Les fugues d’Annie

Evan Hunter, alias Ed McBain, dévoile par petites touches les mystères d’une New-Yorkaise aventurière. Un regard drôle et tendre

Les Mensonges de l’aube, par Evan Hunter. Trad. de l’américain par Pierre Brévignon. L’Archipel, 286 p.

Dès qu’il quitte le commissariat du 87e district, dont il tient la chronique depuis près de cinquante ans, Ed McBain change de quartier, de casquette et de nom. L’anatomiste du crime, de la pègre et autres tares urbaines devient alors le Dr Evan Hunter, de Park Avenue ou du Bronx, médecin de la Graine de violence en milieu scolaire sensible, des âmes solitaires et des Liaisons secrètes en banlieue chic. Quel que soit son pseudonyme, McBain, Hunter, Curt Cannon, Hunt Collins, Ezra Hannon ou Richard Marsten, c’est un romancier magistral, que le cinéma plus encore que ses livres a rendu riche et célèbre : Kurosawa, Chabrol, Audiard, Richard Brooks ou Philippe Labro l’ont adapté et Hitchcock fit de lui, pour Les Oiseaux, le premier scénariste ornithologue de l’histoire du cinéma. A 78 ans, le signor Salvatore Lombino (son véritable patronyme) ne donne toujours pas de signes de fatigue. Dans son nouveau roman, sans assassinat mais non sans suspense, il apparaît tel que nous l’aimons : rapide, drôle, disert, généreux et tendre.

Les Mensonges de l’aube rongent une famille juive de New York, à l’angle de West End et de la 81e, les Gulliver. Il y a des noms prédestinés : chez eux, on voyage donc beaucoup. La mère, ancienne actrice de Broadway, toujours entre Tokyo et Copenhague, et surtout Annie, la s£ur jumelle d’Andy le narrateur. Créatrice de bijoux érotiques, très yoga, piercing, hypnose et tatouage, Annie n’a qu’un défaut : elle disparaît. Hongkong, Berlin, Colombo, Palerme n’ont plus de secrets pour sa libido. La menteuse, c’est elle. Son passeport pour le vaste monde : l’affabulation, qu’elle pratique en virtuose. Elle piège à ses sortilèges sexy des messieurs de passage. Cela peut se révéler dangereux : ne s’est-elle pas évaporée une fois de trop ? Mythomane, schizophrène, ou simplement éprise de liberté, un vrai beau personnage de roman, miroitant, mystérieux. L’auteur nous le fait découvrir par petites touches, sous toutes ses facettes, pas toujours les plus reluisantes. Sa vérité sur Annie, singulièrement multiple. Et attachante. Avant d’être définitivement écarté par maître Alfred, Hunter avait commencé à écrire le scénario de Marnie. Il subsiste dans Les Mensonges de l’aube, portrait d’une névrosée, des traces de ce travail ancien. Pas de printemps, pour Annieà

Michel Grisolia

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire