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Enfin l’heure des femmes aux postes clés européens ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Et si des femmes se retrouvaient à la tête de l’Union ? Ce serait une grande première. Et un geste fort. On en compte trois parmi les noms les plus cités pour la présidence de la Commission et celle du Conseil.

Que peut-on attendre des tractations actuelles en vue de pourvoir les EU top jobs, les plus hauts postes de l’Union ? Les dirigeants européens se sont donné jusqu’au sommet des 21 et 22 juin pour finaliser ce mercato. D’ici là, Donald Tusk, président du Conseil, se concerte avec le Parlement européen, qui a son mot à dire dans la négociation. Objectif : éviter un bras de fer institutionnel. Sont remises en jeu la présidence de la Commission, poste le plus convoité, les présidences du Conseil et du Parlement, et la fonction de chef de la diplomatie européenne. Le remplacement de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne fera partie d’un second train de nominations.

Le poste de président de la Commission européenne – le mandat de Jean-Claude Juncker s’achève le 31 octobre prochain – fera donc partie d’un  » paquet  » qui inclut trois autres fonctions à pourvoir. Ces nominations devront autant que possible respecter les équilibres politiques (socialistes et libéraux ne laisseront plus les conservateurs du PPE rafler les trois postes clés du triangle institutionnel Commission-Conseil-Parlement), géographiques (Est-Ouest), numériques (les petits pays ne veulent pas être oubliés) et de genre (Donald Tusk souhaite qu’au moins deux femmes soient désignées parmi les quatre nominés). Au soir du 26 mai, le PPE et les socialistes ont perdu la majorité absolue au sein de l’hémicycle européen. Ils devront faire alliance avec un, voire deux autres groupes politiques proeuropéens – les libéraux-centristes et les Verts – et partager ainsi avec eux les postes de pouvoir.

Margrethe Vestager bien placée

En tant que premier groupe parlementaire, le PPE réclame le fauteuil de président de la Commission pour Manfred Weber, sa tête de liste aux européennes. Mais son profil ultraconservateur – il est membre de la CSU, l’aile bavaroise du parti d’Angela Merkel – n’en fait pas un candidat idéal aux yeux des socialistes, des libéraux-centristes et des Verts. Plusieurs Etats membres sont réticents. Emmanuel Macron anime la résistance européenne contre le Bavarois : le président français ne rate pas une occasion de rappeler que l’eurodéputé PPE n’a jamais exercé de fonction ministérielle et ne parle pas un mot de français. Quasi inconnu, il n’aurait pas l’expérience suffisante pour le poste. Le 28 mai dernier, Angela Merkel a réaffirmé devant ses homologues européens son soutien à son compatriote, mais elle ne ferme pas la porte à une solution de compromis. Le nom qui sera proposé à l’approbation des nouveaux élus européens doit avoir recueilli la majorité qualifiée au Conseil, soit le soutien de 16 Etats membres représentant au moins 65 % de la population européenne.

Donald Tusk veut au moins deux femmes aux postes clés de l’Union.

Le candidat officiel des socialistes, le Néerlandais Frans Timmermans, actuel n°2 de la Commission, soutenu par les Premiers ministres ibériques Pedro Sanchez et Antonio Costa, ne fait pas non plus l’unanimité, y compris au sein de son propre camp, où certains le considèrent comme trop  » droitier « . En outre, il s’est mis à dos des pays d’Europe de l’Est sur la question de l’Etat de droit. La libérale danoise Margrethe Vestager, populaire commissaire européenne à la Concurrence, apparaît comme une candidate plus consensuelle. Sa pugnacité face aux abus des multinationales a fait d’elle la star de l’équipe Juncker. Membre du même groupe européen que les élus macronistes, celle qui aurait inspiré le personnage de Birgitte Nyborg dans la série Borgen ne cache pas sa volonté de devenir la première femme président de la Commission.  » Elle fait figure de favorite, convient un haut fonctionnaire européen. Mais Michel Barnier, le négociateur européen du Brexit, soutenu lui aussi par Macron, pourrait être le « plan B » du PPE. Quand tous les noms qui figurent dans le chapeau sont rejetés, d’autres sont proposés.  »

Dalia ou Angela ?

Pour que Berlin renonce à revendiquer la présidence de la Commission, certains avancent l’idée de proposer aux Allemands la présidence du Conseil. Selon ce scénario, évoqué en coulisse par des sources diplomatiques, les Pays-Bas et d’autres Etats membres solliciteraient Angela Merkel, chancelière sur le départ. Dans un deuxième temps, sa candidature à la présidence du Conseil serait soutenue par Paris. Avantage pour l’Union européenne : elle aurait à sa tête, pour quelques années, une voix forte habituée à parler d’égal à égal avec les Donald Trump, Vladimir Poutine et autres leaders de grandes puissances. La fameuse boutade qu’aurait lancé Henry Kissinger en 1970,  » L’Europe, quel numéro de téléphone ? « , serait enfin périmée. En décembre dernier, après dix-huit ans de règne sans partage, Angela Merkel a cédé la présidence d’un parti chrétien-démocrate allemand affaibli à Annegret Kramp-Karrenbauer. Mutti (la mère) entendait se retirer de la vie politique en 2021, au terme de son dernier mandat de chancelière. La présidence du Conseil européen lui permettrait de quitter la scène politique nationale par la grande porte. Reste à voir si le job, qui consiste à préparer et présider des réunions et à faciliter la cohésion et le consensus, l’intéresse.

 » Surtout, il n’est pas sûr que les dirigeants européens souhaitent placer à la tête de l’Union un grand format qui pourrait leur faire de l’ombre et bénéficier d’une forte médiatisation « , remarque l’une de nos sources. Jusqu’ici, les chefs d’Etat et de gouvernement ont choisi comme président permanent du Conseil des personnalités discrètes : l’austère social-chrétien flamand Herman Van Rompuy, surnommé  » Mister Nobody  » par ses détracteurs, puis le Polonais Donald Tusk, réputé pragmatique et souple.

L’exercice de la fonction n’a pas été totalement défini, ce qui laisse une certaine marge de manoeuvre à son titulaire. Toutefois, le président du Conseil est avant tout un conciliateur, un artisan de compromis et non le  » président de l’Europe  » dont rêvent les fédéralistes européens. Dès lors, une autre femme chef d’Etat pourrait obtenir de nombreux soutiens : la présidente de Lituanie Dalia Grybauskait?, ex-commissaire européenne, économiste formée à Leningrad, Moscou et Washington. Elle ne manque pas d’atouts : c’est une femme (équilibre de genre au sommet de l’UE) ; elle est issue d’un petit pays de l’Union situé à l’Est (équilibre géographique) ; elle a été diplomate aux Etats-Unis, elle parle russe (comme Angela Merkel), polonais, anglais et français ; elle est auréolée par sa fermeté à l’égard de la Russie lors de la crise ukrainienne de 2014 ; c’est une figure politique indépendante, soutenue dans son pays par les formations de centre-droit.

Une femme présidente de la Commission et une autre présidente du Conseil, voilà une double première qui marquerait les esprits !

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