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Impunité des politiques belges ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La justice française est-elle plus sévère et persévérante à l’égard des représentants politiques que la justice belge ? Les mises en examen et condamnations d’élus sont, en tout cas, nombreuses dans l’Hexagone. Ce n’est pas le cas en Belgique où les politiques sont rarement condamnés.

Un ancien Premier ministre bientôt devant un tribunal, un président d’une assemblée parlementaire en exercice mis en examen, un ancien chef de l’Etat mis en examen, un ancien ministre du Budget condamné, un ex-ministre de l’Intérieur mis en examen… Non, cela ne se passe pas en Belgique. Mais en France. Il s’agit de François Fillon, dont le procès va bientôt s’ouvrir, de Richard Ferrand, l’actuel président de l’Assemblée nationale tout juste mis en examen pour prise illégale d’intérêts, de Nicolas Sarkozy poursuivi dans le dossier libyen et dans l’affaire Bygmalion, de Jérôme Cahuzac, condamné en appel en mai 2018 à quatre ans de prison pour fraude fiscale, de Claude Guéant, récemment inculpé ou inquiété dans plusieurs dossiers.

La liste est longue des politiques français condamnés ou mis en examen. Au cours de cette dernière décennie, on compte plus d’une centaine de condamnations, tous partis confondus, et des dizaines de mises en examen toujours en cours. Les incriminations sont diverses : corruption, abus de confiance, de biens sociaux, fraude fiscale, trafic d’influence, prise d’intérêts, harcèlement, diffamation, violence conjugale, excès de vitesse… Bref, la justice en France y va avec les représentants du peuple, même si la Cour de justice de la République, qui ne juge, elle, que les ministres en exercice, est controversée. Et en Belgique ? Les inculpations sont plutôt rares, les condamnations rarissimes depuis l’affaire Agusta, au milieu des années 1990. La probité des élus belges est-elle plus grande que celle des Français ? Pas sûr. Pas mal de dossiers ont tout de même émaillé l’actualité de ces dix dernières années, mais, lorsqu’une enquête est ouverte par le parquet, les procédures sont interminables.

Dans le Kazakhgate, l’enquête judiciaire dure depuis plus de quatre ans. Le principal protagoniste, Armand De Decker, ancien président MR du Sénat, est décédé le 12 juin dernier. Il est très peu probable que la procédure débouche sur une autre issue qu’un classement sans suite. Dans l’affaire du cabinet « fantôme » de Joëlle Milquet, il a fallu une bonne année après les révélations du Vif/L’Express pour qu’une instruction judiciaire soit ouverte, en 2015, à l’encontre de l’ancienne ministre de l’Intérieur CDH. L’instruction est toujours en cours. Les demandes de devoirs complémentaires introduites par la défense sont nombreuses.

« Manoeuvre dilatoire » de Luperto

Dans l’affaire de corruption d’Alain Mathot, le bras de fer n’en finit pas entre la justice liégeoise et l’ex-député bourgmestre PS de Seraing, dont la levée de l’immunité parlementaire a été refusée. Dans les six dossiers qui le concernaient, le socialiste carolo Jean-Claude Van Cauwenberghe a finalement été acquitté. Idem pour son fils Philippe, dans le dossier de fraude fiscale et sociale de la S.A. Vandezande. Reste Serge Kubla, l’ancien ministre MR wallon, inculpé de corruption et de blanchiment dans le dossier Duferco. L’enquête touche à sa fin. On se dirigerait, ici, vers un procès. Mais dans combien de temps ?

Quant à l’ancien président PS du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Jean-Charles Luperto, inculpé en 2014 pour des faits de moeurs, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Namur dont la défense conteste la compétence, malgré l’avis positif du Parquet général qui parle de « manoeuvre dilatoire » de la part de l’intéressé. La cour d’appel a entendu les parties ce 17 septembre. Elle tranchera le 15 octobre prochain. On saura alors devant quelle juridiction le procès se tiendra… Enfin, l’enquête sur les fausses procurations électorales à Neufchâteau, dans laquelle le CDH Dimitri Fourny a été inculpé, vient de commencer.

Immunité parlementaire

Sur les sites web des parlements, sont répertoriées les demandes de levées d’immunité parlementaire. Ce qui donne une idée de l’activité judiciaire à l’égard des élus. Exemple : depuis dix ans, sur le site de la Chambre, on compte 7 demandes du ministère public. Trois ont été rejetées, notamment celle introduites pour le dossier de détournement de personnel communal à des fins électorales à charge de la MR Corinne De Permentier.

Autre exemple, au niveau du Parlement wallon : sur les dix dernières années, on compte deux demandes de levée d’immunité partiellement acceptées, c’est-à-dire pour une partie des incriminations retenues par le parquet (Van Cauwenberghe, Luperto). On note un refus et un renvoi de dossier à la Chambre. On dénombre aussi trois règlements de procédure, ainsi celui concernant Michel Daerden dont la demande de levée d’immunité devenait caduque en raison du décès du Liégeois. Signalons enfin que, dans le cas de l’enquête pour assassinat à charge de Bernard Wesphael, il n’y a pas eu de demande de levée d’immunité car il s’agissait d’un flagrant délit selon la justice. L’ancien élu écologiste a néanmoins demandé une protection parlementaire qui ne lui a pas été accordée. Parmi les demandes du parquet, on relève, par ailleurs, tant à la Chambre qu’au niveau de l’assemblée wallonne deux-trois infractions de roulages.

Le nombre de demandes de levée d’immunité paraît a priori peu élevé dans ces deux assemblées. Précisons que la Constitution a été modifiée en 1997 pour éviter une médiatisation trop rapide des enquêtes à l’encontre des élus. « Avant la réforme, le parquet devait demander l’autorisation du Parlement avant de procéder au moindre acte d’enquête, explique Marc Vander Hulst, le greffier de la Chambre. Les affaires étaient donc vite médiatisées. Depuis 1997, le parquet peut lancer l’enquête sans autorisation préalable. La demande d’immunité ne doit intervenir qu’en cas d’arrestation et de renvoi ou de citation direction devant un tribunal. » Ce qui signifie qu’il existe peut-être des enquêtes en cours qui n’ont pas encore été médiatisées. Il doit s’agir de petits dossiers, car, en général, les gros dossiers font l’objet de fuites dans la presse.

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