L’amertume du cappuccino

L’architecte palestinienne Souad Amiry publie Cappuccino à Ramallah . Elle y relate la vie au quotidien pendant le siège de la ville par l’armée israélienne, en 2001 et 2002. Une confession remplie d’ironie et de désolation

A 4 h 30, Salim me demande si j’ai envie d’un cappuccino. Pourquoi pas, lui dis-je à moitié endormie. Mais, tout à coup, je me souviens de la dernière fois que les soldats israéliens étaient sous nos fenêtres. Je me précipite dans la cuisine pour dire à Salim de faire attention car, la machine à café étant très bruyante, l’opération pourrait attirer l’attention.  » Ces phrases sont extraites du  » journal de guerre  » de la Palestinienne Souad Amiry. Quelques lignes sans fioritures, qui semblent raconter une vie presque normale. Pourtant, c’est bien une nuit d’effroi qui est évoquée ici û celle du 3 au 4 décembre 2001, quand l’armée israélienne lança des raids spectaculaires dans les territoires occupés. A Ramallah (Cisjordanie), où réside Souad Amiry, les chars entrent dans la ville sans crier gare. Le quartier général de Yasser Arafat est assiégé. Motif : le Premier ministre israélien Ariel Sharon l’accuse d’être responsable des attentats qui, deux jours plus tôt, ont causé la mort de 28 personnes. Dans les mois qui suivront, la ville subira plusieurs autres incursions. D’autres cités (Jénine, Naplouse, Tulkarem) seront elles aussi investies. En quelques semaines, plusieurs centaines de Palestiniens et d’Israéliens sont tués. Les efforts consentis jusque-là pour parvenir à un accord de paix sont anéantis.

Un rire jaune

En lisant Cappuccino à Ramallah (éd. Stock), on ne se doute pas à quel point ces mois-là furent tragiques. Les bombardements, les attentats, l’enfermement d’Arafat, les déclarations de Sharon… Tout ça n’apparaît qu’en filigrane. Souad Amiry a pris le parti d’écrire avec humour, de se concentrer sur la vie quotidienne. La sienne. Celle d’une architecte de 52 ans, au sort fatalement indissociable de celui d’un peuple meurtri. A bien des égards, cependant, cette femme élégante et cultivée se distingue de ses compatriotes. Née en Syrie, diplômée de l’Université américaine de Beyrouth (Liban), elle n’a jamais éprouvé dans sa chair les privations qu’endurent les familles réfugiées dans la bande de Gaza. D’une certaine manière, elle est une privilégiée. Alors que les morts s’accumulent, elle consacre toute son énergie à défendre le patrimoine culturel et historique palestinien, au travers de l’organisation Riwaq, basée à Ramallah.  » Dans ce conflit, je pense que l’archéologie joue un rôle très important, avance-t-elle pour justifier son action. Les Israéliens tentent de détruire tous les vestiges culturels arabes. Ils veulent effacer toutes les preuves physiques montrant que, avant la création de leur Etat, d’autres peuples ont vécu sur cette terre.  »

Souad Amiry rit beaucoup, mais c’est souvent un rire jaune. Elle est en colère.  » Israël est un Etat fasciste !  » assène-t-elle. Elle s’énerve lorsqu’on s’étonne d’un jugement aussi radical.  » En Europe, ça vous choque peut-être qu’on déclare cela. Mais certaines personnalités du Meretz (parti de gauche israélien) ne disent pas autre chose. Chaque jour, les Palestiniens doivent subir un apartheid pire qu’en Afrique du Sud.  » Poursuivant sur le même ton, elle soutient que  » la résistance à une occupation injuste n’est pas du terrorisme « . Souad Amiry ne défend toutefois pas l’indéfendable, à aucun moment.  » Des deux côtés, on tue des civils. Je refuse cela. Ce sont des vies gâchées. Mais le terrorisme n’est pas la cause du problème, c’est le symptôme d’un désarroi.  »

L’architecte est aussi une femme politique. Nommée vice-ministre de la Culture en 1995, elle a démissionné de sa fonction un an plus tard.  » C’était un poste trop frustrant pour moi, confie- t-elle. Nous, les architectes, nous voulons voir du concret, des choses qui se construisent. Mais l’Autorité palestinienne n’a pas assez d’argent. De plus, les gens qui entourent Arafat sont de très bons activistes politiques, mais ils n’étaient pas prêts pour gérer un pays.  » Pour l’heure, la Palestine ne possède toujours pas de véritable Etat…  » Nous l’aurons un jour, assure Souad Amiry. Dans ce conflit, c’est nous qui sommes les plus forts psychologiquement. Nous connaissons nos droits.  »

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