Extase sous surveillance

Les drogues sont une réalité très concrète dans les grandes manifestations festives. Au lieu de l’interdiction pure et simple, l’ASBL Modus Vivendi prône la réduction des risques. Sur le terrain

Chaque été, les festivals rock refleurissent. Et avec eux – pourquoi le nier ? – la consommation de drogues : du cannabis, relativement inoffensif, à l’ecstasy ou à la cocaïne, nettement plus dangereuses.

Depuis le Festival de Dour de 1997, la tente rouge de l’ASBL Modus Vivendi (MV), subsidiée par la Communauté française, se dresse sur les sites de différents festivals. On y distribue des brochures informatives sur les produits les plus usuels, on y réalise des enquêtes sur la consommation et on y discute,  » sans jugement de valeur « . Plutôt que d’adopter une attitude prohibitionniste, qu’elle juge stérile, MV préfère s’adapter à la réalité en entrant en contact avec les consommateurs dans une optique qui vise à réduire les risques auxquels ils s’exposent.  » Ces contacts ne doivent pas avoir pour but d’encourager ou de décourager la consommation, souligne le Dr Fabienne Hariga, directrice de MV. Cela est fondamental pour obtenir la confiance des jeunes.  » Cette attitude engendre deux réactions différentes chez les organisateurs de festivals : soit ils craignent une mauvaise image due au fait d’être associés à un endroit de  » défonce « , soit ils se targuent de penser la problématique en termes de prévention. Quoi qu’il en soit, pour Muriel, éducatrice à MV, le but est clair :  » Etre présent, à l’avenir, sur le plus grand nombre de lieux de consommation.  »

Le jour et la nuit, au milieu des champs habituellement paisibles, les basses assourdissantes d’un DJ qui trône sur scène résonnent au loin. Sous les stromboscopes hypnotisants, une foule, hétérogène et en délire, hurle frénétiquement. Le beat est puissant et le rythme cardiaque s’affole : transe en danse. La chaleur monte et le chapiteau, zébré bleu et blanc, explose lorsque retentit un sample familier aux oreilles des aficionados nocturnes. Dans les coins sombres du chapiteau, de petites pilules blanches, prometteuses d’extase, s’échangent discrètement contre quelques euros. La plupart des participants ne fermeront pas les yeux avant l’aube.

Trop permissif ?

Entre les différentes scènes et le camping, la dizaine de jobistes de MV se promènent, à la recherche de personnes en bad trip (mauvaise descente), tentant de les rassurer et de donner, selon leur expérience personnelle, des conseils de réduction des risques. Ces jobistes, eux-mêmes usagers de substances prohibées, se veulent  » partenaires de prévention « .  » Cela permet de vérifier si nos objectifs sont conformes à la réalité « , explique le Dr Hariga. A qui veut, ils délivrent un message sur des petits cartons de couleur :  » Hydratez-vous, buvez de l’H2O ! « … La chaleur étouffante exige des consommateurs d’ecstasy qu’ils boivent énormément.  » De l’eau et pas d’alcool car, comme tout le monde devrait le savoir, l’alcool déshydrate « , rappelle Joël, psychologue de MV. Aude, jeune festivalière, voit cela d’un £il serein :  » Je trouve ça chouette. Et puis, même si on ne prend rien, ce n’est pas dérangeant de recevoir des conseils.  » A l’écart de la cohue, la relax zone, une grande tente kaki garnie de lits militaires, accueille ceux pour qui  » la pilule ne passerait pas  » ou ceux qui ressentent simplement un peu de fatigue.  » L’an dernier, à Dour, un jeune homme y a été sauvé d’un arrêt respiratoire, in extremis « , raconte Muriel, argumentant sur l’efficacité du projet.

Pourtant, on reproche parfois à MV d’être trop permissif, de banaliser l’usage des drogues ou même d’inciter à la consommation. Le Dr Hariga riposte, habituée à cette objection :  » De toute façon, si nous n’étions pas là, le jeune consommerait quand même. Alors, autant l’entourer plutôt que de ne rien faire.  » Voilà, en quelques mots, comment se résume l’attitude pragmatique de Modus Vivendi. L’ASBL, qui revendique une position équilibrée entre l’interdiction hypocrite et l’anarchie intégrale, rappelle que les politiques purement prohibitionnistes ne sont jamais parvenues à empêcher la consommation de drogues ni à tenir les usagers à l’écart des risques qui peuvent en résulter.

Benoît Dupont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire