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Le Messi vietnamien

Premier joueur vietnamien à atterrir dans le championnat belge, Nguye?n Công Phuong est le porte-drapeau d’une nation dont le rêve d’enfin participer à une Coupe du monde semble de plus en plus proche d’une réalité.

L’avenue Nguyen Hue n’a jamais connu ça. Baptisée en l’honneur de cet empereur unificateur du Vietnam au XVIIIe siècle, sa surface piétonne est principalement foulée par quelques centaines de touristes. Depuis plusieurs mois, l’artère la plus célèbre du 1er arrondissement de l’immense Ho Chi Minh City est pourtant le point de rassemblement régulier de milliers de Vietnamiens, unis derrière leur équipe nationale de football.

Troisièmes des Jeux asiatiques en septembre 2018, vainqueurs du Championnat des Nations de l’Asie du Sud-Est en novembre suivant et surtout quart de finaliste surprise de la dernière Coupe d’Asie, les Golden Dragons sont en feu. Le dénominateur commun de ces prestations s’appelle Nguyen Công Phuong

Buteur à sept reprises sur les trois compétitions, il contribue à enfiévrer une rue Nguyen Hue rouge de monde et de dizaines d’écrans géants.  » C’est un peu comme quand la France gagne la Coupe du monde et que tout le pays oublie ses problèmes pendant une nuit entière « , analyse Guillaume Graechen.

Directeur de l’Académie Jean-Marc Guillou (JMG Academy) de Pleiku depuis dix ans, cet ancien joueur de Sedan fut un des témoins privilégiés de l’épanouissement de Công Phuong.

Élève de la JMG Academy

Surnommé le Messi vietnamien pour ses mensurations et suite à un but inscrit en solo contre les U19 australiens en 2014, Nguyen Công Phuong est le cinquième d’une fratrie de six enfants. Il commence le football dans son quartier pauvre de My Son, au centre du Vietnam, en regardant son frère Cong Khoa frapper dans une balle de paille.

Contraint de s’adapter au niveau de son aîné de deux ans, Công Phuong progresse vite. Puis vit le drame de perdre son modèle, qui se noie en 2004. Un drame qui rapproche encore plus Công Phuong du sport-roi. Deux ans plus tard, il passe un test à Sông Lam Nghe An où il est recalé. 40 kilos, c’est trop léger. Sauf pour la JMG Academy, où il débarque un rien plus tard.

 » Généralement, on teste les candidats à pieds nus « , lance Graechen.  » Mais pour une raison que mon interprète de l’époque ne m’a pas traduite, Công Phuong n’a pas voulu enlever ses chaussettes. Je l’ai laissé faire et après une minute, il m’avait déjà convaincu. Les dribbles qu’il fait aujourd’hui, il les produisait déjà à ce moment-là.  »

À ses débuts, le jeune homme court beaucoup et s’éparpille trop sur le terrain. Mais une fois la barrière tactique dépassée, il peut encore mieux vivre son football d’instinct, prendre des risques et garder son insouciance. Travailleur, respectueux et attachant, Nguyen Công Phuong casse la baraque dès ses débuts en V-League, à 19 ans, en claquant un doublé pour la victoire d’HAGL, le club lié à la JMG Academy.

À l’issue de cette même année 2015, il est élu meilleur jeune joueur vietnamien. Il ignore alors que la V-League s’apprête à entrer dans une période de disgrâce.

Un championnat qui sent mauvais

Près de 5 ans plus tard, au centre du Xe arrondissement de Ho Chi Minh, le Stade Thông Nhât sert une mauvaise grenadine. Sous la pluie, le derby entre Ho Chi Minh City FC et Saïgon FC n’a aucune saveur. Au milieu des gradins, un petit vendeur a bien du mal à se débarrasser de ses sachets de cacahuètes et d’oeufs de caille. Dans son dos, un homme apparaît d’une porte vissée dans les travées avec un énorme drapeau en main. Il quitte tout simplement sa maison, installée dans le stade, pour rejoindre une poignée  » d’ultras  » qui peine à emballer les quelques centaines de spectateurs présents.

Cela fait belle lurette que le championnat vietnamien ne passionne plus grand monde et il est très facile de comprendre pourquoi…  » Pêle-mêle, le gouvernement laisse une faible marge de manoeuvre vu qu’il possède toutes les infrastructures et 13 des 14 équipes de D1. D’autre part, une enquête policière s’intéresse toujours à 150 matches prétendument arrangés.

Deux dizaines d’arbitres ont également été suspendus entre 2016 et 2018 et plusieurs stars de D1 ont été arrêtées et convaincues de corruption active », regrette, un café glacé à la main, Duom Vu Lam, team manager de l’équipe nationale.

En championnat, les petits vietnamiens sont désormais écrasés par des joueurs étrangers aux énormes gabarits, transférés à l’emporte-pièce pour améliorer le niveau général. Sans succès. Bref, un beau bordel qui accentue la stratégie de la Fédération de tout miser sur la formation des jeunes et sur ses équipes nationales.

OL et Ryan Giggs

C’est au milieu des années 2000 que les projets de formation se matérialisent par la création des premières académies.  » Arsenal a eu une association de dix ans avec le club de Hoàng Anh Gia Lai, mais elle s’est surtout limitée à l’utilisation du logo des Gunners « , illustre Guillaume Graechen.

