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Belgique – Suisse: la naissance d’Eden De Bruyne

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face à la Suisse (2-1).

L’impression est étrange. Elle peut vous faire approcher un inconnu en rue, croyant reconnaître en lui un ami. Tout ça pour, ensuite, dégainer vos excuses ou votre téléphone pour immortaliser cet instant toujours particulier. Une rencontre avec un sosie.

Longtemps, Belgique et Suisse se sont regardées comme on scrute son visage dans un miroir. Roger Federer ou Justine Henin. Tom Boonen ou Fabian Cancellara. Et puis, dans les yeux du monde, des clichés chocolatés dont on rigole au pays dans des langues différentes, dont aucune n’est vraiment la nôtre.

Évoquer la Suisse et le football, c’est aussi se rappeler le discours annuel de Roger Vanden Stock, au moment où tombent les premières feuilles de l’automne européen, quand le président mauve rêvait tout haut d’imiter à la Belge les exploits continentaux du FC Bâle.

Parce que la Suisse a seulement hérité de Xherdan Shaqiri pendant que la Belgique regardait éclore Eden Hazard, le ballon a changé de camp. Et forcément, ce sont les Helvètes qui installent un système en miroir de celui des hommes de Roberto Martinez. Comme face aux Anglais un mois plus tôt, Vladimir Petkovic opte pour une défense à trois – voire à cinq – pour contrer des Diables installés dans leur 3-4-2-1 de toujours, avec Thomas Vermaelen et Youri Tielemans pour faire oublier les blessures de Jan Vertonghen et Kevin De Bruyne.

EDB

Les intentions suisses ne jouent pas à cache-cache. Les premiers ballons du match cherchent les talons de Yannick Carrasco, qui place son front puis ses sprints au bout du plan parti des pieds de Granit Xhaka. Pour frapper une première fois au but, les Suisses misent finalement sur une frappe de Shaqiri, née d’une intervention de Zakaria entre une passe de Tielemans et un contrôle de Witsel.

Petkovic a peut-être adapté son schéma, mais il a conservé ses idées. La Suisse soigne ses sorties de balle, et permet à la Belgique de travailler son pressing, nouvel ingrédient introduit dans le cocktail national par Roberto Martinez au retour de Russie. Peaufiné contre l’Écosse et l’Islande, le plan percute un niveau supérieur contre la Nati. La relance à trois défenseurs (dont l’excellent Ricardo Rodriguez), complétée par les pieds agiles du gardien Yann Sommer, parvient à ouvrir le premier rideau belge, malgré la volonté d’un Romelu Lukaku qui presse jusqu’à la ligne de but.

Guidée par les anticipations et l’exubérance physique de Vincent Kompany, c’est pourtant la Belgique qui s’installe progressivement dans le camp adverse, comptant sur son trio défensif pour éteindre les débuts d’incendies autour du rond central. Confinée dans la partie de terrain d’une équipe qui sait aussi se défendre, la sélection diabolique réalise à quel point l’architecte Kevin De Bruyne lui manque.

Heureusement, il reste Eden Hazard. Comme Messi sans son Iniesta, le capitaine belge range son costume de dribbleur pour enfiler un smoking de milieu de terrain. Avec un seul tir et un seul dribble réussi au bout des nonante minutes, le roi des Blues a modifié sa feuille de route habituelle, pour afficher six passes-clé. Une partition qui fait écho aux compliments de Xavi, adressés à Lionel Messi dans la presse argentine en plein Mondial : « Messi, il peut faire du Xavi, du Rakitic, du Busquets, du Iniesta, du Suárez… Il fait tout bien. S’il veut te dribbler, il te dribble. S’il veut faire une passe, il donne la meilleure du monde. » Sur la pelouse nationale, Eden fait du Kevin. Comme Griezmann chez les Bleus au Mondial, Hazard met son talent à l’endroit du terrain où il semble le plus utile aux siens.

