La cyberdéfaite du 11 septembre 2001

Le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont perdu, de manière tragique, la première bataille du premier cyberconflit de l’histoire. Il s’agit bien d’un cyberconflit, car les terroristes ont utilisé le cyberespace en déjouant les énormes moyens déployés pour les empêcher de nuire. Si nous ne voulons pas que cela se reproduise, il faut examiner, froidement, ce qui a permis les tragédies du 11 septembre. A part d’évidentes causes géopolitiques, il y a eu des failles dans le monde occidental. Il est urgent de les appréhender.

Les risques liés aux nouvelles technologies sont étudiés depuis plusieurs années. On savait que l’on pouvait pervertir nos technologies sophistiquées pour nous combattre. Pour s’en prémunir, on a dépensé de la matière grise et des sommes fabuleuses dans des armées d’informaticiens, des armadas de systèmes et satellites de surveillance, etc. On a préféré, pour des raisons idéologiques et budgétaires, des armées de personnes devant leur ordinateur à des gens sur le terrain.

Le concept de base de la domination du monde par les autoroutes de l’information est celui de « l’infodominance » : l’information doit permettre à celui qui la maîtrise de tout connaître, donc de tout contrôler, de tout surveiller. Pour cela, il doit impérativement disposer des technologies adéquates: ordinateurs, satellites, fibres optiques, etc. Le réseau de surveillance Echelon a été développé dans ce but. La technologie est le seul moyen de contrôler, de surveiller les échanges d’information de par le monde.

Mais cet accent mis sur la technologie oublie que l’information est d’abord une affaire d’êtres humains Ce sont eux qui communiquent, qui envoient et reçoivent des messages. Contrôler l’information implique qu’elle soit contrôlable, et que les hommes suivent les voies prévues de communication.

L’information est-elle contrôlable ? Techniquement, ce n’est pas facile, car la quantité d’information échangée de par le monde est énorme. Repérer ce que certains y mettent est techniquement impossible, si on ne sait pas qui surveiller. Après coup, on peut savoir qui a envoyé quoi à qui. Mais pas nécessairement pendant. D’autant plus que, sur Internet, on peut se procurer des logiciels libres pour crypter ses messages. Ce que les terroristes du 11 septembre ont utilisé.

La domination du monde via les autoroutes de l’information implique aussi que tout le monde les utilise. Le croire, c’est oublier que tous n’y ont pas accès, de par l’idéologie même qui sous-tend les autoroutes de l’information. Celle-ci prend racine dans les idées de futurologues américains des années 1970, tel Alvin Toffler, pour redynamiser la société américaine. Selon eux, il s’agit de passer d’un monde dual (riche et pauvre, industrialisé et agricole) à une société « triséquée ». Le monde est divisé en sociétés de la Première Vague, offrant les ressources agricoles et minérales, et celles de la Deuxième Vague, fournissant une main-d’oeuvre bon marché et s’acquittant de la production en série. Tandis que les sociétés de la Troisième Vague vendent au monde de l’information, de l’innovation, de la technologie, de l’éducation, des soins médicaux, des services financiers, etc. Les nations sont classées selon ces trois « vagues ». Bien entendu, les pays développés doivent être de la troisième vague, pour garder la domination du monde.

Jusqu’au 11 septembre 2001, les dirigeants occidentaux ont raisonné comme si le monde entier désirait atteindre cette troisième vague et pensait en concordance avec notre mentalité occidentale. C’est oublier que, dans le schéma des trois vagues, les deux premières restent actives, avec leurs modes de fonctionnement, leurs motivations, leurs idéologies. Dans notre société occidentale hyper-rapide, nous oublions que le réseau Internet s’est popularisé chez nous depuis dix ans. Dix ans, c’est peu au regard de l’évolution des mentalités.

Cette division du monde en trois vagues induit ainsi des asymétries importantes, aux niveaux technologiques, sociaux, idéologiques. Plusieurs civilisations, aux particularités antagonistes, coexistent. Le problème est que notre supériorité technologique nous conduit à un autisme arrogant. Nous nous croyons les plus forts. Le 11 septembre 2001, nos croyances se sont effondrées.

En utilisant les outils de notre société de l’information de manière diabolique, en contournant les imposants dispositifs de sécurité du cyberespace, en appliquant des méthodes élémentaires que les techniciens avaient oubliées, en se servant des failles de notre société trop sûre d’elle- même, les terroristes ont réussi une action meurtrière aux conséquences incalculables. Ils ont prouvé la vulnérabilité de l’Occident. Ils ont humilié les puissants. Personne ne l’oubliera.

Ils ont aussi démontré de manière tragique que la maîtrise de l’information est un leurre. Nous avons perdu la première cyberbataille. Oserons-nous le reconnaître et en tirer les conséquences ? Il est temps de nous rappeler que les autoroutes de l’information, comme toutes les technologies, sont réalisées par des hommes, pour les hommes, pour aider tous les hommes.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

par Michel Wautelet, professeur à l’université de Mons-Hainaut

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