» Les ravisseurs se sont sentis floués « 

Ex-otage au Liban, le journaliste Roger Auque est, depuis deux ans et demi, correspondant à Bagdad. Il évoque l’enlèvement de Florence Aubenas, retenue en Irak depuis 150 jours

(1) Otages de Beyrouth à Bagdad, journal d’un correspondant de guerre, éd. Anne Carrière, 209 p.

Il avait tourné la page. Sa captivité au Liban appartenait à une autre vie. Mais les rapts en Irak de ses confrères Georges Malbrunot, Christian Chesnot, Florence Aubenas et les autres l’ont replongé dans une période douloureuse. Détenu pendant presque un an par des intégristes du Hesbollah, Roger Auque a été relâché dans la banlieue sud de Beyrouth en novembre 1987. Le journaliste free-lance a alors peu à peu réappris à vivre,  » entre l’ivresse de la liberté retrouvée et les jours de peine insondable « , confie-t-il dans son livre, Otages de Beyrouth à Bagdad (1). Arrivé en Irak en janvier 2003, avant l’ultimatum américain, Auque a couvert, jusqu’à ces dernières semaines, les principaux événements qui se sont produits dans ce pays : la chute du régime de Saddam Hussein, les attentats suicides, les élections, et, bien sûr, les prises d’otages.

Le Vif/L’Express : Les rapts de journalistes en Irak vous rappellent votre propre histoire. Comment vit-on cet éternel recommencement ?

E Roger Auque : J’ai revécu en Irak ce que j’avais connu au Liban : le conflit, les islamistes, la présence d’une force multinationale, les prises d’otages, l’influence des pays voisins… Ma vie est liée à ce monde un peu fou, mais passionnant. Notez que je ne travaille pas comme les envoyés spéciaux, contraints de trouver tous les jours un nouveau sujet. Ils doivent sortir beaucoup pour réaliser leurs reportages et s’exposent ainsi au risque d’enlèvement. Comme correspondant permanent, je me déplace moins souvent et connais mieux le terrain et ses pièges. Mais il y a toujours des moments angoissants, comme les trajets entre l’hôtel et l’aéroport. La guérilla y fait sauter des charges au passage des convois américains et les GIs ont la gâchette facile. Quelles que soient les précautions prises, on risque sa vie. Je me demande si cela en vaut encore la peine.

Chaque jour, des Américains et des Irakiens sont tués en Irak. Le piège d’une guerre sans fin s’est-il refermé sur la coalition ?

E Le problème de la guérilla sunnite n’est, certes, pas réglé et le pays reste à la croisée des chemins : celui d’une démocratie à l’orientale et celui d’un régime islamique. Il me semble pourtant que le bilan est plutôt positif pour les Américains. Il y a un an, on pouvait encore dire que Bush avait raté l’après-guerre. Aujourd’hui, dans les deux tiers du pays, la sécurité est revenue, les gens vivent à peu près normalement. En outre, les élections ont tout de même été un succès.

Ce samedi 4 juin marque le 150e jour de détention de Florence Aubenas et de son guide irakien. Pourquoi l’attente se prolonge-t-elle ainsi ? Que sait-on sur d’éventuelles négociations en cours ?

E Après la libération de Chesnot et Malbrunot, Paris croyait en avoir fini avec les prises d’otages. Pour Florence, les autorités françaises ont d’abord privilégié une piste criminelle. A tort. En Irak, les groupes de la guérilla, une trentaine au total, sont tous politiques et criminels à la fois. Paris a remis en branle l’équipe de la DGSE qui a négocié la libération des deux autres journalistes français. Les ravisseurs ou leurs représentants sont, semble-t-il, les mêmes dans les deux affaires. Pour récupérer Chesnot et Malbrunot, la France n’a versé, via des intermédiaires, que des  » frais d’hébergement « , soit quelques milliers de dollars. Alors que d’autres pays ont payé des rançons de plusieurs millions de dollars. Les négociateurs français avaient, en effet, fait comprendre aux ravisseurs qu’ils étaient identifiés et localisés et avaient donc intérêt à prendre ce qu’on leur donnait. Dès lors, à Bagdad, on estime que des membres du groupe terroriste ont enlevé Florence Aubenas parce qu’ils se sont sentis floués. Mais si ce n’est qu’une question d’argent, on peut se demander pourquoi le dénouement tarde autant. Sans doute parce qu’il y a d’autres exigences, plus difficiles à satisfaire : la libération de détenus irakiens, des armes, la participation de la guérilla à des négociations politiques… Tout est possible.

Entetien : Olivier Rogeau

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