logement, tout simplement. Bruxelles devient une ville interdite aux pauvres. Et, de plus en plus, inaccessible aux revenus moyens.  »

Un constat d’échec de son combat ?  » Idéologiquement, oui, reconnaît-il. En trente ans, les revendications féministes ont bien plus progressé que celles du logement.  » De là à imaginer José Garcia abattu, il y a un pas. Pour faire avancer les thèses défendues par son  » syndicat, indépendant des grandes organisations syndicales « , cet indécrottable optimiste se démène pour être présent sur tous les terrains : les associations de quartier, les squats, les conseils de locataires, la rue, les coulisses du pouvoir. Et, surtout, les médias. Sa verve et son expertise sans faille, assorties d’un brin de truculence, y font merveille. Au point que d’autres acteurs du droit au logement, plus soucieux de tisser patiemment leurs réseaux d’influence ou de monter des actions de sensibilisation à long terme, s’irritent de son omniprésence, de ses coups de gueule, de son obsession de la dénonciation des mauvaises lois, voire de ses maladresses.  » Récemment, devant un juge de paix, il a fallu le couper : il était sur le point de réclamer l’abolition de la propriété privée !  » s’esclaffe l’abbé Jacques Van der Biest, qui connaît Garcia comme sa poche. Il est vrai qu’une admiration réciproque lie le  » curé des Marolles  » et l’assistant social. Un jour, il y a bien longtemps, le premier offrit un ouvrage de Jules Vernes au second qui, passionné, découvrit ni plus ni moins que le goût de la lecture. Ce cadeau, surtout, le détourna de la voie toute tracée qui l’attendait à la sortie de l’école primaire : l’enseignement spécial, auquel une méchante poliomyélite, survenue pendant son enfance, l’avait condamné.

D’où vient la force de frappe de José Garcia ? De la constance de son engagement sur un terrain mouvant. Mais aussi d’un évident charisme, teinté d’autoritarisme. Il faut l’avoir vu s’impatienter, il y a peu, dans les couloirs du parlement bruxellois et littéralement  » convoquer « , à une rencontre décidée par lui seul, les mandataires politiques retenus en commission, deux étages plus haut. Intransigeant mais jovial, Garcia a le tutoiement immédiat, y compris envers le personnel politique de tous les partis. Au bistrot, on le reconnaît, on l’interpelle. Il émaille ses discussions improvisées de grands éclats de rires, ponctuant ses phrases de  » mon frère « ,  » ma s£ur  » comme si chaque inconnu était un camarade de barricades.

On aurait tort, pourtant, de ne voir en lui qu’un militant fort en gueule et courtisant les caméras. Fort de son enracinement populaire, il n’a pas son pareil pour mobiliser les exclus.  » Une véritable gageure, confie une mandataire bruxelloise : allez donc rassembler autour d’un même projet de jeunes anars, des SDF et des familles fraîchement expulsées.  » L’homme est doué pour adapter ses stratégies.  » Il a inventé le principe de l’allocation-loyer quinze ans avant tout le monde « , glisse une collaboratrice. En 2003, Philippe Moureaux (PS) le nomme au conseil d’administration de la Société du logement de la Région bruxelloise (SLRB). Oui, l’organe de tutelle du logement social dans la capitale, celui-là même qu’il prend régulièrement pour cible, mais qui accorde des subsides à son syndicat.  » Une façon de le faire taire « , susurre-t-on alors. Raté ! Même ses détracteurs l’admettent : il ne s’est jamais compromis.  » Je suis un et indivisible !  » tonne-t-il d’un £il noir, lorsqu’on le titille.

Un radical ? Pour lui, le blocage des loyers à Bruxelles – une piste très controversée – est incontournable. Autre credo :  » Toute expulsion est inhumaine, même lorsque le locataire a des torts.  » Il sait, pourtant, qu’il doit composer avec ses adversaires : propriétaires publics et privés. Et, surtout, patienter sans cesse, malgré les victoires acquises : la Région bruxelloise avait promis, en 2003, de se doter en cinq ans de 5 000 logements sociaux supplémentaires.  » On en est à 250 tout au plus « , dénonce-t-il, scandalisé. Sa plus belle victoire remonte à 1981, avec le vote de l’obligation de motiver toute expulsion d’un logement social. Autre victoire, selon lui, acquise en ce printemps 2007 : dorénavant, aucune expulsion d’un logement public ne pourra être prononcée sans reloger les locataires évincés. Avec ses troupes, il a fêté ça. Mais en français. Ni en marollien, ni en chantant : ces deux langues du c£ur – et ses passions – que, faute de temps, il n’arrive pas à cultiver.

Philippe Lamotte

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