Infrabel, architecte animalier

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’opérateur ferroviaire ne s’intéresse pas qu’à l’infrastructure de transport et à la ponctualité des trains. En forêt de Soignes, il se soucie aussi de chevreuils, de sangliers et de chauves-souris.

Bambi, 423e du nom en forêt de Soignes, ne le saura jamais : sans l’intervention d’Infrabel, le gestionnaire des infrastructures ferroviaires, il n’aurait jamais vu le jour. Il aura en effet fallu que l’opérateur construise un écoduc, large pont surplombant les voies et réservé au passage de la faune, pour permettre à ses parents de se rencontrer. On imagine la suite, qui relève strictement de leur vie privée. Sans cet ouvrage de béton, planté entre Watermael-Boitsfort (Bruxelles) et Groenendael, chacun des géniteurs de Bambi serait resté à jamais sur son territoire, empêché de joindre l’autre rive pour cause de ligne ferroviaire.

La ligne 161, qui relie Schaerbeek à Namur, traverse en effet depuis des lustres la forêt, à quelques mètres de ses hêtres, si chers aux Bruxellois. D’ici à quelques années, elle comptera quatre voies jusqu’à Ottignies, au lieu de deux, dans le cadre du projet RER. Il sera alors deux fois plus risqué pour les chevreuils et autres sangliers de tenter de franchir les rails.

L’écoduc, conçu en forme de diabolo, présentera, selon les endroits, une largeur comprise entre 50 et 70 mètres. Assez pour permettre aux différentes espèces animales locales de s’y promener sans se bousculer, même aux heures de pointe. Parallèlement, la ligne sera clôturée de part et d’autre pour éviter aux animaux de se faire malmener par un train. L’ouvrage sera terminé à la fin de cette année. Il devrait coûter quelque 600 000 euros.

 » La protection de l’environnement n’est pas, a priori, de notre compétence, sourit Christophe Rubbens, ingénieur et responsable de projet chez Infrabel. Mais nos infrastructures, par définition, morcellent le territoire et provoquent, comme ici, des problèmes de consanguinité pour les espèces autochtones. Sur un chantier comme celui-ci, nous sommes aussi contraints d’abattre des arbres. Par ailleurs, nous sommes convaincus que l’infrastructure ferroviaire, élément essentiel de mobilité durable, participe à sa manière à la préservation de l’environnement. Tout l’art consiste donc à rechercher un compromis entre les avantages que le train présente pour l’environnement, et les conséquences négatives qu’il engendre pour la biodiversité. « 

Quatre abris pour chauves-souris

Avec l’aide des experts de Bruxelles-Environnement /IBGE, les équipes d’Infrabel ont donc imaginé, mi-volontaires, mi-contraintes, une série d’infrastructures spécifiquement dévolues à la protection de la faune sur le tronçon de près de 2 kilomètres qui traverse la forêt de Soignes au départ de Watermael-Boitsfort.

Outre l’écoduc, quatre abris pour chauves-souris ont été construits ou aménagés autour d’anciennes voûtes. En forme de labyrinthe à trois couloirs, ils permettront à quelques milliers d’entre elles d’hiberner au chaud et en toute sécurité. Au plafond, des grillages ont été prévus pour qu’elles puissent s’accrocher, de leur si typique façon ; au sol, une petite dénivellation assurera la récupération des eaux de ruissellement, de manière à garantir le taux d’humidité qui leur est nécessaire.  » Des briques seront aussi fichées dans les murs pour les espèces de chauves-souris qui nichent à l’horizontale « , précise Bertrand Carlier, chef de chantier attaché à TUC Rail. L’ouvrage sera fermé aux humains, histoire de laisser les pipistrelles et autres murins vivre leur vie en paix, fût-ce la tête à l’envers.

Un peu plus loin, des passages sous les voies ont également été prévus pour les renards, lapins et autres petits gibiers, tandis que les bas-côtés des voies sont conçus pour que les crapauds en promenade ne s’y laissent pas piéger.

 » Ces initiatives, qui s’appuient sur des normes européennes, devront faire l’objet d’un suivi, pour s’assurer qu’elles atteignent bien leur objectif « , précise Christophe Rubbens. Des caméras infrarouges seront ainsi installées dans les abris pour chauves-souris et aux abords de l’écopont, et l’analyse des images récoltées, confiée à des experts.

A côté de la construction de ces infrastructures animalières, dont le coût, englobé dans le prix des travaux, ne peut être précisé, les équipes d’Infrabel veillent aussi à préserver la biodiversité en laissant au sol les arbres abattus : une foule de petits rongeurs et d’oiseaux y trouvent refuge. Enfin, tout est fait sur le chantier pour ne pas favoriser l’extension d’espèces invasives, comme la renouée du Japon. Les lieux où il s’en trouve ont été clôturés pour éviter que les engins de chantier ne roulent dessus et n’aillent les répandre un peu plus loin lors de leurs man£uvres. On n’est jamais trop prudents.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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