L’INSTANT DES LIEUTENANTS

Forcément, les habituels lieutenants offensifs doivent prendre du galon. Dans la salle des costumes, Yannick Carrasco range sa tenue d’équilibriste, dans laquelle il se sent à l’étroit. La faute à un rôle défensif qui semble l’empêcher de courir vers l’avant avec les idées claires. Le slalomeur géant de Vilvorde voit le costume de dribbleur d’Hazard, et décide de l’enfiler pour envenimer la soirée de Michael Lang. Il quittera la pelouse avec deux dribbles et quatre tirs au compteur.

Les intentions belges se dessinent donc sur un côté gauche retrouvé. Les passes s’y accumulent avant de faire réapparaître le ballon de l’autre côté, dans les pieds d’un Meunier placé au bout de la vista de Tielemans. Le centre trouve le front de Carrasco, mais pas le cadre. Dix minutes plus tard, c’est Tielemans qui frôle le cadre en générique de fin d’un solo d’Eden Hazard, parti sur le flanc gauche après avoir passé l’essentiel du début de rencontre dans un rôle de milieu intérieur gauche, poussant Youri vers le côté droit. Le système belge devient liquide. Les postes disparaissent, pas l’harmonie.

Un nouveau centre de Meunier, puis une frappe sèche de Carrasco concluent le premier temps fort national. La dernière frappe de la mi-temps a beau partir des pieds confus de Dries Mertens, la plus grande frayeur est belge. Mal aligné, Toby Alderweireld laisse filer Shaqiri vers Courtois, avant de rattraper in extremis le seul Suisse à pouvoir regarder sans rougir les cuisses de Fabian Cancellara.

La seconde période commence comme si la première ne s’était pas terminée. Une passe géniale d’Hazard, un contrôle instinctif mais une reprise mal inspirée de Mertens, puis un ballon dans le dos du côté droit de la défense belge, conclu par un centre plus effrayant que dangereux.

91 SECONDES

La Belgique prépare son grand moment. Minutieusement. Comme pour faire mentir un René Weiler qui racontait quelques heures plus tôt à la DH que la possession était désuète et ennuyeuse. Entamé au bout de la 56e minute, le plan-séquence belge se termine 91 secondes et 29 passes plus tard. L’accélération décisive part des pieds de Thomas Vermaelen, qui porte le ballon comme un défenseur espagnol et désorganise les lignes du 5-3-2 suisse. Hazard, Mertens puis Meunier, joueur de couloir qui promène sa liberté offensive jusqu’au point de penalty, trouvent Romelu Lukaku dans une position où le colosse n’a pas l’habitude de pardonner (1-0).

Est-ce le temps qui avance ou le score qui évolue ? La tactique semble disparaître en même temps que le 0-0. Le match se débride, d’abord à l’avantage des Suisses qui appellent Meunier et Courtois à afficher leur maîtrise défensive. La Belgique réplique, évidemment, sur un ring où elle a montré l’été dernier qu’elle boxait dans la plus haute catégorie. Lukaku, Carrasco, Mertens puis Hazard cherchent le 2-0.

La Belgique baisse la garde à gauche, perturbée par les ischios fragiles de Vermaelen. Carrasco commet une faute juste avant de céder sa place à Nacer Chadli, et les Suisses en profitent pour recoller au score sur un coup franc remisé dans le dos de Meunier vers un Gavranovic opportuniste (1-1).

SYMPHONIE EN TRIANGLE

Pendant quelques instants, le match semble changer de vie. C’est même Eden Hazard qui doit faire une faute sur Granit Xhaka. Mais la Belgique maîtrise l’art de la tragédie antique. Ces pièces de théâtre qui placent les héros devant des dilemmes insolubles, avant qu’une intervention divine vienne tout régler comme par magie. Dans le jargon théâtral, on parle d’un Deus ex machina. Sur les prés, cela s’appelle le talent.

Une passe tranchante de Toby Alderweireld vers Hazard, puis une symphonie en triangle interprétée par Eden, Dries et Romelu. Les Suisses quittent momentanément la scène, réduits au rôle de spectateur. Le buteur national, qui semblait avoir raté la balle de match quelques instants plus tôt, fait parler son sang-froid pour mettre Sommer au tapis avant même d’asséner le coup fatal (2-1). La victoire est toujours bien installée dans les destinations favorites du GPS national.

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