Infernal carnaval

Sous la plume d’Arnaud Delalande, la cité des Doges se fait l’héroïne d’un polar historique. Dantesque et intelligent

Le Piège de Dante, par Arnaud Delalande. Grasset, 424 p.

Baroque, artistique, sensuelle et décadente, la Venise des Lumières fascine. Au siècle de Vivaldi et de Tiepolo le Jeune, la  » Vénus des eaux  » brille par son ébullition culturelle. Quand l’oligarchie patricienne verrouille la République à l’aide d’une police omniprésente, le peuple, lui, s’amuse : ne croyant ni en Dieu ni à la raison, il applaudit Goldoni dans les théâtres, rit des cocus semés sur le chemin galant de Casanova et fait la fête sans discontinuer pendant les six mois que dure le carnaval.

Ce n’est pas la première fois qu’Arnaud Delalande balade sa plume en Italie. Ce jeune auteur et scénariste de 34 ans, qui s’est d’abord inspiré avec succès de scandales financiers au Vatican (Notre-Dame sous la terre, vendu à 10 000 exemplaires), s’est également penché sur le drame des cathares sous la Rome du xiiie siècle, avant qu’une autre enquête, autour d’un violon, ne le mène jusqu’à Venise. Avec Le Piège de Dante, l’écrivain fait de la cité lagunaire plus qu’une simple halte : une protagoniste à part entière.

En 1756, le meurtre atroce d’un comédien, crucifié sur la scène d’un théâtre, suffit à ébranler les fondations de la République : plusieurs sénateurs et grands conseillers semblent impliqués. Pour qu’il débusque le tueur, le doge fait libérer Pietro Viravolta, alias l’Orchidée noire, envoyé à la prison des Plombs par un mari jaloux. Ce héros, voisin de cellule de Casanova (prisonnier bien réel), ressemble trait pour trait à son compagnon d’infortune : aventurier, séducteur, escroc et espion à ses heuresà Bref, irrésistible ! Bientôt, Pietro met le doigt sur une conspiration politique orchestrée par une secte dont les mises à mort reproduisent les châtiments décrits dans La Divine Comédie, de Dante.

En neuf chapitres (un pour chaque cercle de l’enfer), Delalande ficelle un polar historique intelligent, bien écrit et soigneusement documenté (on y apprend tout des rouages complexes de l’une des Constitutions les plus originales de l’Histoire). Mensonges, trahisons, rebondissements en pagaille, rien ne manque. Il est rare, surtout, que des tribulations mystiques fassent si bon ménage avec des péripéties de cape et d’épée. l

Anne Berthod