Adolescent, Nguyen profite notamment de cette vitrine pour faire partie d’une délégation de l’Académie invitée à Arsenal pour s’entraîner avec les U17 du club.  » Le Vietnam a déjà eu quelques bons numéros 10, mais ils n’ont jamais brillé à l’étranger « , glisse le directeur français.

 » Je pense que Công Phuong peut être celui-là. Il constitue vraiment le modèle de réussite et peut servir d’exemple pour le développement du foot au pays.  » Après Arsenal, la Juventus de Turin a ouvert son école de jeunes fin 2018, marchant ainsi sur les traces de l’Olympique Lyonnais, qui travaille sur la préformation de gamins de 13 à 15 ans en partenariat avec le club d’Ho Chi Minh City FC.

Surtout, fin 2017, une des quatre principales académies du pays, la Promotion Fund of Vietnamese Football Talents FC (PVF), est parvenue à séduire Ryan Giggs. L’ancien ailier de ManU a endossé le rôle de directeur technique l’espace de quelques mois, avant de répondre aux sirènes envoûtantes du poste de sélectionneur de son Pays de Galles.

Qu’à cela ne tienne, en associant un grand nom du football mondial à sa formation, le Vietnam a prouvé qu’il n’était dénué ni d’ambition ni de qualité.

Aventures en Corée et au Japon

La température du bus est insoutenable, mais les gamins respectent les consignes. Un à un, ils se comptent – en français – dans l’ordre des numéros de leur maillot. Ils font partie de la JMG Academy d’Ho Chi Minh City et sont en route pour leur entraînement matinal dans la banlieue.

 » Nous avons 23 joueurs de 13-15 ans sous notre aile « , lance Franck Durix, le responsable, lyonnais d’origine.  » C’est une académie d’élite : on trie puis on choisit les meilleurs. Lors du dernier test, on a vu 400 joueurs mais on n’a pris qu’un gardien.  »

Le Vietnam n’attend plus les perles rares, il les façonne. Les récents résultats – comme la participation des U20 au Mondial – vont dans le bon sens, il faut donc enclencher la vitesse supérieure pour se maintenir à niveau.

 » Les Vietnamiens peuvent se baser sur une agressivité naturelle et une facilité d’expression : ils laissent parler leurs émotions. Ce sont des éléments importants pour avancer « , soutient Philippe Troussier, le successeur de Ryan Giggs à la tête de l’académie PVF. Reste un problème de taille : où placer ces joueurs une fois en âge d’intégrer une équipe première ?

Pas en V-League, assurément. Nguyen l’a bien compris. Pour passer un cap, celui qui incarne la réussite de la formation vietnamienne doit évoluer à l’étranger. Alors il tente d’abord l’aventure en D2 japonaise, en 2016, puis à Incheon United, en Corée du Sud, la saison dernière.

Objectif 2026

Sur place, le coach qui l’a fait venir est viré après 4-5 matchs et son remplaçant l’écarte d’abord du terrain puis de la feuille de match. Le prêt s’arrête après six mois alors qu’il était prévu pour un an.

 » Cet été, Công Phuong devait aller à Clermont, en Ligue 2 « , confie Graechen.  » Tout était réglé, puis le président d’HAGL s’est rétracté, il voulait uniquement le prêter et Saint-Trond a sauté sur la balle. La V-League équivaut au National en France, donc la Pro League va bien lui convenir avec ses bonnes infrastructures et son suivi. Attention toutefois : si son équipe produit du jeu long, ça peut le faire disparaître. Mais je pense qu’il est suffisamment armé pour s’adapter.  » Saint-Trond lui offre donc une chance unique de franchir un palier et de faire rayonner tout le travail réalisé au pays.

La gestion de la carrière de Công Phuong s’inscrit dans le programme de développement du foot vietnamien pour servir une ambition unanimement annoncée : décrocher une des 48 places en jeu pour le Mondial 2026.  » Le pays se sent pousser des ailes, j’observe un réel dynamisme pour cet objectif « , assure Philippe Troussier.

 » La marche est peut-être encore trop haute pour 2022, mais le challenge sera de toute façon hard.  » Actuellement N°1 en Asie du Sud-Est, le Vietnam va devoir batailler jusqu’au bout avec la Malaisie, la Birmanie et surtout la Thaïlande.

 » Le Vietnam doit fixer et assumer sa philosophie de jeu « , résume Guillaume Graechen.  » Il faut que la manière de travailler dans les académies coïncide avec ce qui est demandé en équipe première.  »

Avec Công Phuong comme figure de proue ?  » Au-delà de l’aspect foot, il a le comportement adéquat : respectueux, respectable et avec beaucoup de valeurs. Nguyen est adulé au Vietnam, il ne peut pas y faire deux mètres sans recevoir une casquette sur la tête ou se retrouver maquillé par des fans. Il est capable de convaincre son petit monde en Europe aussi.  » Pour que l’artère Nguyen Huê rougisse à nouveau de plaisir…

Le Vietnam vise le Mondial 2026 et Nguyen Công Phuong doit être un pion important de l'équipe.
Le Vietnam vise le Mondial 2026 et Nguyen Công Phuong doit être un pion important de l’équipe.© BELGAIMAGE

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