Olivier Mouton

Traquer les allocations familiales dans une société malade

Olivier Mouton Journaliste

Le gouvernement fédéral dégage des moyens supplémentaires pour les visites domiciliaires afin de mieux traquer les fraudes en matière d’allocations familiales. Shocking ? Oui. Mais aussi le reflet d’une ère où tout ne sera plus permis.

L’Etat-Providence tire les conséquences de la crise. Fini le temps des vaches grasses, voici venu celui de la croissance zéro quasi permanente. Et avec lui, celui de la traque aux fraudes tous azimuts, pour faire comprendre clairement qu’il n’est plus possible de tirer impunément sur les ficelles d’un système qui vacille.

C’est le journal « Le Soir » qui l’annonce ce vendredi matin : sus, désormais, aux fraudes en matière d’allocations familiales. Le gouvernement fédéral va dégager un budget complémentaire de 950.000 euros cette année et de 920.000 l’année prochaine pour permettre à l’Office national d’allocations familiales pour travailleurs salariés (Onafts) de renforcer les contrôles à domicile. Actuellement, quatorze contrôleurs sont chargés de vérifier de visu les compositions de ménage. Demain, ils seront vingt-cinq. Objectif budgétaire, prioritaire en cette ère de disette ? Récupérer 13,3 millions d’euros cette année, 27,65 millions d’euros l’année prochaine. Un effort qui survient avant que la tutelle sur les allocations familiales ne soit transférée aux Régions à partir du 1er janvier 2015, en vertu de la sixième réforme de l’Etat.

« Nous voulons nous en prendre aux profiteurs, souligne-t-on chez John Crombez, secrétaire d’Etat à la lutte contre la fraude, pour que les personnes qui ont droit aux allocations familiales continuent à les percevoir. » Le résultat de ces visites à domicile pourra également être transmis à l’Office national de l’emploi (Onem) afin de servir la lutte contre les fraudes en matière de chômage. Le croisement des données est une des clés de voûte du vaste plan contre la fraude qui avait été adopté par le gouvernement fédéral en mai 2012 (1). Un texte de 112 pages tirant tous azimuts contre la fraude fiscale, mais aussi sociale au sens large : chômage, donc, mais aussi CPAS, allocations de maladie et invalidité, incapacité de travail, affiliations fictives au statut social d’indépendant, titres-services.. Souriez, vous êtes désormais fichés pour ne plus passer entre les mailles du filet.

Shocking ?

Oui, si l’on considère que notre société est devenue une cellule de flicage permanent, avec des grandes entreprises qui engagent des détectives privés pour filer leurs employés, un Etat qui traque les profiteurs dans tous les domaines et un nombre record de citoyens qui dénoncent les agissements fiscaux « suspects » des membres de leur entourage. Des visites domiciliaires pour scruter la présence d’enfants et leur nombre réel, cela touche sans doute à un sommet dans l’intimité des ménages.

Non, si l’on considère que l’économie souterraine représente en Belgique près de 18% du Produit intérieur brut, soit quelque 60 milliards d’euros : y mettre fin épargnerait à l’Etat fédéral une récurrente chasse aux milliards à chaque épure budgétaire (en tout, on a dû trouver quelque 20 milliards d’euros en 2013). La fraude est un sport national, reflet d’un individualisme débordant, et notre pays figure en bonne place dans les classements internationaux en la matière.

C’est dit, en période de crise, plus question de profiter indûment de droits sociaux ou d’avantages en tous genres. Mais cette vaste lutte contre la fraude est, aussi, le reflet d’un Etat-Providence en quête d’une équité perdue. Bien des citoyens multiplient les petites fraudes tant ils ont le sentiment d’être dupés par les grandes fraudes menées à coups de milliards par les puissants de ce monde. Ou parce qu’ils ne comprennent pas comment un Etat « pléthorique », c’est à tout le moins la perception, mange plus de 50% du salaire mensuel tout en multipliant les taxes.

Quand la crise frappe à la porte, c’est tout l’espace citoyen qui est remis en question. Y compris au niveau du portefeuille.

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