Waterloo, mornes planches

Bicentenaire oblige, les éditeurs de BD sortent ou ressortent tout ce qu’ils ont sur la bataille et sous la main. Petite revue des troupes, rigoureuses à défaut d’être originales.

Un oeil dans les librairies suffit pour s’en rendre compte : le bicentenaire de la bataille de Waterloo est aussi le théâtre d’une autre, de bataille, cette fois entre éditeurs ; pas un, y compris en bande dessinée, ne manque à l’appel pour célébrer l’événement. Rien de répréhensible – les célébrations autour des Première et Seconde Guerres mondiales ont elles aussi été récemment l’occasion d’une déferlante de sorties BD – sauf que cette charge napoléonienne brille cette fois par son effarante homogénéité : tous ces albums se ressemblent !

Graphiquement, pas de fantaisie ni d’expressionnisme au programme de ce travail à la fois marketing et de mémoire, mais une approche entre BD scolaire et récits réalistes, tels qu’on pouvait déjà en lire, il y a plus d’un demi-siècle, dans Les Belles histoires de l’oncle Paul. Attention, aussi, à ne pas se tromper : si la plupart sortent ou ressortent des albums entièrement consacrés à l’ultime bataille de Napoléon, d’autres surfent sur la plaine et l’actualité pour rhabiller de neuf des BD qui n’ont de Waterloo que l’apparence.

Ainsi, la pourtant remarquable LaBataille, rééditée chez Dupuis en version intégrale : l’adaptation du roman éponyme de Patrick Rambaud, prix Goncourt 1997 (laquelle avait d’ailleurs reçu le prestigieux prix Historia de la meilleure BD historique au moment de sa sortie) s’accompagne cette fois, comme beaucoup pour ne pas dire tous, d’un dossier inédit de quelques pages, consacrées aux combats du 18 juin 1815… cependant à peine évoqués dans le roman et la bande dessinée qui en est tirée, puisque La Bataille fait référence à celle d’Essling, qui eut lieu six ans plus tôt du côté de Vienne. Même écueil pour le Napoléon, prévu en trois tomes dans la collection  » Ils ont fait l’Histoire  » menée à la fois par Glénat et Fayard : si le premier tome est déjà disponible, Waterloo ne sera traité que dans les albums suivants, et pas encore édités. D’ici là, que les accros se rassurent, il y en a d’autres. Passage en revue.

L’OFFICIELLE

Waterloo, la BD officielle 0du bicentenaire, par Mor, Bonneyrat et Courcelle (Sandawe)

La bataille, toute la bataille, et rien que la bataille, mais vue à travers différents regards, de manière quasiment exhaustive : le 18 juin 1815 d’un grognard, d’une cantinière, d’un tambour prussien, d’un soldat anglais, de l’empereur, du prince d’Orange… Si le terme  » officiel  » fait chic et vendeur, il s’explique par l’origine de la maison d’édition – Sandawe, basée à Lasne – et par la supervision de la chose par Patrick Courcelle, expert, Waterlootois et proche de l’asbl qui organise la reconstitution sur place. Détail amusant et encore une fois marketing, ce Waterloo officiel est aussi produit en quatre langues et avec deux couvertures : l’une en français avec Napoléon, les autres, dans la langue des alliés, avec Wellington. Les détails historiques y sont donc très respectés, plus que le lecteur : si l’ensemble est rigoureux, il reste quand même une torture pour les yeux.

LA PLUS CLASSIQUE

Napoléon, par Liliane et Fred Funcken et Yves Duval (Le Lombard)

Dans le genre docu-fiction historique crédible mais un peu rêche, Le Lombard réédite ce qu’il y a sans doute de  » mieux  » dans le genre, à savoir deux albums, réunis en un, réalisés par les époux Funcken, auteurs et dessinateurs de multiples récits très old school pour le journal Tintin, depuis les années 1950. En 1993, aidés d’Yves Duval, scénariste lui aussi tout terrain mais surtout didactico-historique, Fred et Liliane donnaient corps à La chute de l’aigle, album revenant sur la dernière bataille de Napoléon, vue au plus près de l’empereur. Cette réédition s’accompagne du Sultan de feu, qui revient, elle, sur la campagne d’Egypte, et de 18 courts récits, tous consacrés à l’Empire, et réalisés pendant l’âge d’or de leurs auteurs, quarante ans plus tôt, quand la manière paraissait moins anachronique. Et si leur(s) fiction(s) prennent parfois beaucoup de libertés avec la réalité historique, les uniformes et les armes restent d’une redoutable précision : c’était là l’autre passion des Funcken.

LA PLUS BONAPARTISTE

Waterloo, le chant du départ, par Falba, Regnault et Geminiani (Glénat)

Une bataille. Une défaite. La fin de l’Empire. Et un portrait quasiment à décharge de Bonaparte dans ce one shot franco-italien, plus moderne que les autres, mais tout à la gloire du Petit Caporal. Conçu en flash-back – le 19 juin, au lendemain de la bataille, le chirurgien de Napoléon est sauvé du peloton par le feld-maréchal Blücher qui préfère l’inviter à déjeuner pour se remémorer la bataille de la veille – ce Chant du départ retient surtout le panache de l’Armée du Nord, certes vaincue. Un dossier de 15 pages rédigé par Jean Tulard, historien français spécialiste de la question, complète ce portrait de la bataille et s’affirme comme l’un des plus complets et intéressants sur le sujet, même si le tout est façonné pour le marché français encore plus que francophone.

LA PLUS SCOLAIRE

Napoléon Bonaparte (4/4), par J. Torton, P. Davoz

et J. Martin (Casterman)

Autre  » référence aux yeux des spécialistes  » à défaut de ceux de ses lecteurs, ce Napoléon Bonaparte édité chez Casterman et adoubé par Jacques Martin himself se décline en quatre tomes, s’achevant logiquement sur la fameuse bataille et l’ultime exil qui suivra. Forcément très documenté, ce Napoléon-là privilégie également les anecdotes historiques à une trame narrative digne de ce nom, alignant de case en case les expressions faciales photoshopées et les détails plus cocasses que marquants de l’Histoire – le vrai-faux  » Merde  » de Cambronne, l’héroïsme du maréchal Ney, la rencontre entre Napoléon et le jeune Alexandre Dumas – donnant corps à un objet étrange, plus cours d’histoire que BD. Une sorte de  » Napoléon pour les nuls  » sans doute complet et sans fausses notes historiques, mais qu’on aura tout de même beaucoup de mal à qualifier de 9e art.

Par Olivier Van Vaerenbergh

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire