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Jean-Maurice Dehousse : « L’assassinat de Cools ? La vérité judiciaire ne me convainc pas »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Depuis vingt ans, il fait le tour de la question. Sans trouver toutes les réponses. Jean-Maurice Dehousse, ancien ministre-président wallon et ex-bourgmestre de Liège livre au Vif/l’Express le fruit de ses réflexions sur l’assassinat d’André Cools. Et prend la défense de Willy Demeyer, président de la fédération PS liégeoise et bourgmestre de Liège, très critiqué ces jours-ci : « Quand on vous attaque, c’est que vous existez. En politique, c’est positif. »

Le Vif/L’Express : A vingt ans de distance, quel regard portez-vous sur l’assassinat d’André Cools, survenu en juillet 1991 ? La vérité judiciaire, admise par les principaux dirigeants du Parti socialiste, laisse entrevoir un assassinat orchestré par des petites frappes, pour des motifs minables.

Jean-Maurice Dehousse : Oui, et la doctrine officielle de l’Eglise, c’est l’Immaculée Conception… Cela ne me convainc pas. Mais ça arrange ceux qui sont aujourd’hui aux commandes du parti. Ils ont autre chose à faire. Le pouvoir, c’est éreintant. Ce sont les gens comme moi qui sont agaçants à vouloir toujours remuer les vieilles lunes.

Pourquoi la vérité judiciaire ne vous convainc-t-elle pas ?

Je persiste à croire qu’en Belgique, on tue pour de l’argent, pas pour le pouvoir. La thèse judiciaire, c’est que Cools a été tué par des mercenaires, c’est-à-dire des gens qui tuent pour de l’argent. La thèse judiciaire, c’est que ces mercenaires ont été recrutés en lien avec l’affaire de titres volés : c’est toujours de l’argent. Ce n’est pas une cause politique, ce n’est pas l’Irlande du Nord, ce n’est pas l’islamisme. Je n’ai donc pas tort : il s’agit d’argent. Mais cela n’explique pas tout. En mai 1991, André Cools dit à la journaliste Lily Portugaels : tu vas voir, en septembre, ça va barder. Quel rapport avec les titres volés ? S’il a connaissance en mai d’une possible infraction, pourquoi attendre septembre ? Et quel lien avec l’affaire Agusta ? Et avec Alain Van der Biest ? Il y a un malaise dans ce dossier… Comment pourrais-je me satisfaire de la vérité judiciaire quand elle est laisse tant de questions sans réponse ? Je fais le tour de ce truc-là depuis des années. Mais je n’ai pas la moindre hypothèse. Mon index ne pointe rien du tout.

Le parcours d’André Cools recèle-t-il à vos yeux d’autres énigmes ?

La grande énigme, c’est 1981, quand Cools renonce à la présidence du parti. Il ne se le pardonnera jamais. C’est une chose très mystérieuse, une forme d’abdication. Aucun autre président du PS n’a fait ça. Je crois qu’il y a quelqu’un qui en savait beaucoup, c’est Georges Debunne, le patron de la FGTB. Dans ses mémoires, il dit : Cools et moi, on s’aimait bien, il avait un caractère difficile, mais moi aussi… Cela n’éclaire rien. Je suis persuadé que Georges savait quelque chose, mais qu’il a emporté ses secrets dans la tombe. Tous les témoignages, le mien y compris, rapportent qu’en 1981, Cools est à bout. Il a donné trois fois sa démission, et avec Léon Hurez, nous sommes allés trois fois le rechercher. S’il l’a fait trois fois avec Hurez et moi, il a dû le faire autant avec Robert Urbain, avec Spitaels, avec d’autres… Donc il était à bout. Pourquoi ? Je ne sais pas dans quelle mesure cette énigme-là n’en conditionne pas une autre, celle de son assassinat. A partir du moment où ce sont des zones d’ombre, je ne peux pas postuler qu’il y a un lien, mais on ne peut pas certifier non plus qu’il n’y en a pas.

Peu avant la mort de Cools, vous affirmez dans De Standaard qu’un complot se trame pour renverser le président du PS, Guy Spitaels. Qu’est-ce qui vous permettait d’être si catégorique ?

J’ai travaillé pour Cools, j’ai été un fouille-merde pour Cools. Je connais son modus operandi. Quand vous voyez un John Ford, vous savez que c’est un John Ford. Un Renoir, ce n’est pas un Cézanne. Je n’avais pas besoin d’informations particulières. Tout m’indiquait que Cools projetait de renverser Spitaels. C’est pour cette raison que j’appelle alors Guido Fonteyn, un bon journaliste, en lui disant : j’ai une information pour toi. Je savais avec certitude que Cools préparait un putsch. Nous avions fait trop de choses ensemble pour que je ne reconnaisse pas la démarche.

On dit que Willy Demeyer, qui vous a succédé au mayorat de Liège en 2000, continue de vous consulter très régulièrement. Et pourtant, par le passé, vous vous êtes beaucoup opposés : vous étiez la figure de proue du groupe Perron, tandis que Demeyer appartenait au clan coolsien.

Je suis content de mon successeur, tout le monde le sait. Lorsque la question de ma succession s’est posée, nous avons fait un bon choix, puisque manifestement, c’est le bourgmestre qui plait aux Liégeois. C’est indiscutable, ça ! De plus, au fil du temps, une connivence s’est établie entre nous, malgré le fait que nous nous sommes fortement opposés à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ce qui nous a rapprochés, c’est que Willy et moi, nous étions de ceux qui voulaient la paix. Atteindre cette paix n’a pas été facile. Il fallait deux paix, en réalité : l’une dans le monde socialiste de la ville de Liège, l’autre dans le monde socialiste de la fédération. Willy Demeyer a été, avec Michel Daerden, l’un des acteurs principaux de la paix au PS liégeois. Il a payé de sa personne pour conquérir cette paix. Et au-delà de ça, c’est aussi une certaine vision du socialisme qui nous unit.

Comme président de la fédération liégeoise, Willy Demeyer est aujourd’hui de plus en plus critiqué. On lui reproche notamment de ne pas savoir décider…

Quand on est attaqué, c’est qu’on existe. Politiquement, c’est déjà un élément positif. Quelque part, Willy devrait s’en réjouir… Je me souviens qu’au début de son mandat, beaucoup lui reprochaient de ne pas assez exister. Après, on peut penser ce qu’on veut de Willy, comme de moi, comme du pape. Le premier mérite de Willy Demeyer, c’est d’être apprécié des Liégeois. En 2006 comme en 2012, il a été l’un des socialistes liégeois les mieux réélus dans sa commune, et pourtant, sa commune est difficile, car la ville de Liège n’a jamais eu de majorité absolue socialiste.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier « Histoire secrète du PS liégeois », réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles. Avec : – Comment, en trente ans, ce qui était la plus puissante fédération du parti a décliné – Michel Dighneef : « Le Ps liégeois a besoin d’un homme fort »

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