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Une guerre de planqués…

Le Vif

Etrange coïncidence. Adolf Hitler et Winston Churchill ont découvert la guerre presque au même endroit, à quelques kilomètres de Lille et à l’abri du feu des tranchées.

Devant la ferme flamande qui lui sert de poste de commandement, Winston Churchill, 41 ans, a sorti ses tubes de gouache. Echoué à Ploegsteert (Comines-Warneton), dans la province de Hainaut, il rumine sa disgrâce et peint pour tromper l’ennui. Révoqué de son poste de ministre de la Marine en mai 1915, à la suite de l’échec de l’expédition des Dardanelles contre les Turcs, dont il était l’ardent promoteur, le politicien ambitieux veut se refaire une santé politique en gagnant ses galons de combattant sur le front. Dans un secteur, si possible, pas trop exposé…

Le 26 janvier 1916, le lieutenant-colonel Churchill prend ses quartiers dans cette ville wallonne distante de deux kilomètres du front. Depuis octobre 1914, celui-ci s’est stabilisé sur ces terres légèrement vallonnées et parsemées de bois, qui offrent des refuges naturels aux soldats. Le secteur est calme. Les fermiers continuent d’exploiter leurs terres. En ville, le commerce local profite de la présence des militaires. Les citadins les plus pauvres sont embauchés pour creuser les positions de deuxième ligne. Du haut de la colline 63 (nommée ainsi par les Anglais du fait de son altitude), là où le front s’est arrêté, le commandant du sixième bataillon du Royal Scots Fusiliers peut apercevoir les ruines du monastère de Messines. Occupé par les Allemands, ce village au sud d’Ypres a accueilli quelques mois plus tôt, entre décembre 1914 et mars 1915, un autre étranger amené, comme lui, à devenir célèbre.

Dans la ferme Bethléem qu’il occupe, l’engagé volontaire Adolf Hitler, 26 ans, manie lui aussi plus souvent les pinceaux que les armes. Bâtiments éventrés, fermes dépouillées de leurs tuiles, mornes paysages aux arbres décharnés…, le peintre raté aurait réalisé une vingtaine d’aquarelles durant son séjour en Flandre. Trente ans plus tard, dans le bunker berlinois du Führer, les armées soviétiques retrouveront un dessin de l’époque. Une rangée de soldats y figure, surmontée de cette phrase : « Auf nach Comines » (En route pour Comines).

Cette ville franco-belge sert de base arrière aux soldats du régiment List, auquel Hitler appartient. Le jeune homme y a ses habitudes au bien nommé café Le Fossoyeur. Plus tard, la tenancière de l’établissement évoquera le souvenir d’un homme « taiseux, peu estimé de ses compatriotes, restant souvent pensif dans un coin du café, en compagnie de son chien ». Venu des lignes anglaises, ce fox-terrier rebaptisé Fuchs (renard) échappe à la haine que voue Hitler aux Tommies. Fin décembre 1914, Hitler se montre révulsé d’apprendre que certains hommes de son régiment ont échangé des cadeaux avec les Britanniques lors de la fameuse trêve de Noël.

Lors des permissions lilloises, tandis que ses camarades écument les estaminets et les maisons closes qui font florès dans la « capitale des Flandres », Adolf Hitler, un carnet de croquis à la main, renoue avec son métier d’avant-guerre, lorsqu’il peignait des cartes postales à Munich. S’il ne fait pas l’unanimité dans la troupe, ce n’est pas seulement parce qu’il est dénué d’humour et peu porté sur la gaudriole. Quelques jours après son arrivée sur le front, en octobre 1914, sa déférence ostensible est récompensée : il est nommé estafette et affecté au quartier général du régiment List. Chargé de transmettre aux officiers les messages du haut commandement, il échappe au feu. Ses anciens camarades l’assimilent donc à un « cochon de l’arrière », un de ces planqués qui ont tout fait pour se soustraire aux dangers du front. Une triste réputation que la propagande nazie ne cessera de cacher dans les années 1930.

Moins méchant, le surnom de Winston Churchill révèle également son peu de goût pour les offensives sabre au clair. Windy Bill – littéralement « Bill dans le vent » – évoque sa capacité à déguerpir au galop vers l’arrière lors de bombardements trop intensifs. Un jour, il écrit à sa femme Clementine qu’il aurait été insensé de s’exposer à la mort : « Cela aurait provoqué la joie de mes ennemis […] et un appauvrissement du potentiel de guerre de la Grande-Bretagne dont personne ne pourrait évaluer la portée. »

Doté d’une trop haute opinion de lui-même pour se laisser tuer bêtement en première ligne, le jeune lion, déprimé par son éloignement du pouvoir, replonge dans l’arène politique londonienne dès mai 1916. Député, il devient ministre de l’Armement en juillet 1917. A la fin de la guerre, il retourne à Ploegsteert et constate que ses vieilles fermes « ne sont plus que ruines ». Adolf Hitler, lui, attendra l’invasion allemande de 1940 pour effectuer son pèlerinage flamand sur des champs de bataille qu’il présente alors comme son « université politique ».

Aujourd’hui, dans cette campagne où l’on passe de la France à la Belgique sans s’en apercevoir, les couleurs vertes et les jaunes ont remplacé les tons mélancoliques des toiles de jeunesse des deux dirigeants ennemis. Reconstruit, le clocher en bulbe de Messines émerge des vagues de colza et de maïs s’échouant au pied de la colline 63. Sur le perron de la maison communale de Ploegsteert, une plaque commémorative anachronique célèbre le passage d’un Winston Churchill déjà vieux, canne à la main et cigare aux lèvres, au milieu des tranchées. En revanche, les panneaux installés par le régime nazi en 1940 proclamant « Notre Führer a été déployé ici en tant que soldat du régiment d’infanterie bavarois List » ont tous disparu…

Par Alexandre Lenoir

LE FILS CACHÉ DE HITLER Il y aura cru jusqu’à sa mort en 1985, à 67 ans. Jean-Marie Loret, né en 1918, assurait être le fils d’Adolf Hitler. Sa mère, Charlotte Lobjoie, lui aurait confié avant de mourir avoir fréquenté l’estafette cycliste en poste dans les Weppes en juin 1917. Après avoir embauché des physionomistes et des graphologues accréditant cette thèse, Jean-Marie Loret publie, en 1981, Ton père s’appelait Hitler (écrit avec l’historien René Mathot). En 2009, deux Belges passionnés d’histoire hitlérienne comparent leurs ADN. Résultat : aucun point commun entre les deux hommes. L’histoire rebondit en 2012, lorsque l’historien François Delpa remet en cause la fiabilité du test. Il rappelle qu’aucun des enfants de Loret n’a accepté de prélèvements et relance les supputations.

Les historiens locaux partis à la chasse aux témoignages entre Fournes-en-Weppes, Wavrin et La Bassée, villages où a séjourné Hitler, sont formels : Jean-Marie Loret est un usurpateur. Que son père ait été un soldat allemand n’a, en revanche, rien d’exceptionnel. Dans les territoires occupés, les relations consenties entre filles du Nord et soldats allemands ne sont devenues un secret qu’une fois la guerre terminée. D’où cette réflexion de l’historien Thomas Weber dans son livre La Première Guerre d’Hitler (éd. Perrin) : « Les situations d’occupation militaire engendrent des relations plus complexes qu’une oppression brutale, même si cette complexité tend à disparaître de la mémoire collective. »

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