L’autre grippe aviaire

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Le virus des matchs truqués au profit d’une mafia de parieurs a infecté gravement le foot belge. En attendant les inculpations, les clubs ont commencé à faire la lessive

On parle d’une liste de 50 noms : cette fois, le scandale, jusque-là souterrain, d’un réseau de corruption à grande échelle de joueurs, entraîneurs et même d’arbitres, organisé au sommet du foot belge par  » le Chinois  » Zehyun Ye, éclate au grand jour. Si réseau mafieux il y a, il porte soudain les visages de joueurs et entraîneurs licenciés par leurs clubs ( lire en p. 26).

Déjà au plus bas sportivement avec la non-participation, historique, des Diables rouges à la Coupe du monde 2006 (Allemagne) et ridiculement faible en Ligue des champions par la faute d’Anderlecht et, dans une moindre mesure, du FC Bruges, notre sport roi chute méchamment de son trône. Car le virus détecté par des journalistes flamands, dont Jan Hauspie de Voetbal Magazine, principal inspirateur du déjà historique Panorama, le reportage de la VRT sur l e tackle de la mafia, ne révèle pas une petite grippe mais une maladie grave et honteuse.

 » Je pense que les joueurs punis ne sont que des « crevettes » par rapport aux « gros poissons » qu’il reste à démasquer.  » Utilisant prudemment un langage maritime, Herman Van Holsbeeck, le manager d’Anderlecht (et ancien du Lierse) sait que le milieu est infesté de requins, dont les plus redoutables se nommeraient Zehyun Ye et Pietro Allatta. Ils sont soupçonnés d’avoir corrompu des joueurs pour qu’ils favorisent par de mauvaises prestations des scores sur lesquels des sommes faramineuses étaient misées.

Neutraliser la saison

Menaces de mort, intimidations, parties fines, etc. : la presse a révélé des pratiques que la justice tente, minutieusement, de mettre au jour. Le séisme qui secoue le football belge n’est pas sans rappeler les affres qu’a connues et que s’efforce de ne plus connaître le cyclisme. La gangrène se nomme corruption là où le vélo déraillait dans le dopage.

Il est frappant de constater que, toutes proportions gardées, le même scénario médiatico-judiciaire se reproduit. 1. Tout le monde est au courant de rumeurs de tricherie mais tout le monde se tait 2. Des journalistes révèlent des tabous et les acteurs sportifs, parfois appuyés par une partie du public, crient leur innocence 3. La justice se met en branle 4. Des avocats viennent au secours des athlètes, en invoquant des vices de procédure ou des atteintes à l’image.

 » Je limoge mes joueurs le vendredi. Le dimanche soir, sur le plateau de télévision d’une chaîne flamande, je me trouve face à l’avocat de ces joueurs. Ces derniers ne sont déjà plus coupables mais victimes « , soupire Herman Van Holsbeeck.

On ne compte plus, en effet, la liste des joueurs, entraîneurs, dirigeants et… avocats dont les noms ont été cités dans le cadre du reportage de Panorama et dans la presse par la suite. La plupart ont déposé plainte pour calomnie. Malaise. Car, dans leur enquête choc, les investigateurs de la VRT ont ouvertement reconnu les limites  » journalistiques  » de leur démarche :  » Nous n’avons pas donné la parole aux personnes incriminées, sachant pertinemment bien qu’elles refuseraient de nous parler, ou mieux, de ne pas nous dire la vérité…  » Déontologiquement limite, c’est vrai. Et même si la justice enquêtait depuis de longues semaines sur les louches pratiques permettant de truquer des dizaines de matchs, il faut reconnaître que l’ouragan médiatique et l’action répressive de la machine judiciaire ont été déclenchés par le travail imparfait, certes, mais le boulot tout de même de journalistes audacieux.

Les matchs vendus -17 dit-on – ont eu lieu la saison dernière mais également lors du championnat en cours. Quelle crédibilité encore donner au classement à l’issue de celui-ci ? Le député Alain Courtois (MR), ancien secrétaire général de l’Union belge, a déjà avancé l’idée d’une neutralisation de la saison (pas de descendants cette année). Une association de supporters flouée du Lierse exige des dommages et intérêts pour préjudice subi. En réalité, en l’absence de jurisprudence en la matière, bien malin qui peut dire comment le football belge se sortira de la plus grande crise qu’il ait jamais connue.

Pour les 200 000 affiliés des clubs et les centaines de milliers de jeunes et bénévoles vivant au rythme du ballon rond dix mois par an, il serait vraiment salutaire d’  » aller jusqu’au bout « .

L’on espère dans le contexte que la frilosité de l’Union Belge, pour ne pas écrire la naïveté de ses dirigeants, ne retardera pas l’avènement de l’an I de l’ère post-Ye. La réduction du nombre de clubs au sein de l’élite, l’attribution sur des critères stricts des licences aux seuls clubs réellement sains, un grand nettoyage dans la corporation des  » managers « , l’impérieuse utilité d’améliorer la formation des dirigeants de demain, la réforme des structures de l’Union belge (déjà en marche avec le plan Vandenstock- Preud’homme) : ce sont de premiers remèdes antivirus qui fondent l’espoir de voir notre football renaître plus propre de ses cendres.

L’exemple du cyclisme incite même à l’optimisme. Plus le peloton présentait un taux d’hématocrite élevé, plus le public s’amassait le long des routes pour vibrer aux coups de pédales de ses héros, dopés ou non… Seul bémol, peut-être, pour assister à une parodie de kermesse, les amateurs de la petite reine ne doivent pas débourser 10,15 ou 50 euros comme c’est le cas au foot. Il faut voir la réalité en face : en plus d’avoir été trompés, les spectateurs, en Belgique, ont été volés et les supporters, dupés.

Alexandre Charlier

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