Dieu et nos armes

L’évidence s’est imposée bien avant que John Kerry reconnaisse sa défaite : George W. Bush a remporté le duel politique le plus acharné de l’histoire contemporaine. Et avec quel brio ! La comparaison entre deux ordres de grandeur permet d’en prendre la mesure. Il y a quatre ans,  » W  » n’avait dû sa victoire qu’aux bizarreries du système électoral américain, décrochant la majorité des grands électeurs malgré un retard d’un demi- million de voix par rapport à son rival, le vice-président Al Gore. Ce mardi 2 novembre, par contre, c’est de quelque 3,5 millions de voix qu’il a devancé son challenger démocrate John Kerry, s’adjugeant ainsi, par 51 % contre 48 %, l’incontestable légitimité populaire qui lui avait manqué à l’entame de son premier mandat.

Rien n’y aura donc fait. Ni la mobilisation exceptionnelle des électeurs, ni le médiocre bilan économique et social de l’administration républicaine, ni cette rafale de trois débats télévisés éclairants, ni, surtout, les mensonges internationaux et le désastre de l’occupation en Irak n’auront suffi à empêcher la réédition d’une présidence considérée, presque partout, comme calamiteuse. Presque partout, mais pas dans cette Amérique profonde où les élections se gagnent moins en échangeant des arguments rationnels qu’en jouant sur le registre des émotions, et en recourant sans vergogne aux  » ficelles  » de la démagogie la plus épaisse. A ce jeu-là, Bush était beaucoup mieux armé que Kerry, handicapé par ses allures presque  » européennes  » d’intello de la côte est. Là où le sénateur démocrate s’esquintait à convaincre, le président sortant souriait aux gens, s’adressait aux c£urs et travaillait les tripes. Manipulant les peurs, s’appuyant sur la Bible et jouant sur toute la gamme des sentiments, Bush a formidablement flatté les archétypes de l’Amérique traditionnelle, sûre d’être un pays d’exception, peuplé d' » élus  » auxquels échoit une mission : se montrer au monde comme un phare apte à le conduire vers une vie meilleure, où le bien triomphera nécessairement du mal. Parce qu’elle est guidée par Dieu, qui lui a donné le meilleur système politique du monde, cette Amérique-là ne peut se tromper. Elle ne doute donc pas de la pertinence de ses choix en politique internationale. Au contraire, ceux qui les remettent en question insultent la nation tout entière. C’est en créant subtilement l’amalgame entre les  » valeurs  » morales, les blessures mal cicatrisées du 11-Septembre et le sort injuste fait aux boys en Irak que George W. Bush a emporté l’adhésion de son pays, encourageant un raidissement qui va bien au-delà du patriotisme. Bien sûr, cette vision simpliste de soi et des autres est loin, très loin de faire l’unanimité, comme l’attestent les 48 % d’électeurs qui ont préféré John Kerry.

Mais c’est bien cette Amérique-là qui a élu George Bush et c’est donc à elle que nous aurons affaire durant les années à venir. Il n’y a, en effet, aucune raison de croire que le président et son équipe infléchiront spontanément leur politique, puisqu’elle vient, à leurs yeux, d’être largement plébiscitée. C’est donc avec des convictions renforcées que ces hommes d’un autre âge conduiront un pouvoir de plus en plus introverti, de moins en moins accessible au doute et finalement très peu soucieux de ce que le reste du monde pense de lui.

Un tel pays est-il encore en mesure d’assumer les responsabilités mondiales qu’il s’attribue û et que ses alliés traditionnels lui délèguent si volontiers ? Ou devient-il, au contraire, un obstacle à une évolution plus harmonieuse et plus paisible des relations internationales ? L’Europe n’échappera pas à une réflexion sur ce thème. Elle devra l’aborder avec calme et sérieux, mais en prenant conscience du fait que l’époque est peut-être révolue où il suffisait de s’en remettre à l’hyperpuissance américaine pour régler, en bon père de famille, les problèmes les plus épineux de la planète.

Jacques Gevers directeur de la Rédaction

La victoire de George Bush approfondit le fossé entre les Etats-Unis et l’Europe. Est-il encore possible de s’en remettre à la puissance américaine pour régler les problèmes épineux de la planète ?

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