A la veille de prononcer ses voeux, une novice s’ouvre au monde dans la Pologne de l’orée des années 60. Dans un sublime noir et blanc, un film touché par la grâce.

DRAME DE PAWEL PAWLIKOWSKI. AVEC AGATA TRZEBUCHOWSKA, AGATA KULESZA, DAWID OGRODNIK. 1 H 20.

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 » J’éprouve une grande nostalgie pour le début des années 60, dont je me rappelle à travers le prisme de l’enfance. J’en chéris le souvenir, qu’il s’agisse de la musique ou des paysages, et je m’étais toujours dit que si je retournais un jour en Pologne, je reviendrais sur cette période.  » C’est peu dire que Pawel Pawlikowski a été bien inspiré, lui qui, renouant avec ses racines après avoir inscrit ses films dans le paysage anglais (Last Resort, My Summer of Love), puis parisien (La Femme du Ve, parenthèse borgésienne adaptée de Douglas Kennedy), signait avec Ida l’une des divines surprises de l’année écoulée. Un film de toute beauté, sondant le passé comme pour mieux atteindre à quelque chose d’intemporel.

Touché par la grâce

Drame intimiste habillant d’un superbe noir et blanc les années de plomb, ce récit à deux voix débute lorsque, à la veille de prononcer ses voeux, Anna (Agata Trzebuchowska, lumineuse révélation), une jeune orpheline, est invitée par la Mère supérieure du couvent l’ayant recueillie à rendre visite à une tante dont elle ignorait jusqu’à l’existence. La rencontre avec Wanda (Aga Kulesza, une présence superbe et tragique à la fois), une juge revenue du communisme doublée d’une excentrique à la vie passablement agitée, va produire des étincelles. Leurs échanges auront le don de les révéler l’une et l’autre, en effet, tout en entrouvrant les portes d’un passé familial soigneusement enfoui dans les replis de l’Histoire polonaise contemporaine.

L’expression touché par la grâce est trop souvent galvaudée. Elle s’applique pourtant on ne peut mieux au film de Pawel Pawlikowski, qui trouve dans ce voyage dans le temps matière à une oeuvre d’une remarquable densité, fusionnant richesse humaine et mémoire critique. S’il questionne avec acuité l’Histoire, religieuse ou politique, le réalisateur n’y sacrifie pas pour autant ses personnages, dont la relation, complexe, est le coeur même d’un film aux nuances subtiles – jusqu’à son apparente froideur qui dévoile pourtant une étonnante sensualité. Ida opère ainsi en finesse comme en profondeur, oeuvre foisonnante, en dépit d’une sobriété confinant à la sécheresse ; un sentiment renforcé par son cadre 4: 3 qui, combiné à l’absence de mouvements de caméra, ramène les choses à l’essentiel. Le réalisateur expliquait, du reste, avoir voulu  » suggérer le plus en montrant le moins possible. Ne pas avoir de couleur, de bruit ou de mouvement participait de ce désir. C’était aussi une façon de m’échapper du monde et du cinéma d’aujourd’hui, saturés de bruit, de mouvement et d’informations, là où Ida n’en donne que fort peu.  » De fait, le film libère pour sa part quelque chose touchant à l’essentiel, en même temps qu’une pure et troublante émotion. Discrètement magistral.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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